Seules les entreprises responsables ont un avenir

Né d’une initiative visionnaire de l’UEL en 2007, l’INDR diffuse le concept de RSE auprès des entreprises nationales afin qu’elles contribuent au développement durable et au positionnement du Luxembourg comme un acteur majeur de la RSE en Europe à l’horizon 2020. Il travaille pour cela sur plusieurs axes: le dialogue institutionnel, la sensibilisation, la promotion et la labellisation. Son credo: dans le futur, les entreprises seront responsables ou elles ne seront plus. Sa revendication: que les pouvoirs publics soutiennent cette approche qui est la solution la plus adaptée pour créer de la valeur partagée, selon Norman Fisch, coordinateur.
Interview.

En quoi la RSE est-elle d’une importance primordiale?

Nous sommes face à un double constat. Premièrement celui que notre monde en général, et le Luxembourg en particulier, traversent une crise économique, financière, environnementale, sociale mais aussi politique. Deuxièmement celui que notre planète étant constituée, d’une part, de ressources naturelles limitées et, d’autre part, de ressources régénératives. Il est impératif de les gérer durablement, c’est-à-dire de manière à satisfaire nos propres besoins tout en permettant aux générations futures de pouvoir satisfaire les leurs. Dans ce contexte, les entreprises sont de plus en plus conscientes qu’elles ont besoin de systèmes écologiques et sociaux sains pour pouvoir développer leurs activités et satisfaire les exigences de leurs clients. La RSE et les concepts qui la sous-tendent leur donnent les moyens de contribuer au développement durable.

Pourquoi est-ce au niveau des entreprises qu’il faut activer le levier pour résoudre cette crise mondiale?

Notre société est constituée de trois acteurs principaux: la société civile, les pouvoirs publics et les entreprises. La société civile a un double rôle: celui d’électeur et de consommateur. Elle fait preuve d’une certaine réticence au changement et mandate de plus les pouvoirs publics pour résoudre les crises. Quant aux pouvoirs publics ce sont des entités structurées et bien informées mais tributaires des électeurs: ils hésitent donc à prendre des décisions impopulaires. Restent les entreprises qui sont des organisations hiérarchisées où les prises de décision sont centralisées, ce qui constitue un atout majeur pour agir. Souvent visionnaires, elles ont le potentiel de se réinventer. Elles ont les ressources et les connaissances nécessaires pour mettre en place des actions qui permettent de réduire leurs impacts négatifs et de créer de la valeur aussi bien pour elles-mêmes que pour la société dans laquelle elles évoluent. Elles ont également le pouvoir d’influencer l’opinion publique à travers la pression publicitaire qu’elles exercent dans les médias et de faire passer certains messages aux autorités à travers leurs activités de lobbying. En ce sens, la RSE trouve pleinement sa place parmi les solutions à mettre en œuvre pour mieux traverser les crises actuelles.

Est-ce qu’on est sur la bonne voie avec les directives européennes sur les marchés publics et sur le reporting extra-financier?

Je pense que ces directives auront probablement des retombées positives pour notre société, mais que la réglementation n’est certainement pas la bonne solution. La RSE est une démarche volontaire et il vaudrait mieux encourager que contraindre. Si les pouvoirs publics donnaient aux entreprises les moyens d’être responsables, elles adopteraient cette approche et créeraient de la valeur partagée. Dans le futur, les entreprises seront responsables ou elles ne seront plus. Celles qui ne seront pas responsables ne seront plus assez compétitives et seront écartées du marché. La RSE crée des liens forts entre les entreprises et la société: en s’intéressant de près aux intérêts de leurs parties prenantes, qu’elles soient directes ou indirects, les entreprises responsables sont plus ancrées dans la société en termes de gestion des risques ou de meilleure compréhension des attentes de ces dernières. En intégrant la RSE dans la stratégie globale de leur entreprise, les dirigeants d’entreprise parviennent davantage à définir un plan d’action pour la mettre en œuvre et la faire évoluer dans une optique d’amélioration continue. Le Luxembourg étant un petit pays, il a le potentiel de rapidement mettre en place une dynamique d’économie responsable, un cercle vertueux, voire un modèle à exporter.

Pourriez-vous nous expliquer votre modèle de création de valeur?

On a tendance à faire l’amalgame entre croissance économique et valeur. Certes, il y a des corrélations entre ces deux éléments, mais le retour financier n’est que la face visible de l’iceberg.
Au niveau micro-économique, la création de valeur dans une entreprise se réalise à travers quatre perspectives successives. Elle se base sur les connaissances, c’est-à-dire sur le capital intangible (les ressources humaines, les capacités organisationnelles, les structures de gestion d’information ou la culture d’entreprise, par exemple), qui permettent l’exécution des processus et des activités. En effet, le travail effectué permet de satisfaire les besoins du consommateur et, ce faisant, d’obtenir un retour financier.  Ne considérer que la valeur financière revient à avoir une vision très partielle de la problématique. La RSE donne donc un cadre qui permet de mesurer la valeur à créer à chacune de ces étapes pour assurer la pérennité de l’entreprise.
La valeur existe aussi au niveau macro-économique, à l’extérieur de l’entreprise, dans la société, et ce sur quatre plans: le capital sociétal (RH, connaissances, culture…), le capital environnemental (ressources naturelles, éco-services, systèmes de support vitaux), les produits et services et le capital économique, que nous appelons couramment la richesse d’une société en omettant toutes les autres richesses. La valeur créée est souvent relayée au second plan car on oublie les trois autres catégories de valeur. La bonne question à se poser est bien : «Est-ce que je crée de la valeur  pour mon entreprise et pour la société? »

Un exemple?

Si une entreprise décide d’offrir une formation à un de ses employés, il y a d’abord une diminution du capital économique puisqu’il faut financer cette formation, mais ce coût aura des répercussions bénéfiques. Cette valeur a simplement été transférée dans les salaires et les impôts que paie l’institut de formation. Il y aura également un effet multiplicateur. Les connaissances acquises seront partagées même en dehors de l’entreprise, elles auront forcément des répercussions positives sur la pertinence, l’efficacité ou l’efficience des processus existants, sur les produits et services, donc sur la satisfaction du client. Donc, même si de prime abord, investir dans la formation de ses salariés peut avoir comme effet direct une baisse du capital, on s’aperçoit rapidement que les effets émanant d’un tel investissement sont largement rentables : un salarié formé est un salarié plus compétent et efficace mais aussi davantage motivé dans l’exercice de sa profession. Il développe des compétences directement utilisables à l’intérieur de l’entreprise de la même manière qu’il les diffuse à l’extérieur. L’entreprise crée ainsi de la valeur pour elle-même et, en même temps, pour la société. Chaque initiative RSE devrait passer par le filtre de ce modèle.

Quel outil proposez-vous aux entreprises pour mesurer et valoriser leur capital immatériel?

La RSE et ses bienfaits ne sont pas toujours bien compris par les entreprises. Dans un premier temps, nous les sensibilisons à ce qu’est la RSE et aux avantages de l’appliquer pour elles-mêmes et pour la société. Ensuite, nous leur proposons de s'évaluer gratuitement au moyen de notre guide en ligne accessible sur www.esr.lu. Développé en collaboration avec les principaux acteurs nationaux en matière de RSE (CEPS/INSTEAD, IMS, IFSB, etc.), ce formulaire permet à toute entreprise de s’inscrire quels que soient sa taille et son secteur d’activité. Après avoir renseigné quelques informations de base l’entreprise peut déjà se lancer. Elle obtient d’abord une vue d’ensemble des différentes initiatives qui existent au niveau national puis navigue dans un guide organisé en quatre chapitres: stratégie RSE, gouvernance, social et environnement. Le dirigeant peut ainsi à travers une centaine de questions, évaluer son propre comportement. Il peut ensuite demander qu’un expert de l’INDR lui présente ses résultats et des recommandations ou des pistes d’amélioration. Si l'entreprise obtient un score positif, elle peut solliciter le label ‘Entreprise Socialement Responsable’ en fournissant les justificatifs requis. Si une entreprise n’a pas atteint un score suffisant pour être labellisée ESR, mais souhaite valoriser son engagement, elle peut recevoir de l’INDR une attestation de son engagement. Pour cela, trois conditions doivent être remplies: avoir réalisé et validé son auto-évaluation, avoir nommé un responsable RSE formé en la matière, et avoir déclaré faire des efforts pour devenir socialement responsable. J’invite donc les dirigeants à consulter le Guide ESR afin de découvrir comment chacun peut créer de la valeur pour son entreprise tout en améliorant la société dans laquelle celle-ci évolue.

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