Le cri du cœur de la filière biogaz

Prise entre la conviction profonde d’avoir un rôle à jouer dans la transition écologique et le sentiment d’être négligée par les pouvoirs publics, la filière du biogaz n’a de cesse d’interpeller sur sa situation. Dans ce contexte, Naturgas Kielen, la centrale qui injecte du biométhane dans le réseau de gaz naturel luxembourgeois depuis dix ans déjà, compte faire entendre sa voix. Xavier Maka, aux commandes de l’entreprise depuis mai 2020, s’en fait le porte-parole en dévoilant sans détour les forces et faiblesses de sa société. Un bilan honnête voulant briser l’épais silence qui enveloppe une activité pourtant prometteuse.

 

Créée en 2004, Naturgas Kielen transforme des déchets organiques en énergie verte par biométhanisation. Quelques dix années après sa première injection de gaz dans le réseau grand-ducal, l’entreprise se dote d’un nouveau directeur que les difficultés du secteur ne semblent pas intimider. Après 30 ans de carrière dans la plasturgie, Xavier Maka a décidé de faire partie de la solution plutôt que du problème écologique. «J’ai passé toute ma carrière à travailler pour un secteur fort décrié aujourd’hui, à juste titre. Avec l’âge, la sagesse et une importante prise de conscience, je cherche désormais à me pencher sur les solutions qui permettront de dépolluer notre environnement. De l’économie linéaire, je suis passé à l’économie circulaire, tout d’abord en travaillant sur des projets de recyclage du plastique puis en me présentant au poste de direction de Naturgas Kielen en mai 2020. Bien que mon expérience dans le domaine de la biométhanisation soit assez mince, ma force est indubitablement ma casquette d’industriel car, bien qu’elle ait été fondée par une coopérative agricole, Naturgas Kielen est une entreprise industrielle en tout point. J’entends donc mettre à disposition mon expertise dans ce domaine pour stabiliser et redynamiser cette société en perte de vitesse et, à tout le moins, tenter de lui apporter une certaine profitabilité», explique Xavier Maka.

 

Le maillon faible de la filière des déchets

De l’aveu du nouveau directeur, le business modèle de Naturgas Kielen tel qu’il a été conçu jusqu’à présent n’a jamais rendu l’entreprise profitable, pour diverses raisons. La principale: graviter autour de la chaîne de traitement des déchets sans y être intégrée. «Malgré les appels répétés de mes prédécesseurs auprès des collectivités, de l’industrie agroalimentaire, de la grande distribution, des agriculteurs et des ménages, nos matières premières restent l’apanage de sociétés qui collectent et, généralement, valorisent les déchets. L’une des faiblesses de Naturgas Kielen est d’être une entreprise privée exclue de cette filière. Or, chez nos voisins, de grands groupes bien insérés dans celle-ci, comme Engie, investissent massivement dans des stations de biométhanisation. Si ces entreprises misent ainsi sur des installations de même type et de même taille que la nôtre, c’est que ce modèle doit être rentable. C’est pourquoi il est grand temps que nous réalertions les pouvoirs publics pour qu’ils revoient leur stratégie en matière de biométhanisation. Les déchets existent, et en quantité plus que suffisante, reste à donner accès à ces gisements aux biométhaniseurs afin de les valoriser de façon intéressante et intelligente. En outre, une révision objective des cadres législatifs concernant les matières que nous pouvons traiter serait la bienvenue car nos activités ne présentent aucun danger. Enfin, une revalorisation pécuniaire du biogaz produit serait tout aussi profitable au bon fonctionnement du secteur. Ces trois revendications doivent être prises en considération par le gouvernement car le biogaz a incontestablement de l’avenir. Si le modèle économique peut être viable, pourquoi le Luxembourg agirait-il différemment de ses voisins quand il possède les gisements, le potentiel et les installations nécessaires à son développement?», interpelle Xavier Maka.

De l’avis du directeur, les différents acteurs du secteur des déchets manquent cruellement d’unité. Raison pour laquelle, peut-être, le biométhane est traité en parent pauvre des énergies renouvelables. «Le gouvernement mise énormément sur l’éolien et le solaire. Ici, nous parlons de revalorisation de déchets qui, il n’y a pas si longtemps encore, étaient tout bonnement enfouis», rappelle-t-il.

 

Un chaînon au fort potentiel dans une économie circulaire

Si la filière de la biométhanisation entrevoit un avenir si prometteur, c’est qu’elle dispose de toutes les cartes pour fonctionner selon les principes d’un modèle dans l’air du temps car écologiquement vertueux: l’économie circulaire. «Dans un premier temps, ma volonté serait de faire tourner notre centrale exclusivement à partir de déchets, que ce soient des biodéchets ou des déchets des industries agricoles comme le fumier ou le lisier. Dans un second temps, je peux nous imaginer travailler en parfaite autonomie, d’une part en utilisant de l’électricité que nous produirions à partir de notre gaz vert et, d’autre part, en filtrant le lisier et le digestat pour en récupérer de l’eau propre que nous réinjecterions dans notre circuit. Une autre option encore plus novatrice pourrait être la conversion de ce biométhane vert en hydrogène vert, le combustible du futur notamment pour les moteurs électriques de nouvelle génération. J’irais plus loin en affirmant qu’une centrale comme la nôtre pourrait facilement occuper une place capitale dans le domaine du recyclage. En effet, la première phase de notre travail consiste à séparer les déchets organiques – seule fraction qui puisse entrer dans le méthaniseur – d’une série de détritus indésirables comme du verre, du bois, des pierres ou encore du plastique que nous trions afin qu’ils regagnent leurs filières de recyclage respectives. En économie circulaire, il s’agit bien de tout récupérer et de tout revaloriser. Le site de Naturgas Kielen possède un immense potentiel à cet égard. Voilà pourquoi notre secteur a un important rôle à jouer à mes yeux», développe Xavier Maka.

 

Changement de cap

«Nous entrons dans une nouvelle décennie et je souhaite aborder 2021 comme un tournant. Naturgas Kielen doit tourner une page difficile et se positionner comme une véritable industrie engagée dans l’économie circulaire et rentable. Je pense avoir démontré que nous n’espérions pas l’impossible, c’est pourquoi j’entends bien rallier toute la société à notre cause, en particulier le monde politique», conclut Xavier Maka.

Lire sur le même sujet: