Secteur du bâtiment : une crise entre abîme et nécessaire métamorphose…

Coûts de construction élevés, taux d’intérêts historiquement hauts, entreprises en faillite… le secteur du bâtiment traverse une zone de fortes turbulences. Une seule solution pour Betic, part of Sweco : garder le cap en continuant à recruter et à développer son cœur de métier ainsi que de nouveaux services. Gilles Christnach et David Determe, Managing Directors du bureau d’ingénieurs-conseils, nous invitent à une discussion franche sur la crise actuelle et nous laissent entrevoir quelques éclaircies.

 

Le secteur de la construction, que l’on disait très fort au Luxembourg il y a encore quelques années, est aujourd’hui frappé par la crise. Vous qui connaissez le secteur de l’intérieur, comment l’expliquez-vous et la ressentez-vous ?

DD : Pour recourir à une métaphore météorologique, disons que le secteur est confronté à un climat venteux. S’il a pu par moments bénéficier d’un vent de dos le faisant avancer très vite, le secteur subit aujourd’hui des turbulences qui font un peu vaciller ses acteurs. Nous nous devons donc de retrouver un point d’équilibre en continuant à avancer. C’est notre ligne de conduite chez Betic, que ce soit en termes de croissance des effectifs ou des compétences.

GC : Quant aux causes de cette crise, il ne nous revient pas de les analyser ou de les commenter. D’autres l’ont fait mieux que nous. Par contre, à notre niveau de concepteurs, nous avons un rôle à jouer dans la recherche des solutions qui permettront d’y remédier durablement ou, du moins, d’accroître notre résilience. Les perturbations occasionnées par la crise doivent nous inciter à innover, que ce soit par le développement de nouvelles visions, de nouvelles solutions ou de nouveaux produits. En tant qu’ingénieurs-conseils, nous pouvons agir à la fois au niveau de l’optimisation des processus de construction proprement dit, de l’innovation technologique, de l’utilisation des terrains et des bâtiments, de la politique urbaine et du conseil aux responsables politiques.

 

Concrètement, comment agissez-vous à ces différents niveaux ?

DD : Nous nous efforçons de concilier deux points de vue ayant des objectifs divergents : celui du promoteur d’une part, qui vise la réalisation d’un bénéfice avec la vente de son bien, ce qui est logique puisque c’est la finalité de toute entreprise pour perdurer et pouvoir continuer à investir et à se développer, et celui de l’acquéreur d’autre part, qui souhaite acheter au meilleur prix et dans les meilleures conditions. En ne servant que les intérêts du premier, il existe le risque de concevoir des bâtiments de moindre qualité, qui procurent un faible niveau de bien-être, engendrent d’importants frais de maintenance et qui sont trop figés pour évoluer concomitamment avec les besoins de leurs utilisateurs. En mettant le paquet pour satisfaire l’acheteur, en revanche, on construit des projets qui seront finalement invendables. À nous de trouver l’équilibre.

GC : Pour ce faire, nous devons recourir à des concepts plus efficaces, plus durables, moins chers et plus flexibles. Citons les Capelli Towers de Belval, exemples même de la flexibilité : le projet repose évidemment sur un noyau dur en béton, mais les étages ont été pensés comme de grands plateaux dépourvus de murs constructifs, ce qui leur confère une immense souplesse d’utilisation. À moindre coût et moindre effort, les appartements peuvent ainsi s’adapter à l’évolution des besoins des utilisateurs et de leur composition familiale notamment.

DD : Sans nécessairement complexifier notre métier, ces concepts requièrent néanmoins un changement d’approche. Plutôt que de faire de la technique verticale – ce qui consomme beaucoup de place et sacrifie des mètres carrés pour le promoteur, nous avons opté pour une circulation horizontale nécessitant, elle, la mise en place de solutions acoustiques et architecturales spécifiques ; tout cela parce que nous refusions l’idée de devoir abattre toutes les cloisons intérieures d’ici 10, 20 ou 30 ans.

Les perturbations occasionnées par la crise doivent nous inciter à innover

Cette flexibilité apporte une réelle valeur ajoutée au projet et prend d’ailleurs tout son sens du point de vue de la circularité car, tôt ou tard, nous devrons arrêter de construire de nouveaux bâtiments pour rénover ceux dont le bilan carbone sera déjà amorti. Raser un immeuble ancien simplement parce qu’il ne correspond pas à 100% des souhaits du maître d’ouvrage n’est plus le bon réflexe. Le bâtiment « Idéal » constitue le parfait exemple de la réhabilitation : implanté dans le futur quartier « Wunne mat der Woltz » à Wiltz, il témoigne de la volonté du Fonds du Logement d’adapter son programme au bâti existant et de favoriser l’économie circulaire. L’approche a été adoptée de façon pragmatique : rien ne sert de récupérer des équipements obsolètes ou qui nécessiteront des traitements « excessifs » ; le but est de réduire l’empreinte carbone d’un projet, pas de consommer énormément d’énergie pour récupérer le moindre élément.

GC : Enfin, on ne peut plus aujourd’hui se focaliser sur un métier ou une discipline. Nous nous devons de nous ouvrir à tous les aspects de la conception : les matériaux, les certifications environnementales, la physique du bâtiment, les fonctions, l’urbanisme, l’économie, etc. Nous nous dirigeons vers une conception qu’on pourrait qualifier d’intégrale, c’est pourquoi nos métiers doivent nous permettre d’avoir la vision la plus large possible.

 

Cela signifie-t-il que votre intégration au groupe Sweco fait de vous un acteur plus résilient ?

DD : En effet. Si nous avons rejoint ce groupe d’envergure internationale, c’est notamment pour pouvoir importer au Grand-Duché les expertises spécifiques nécessaires à la réalisation d’éventuels projets emblématiques ; expertises dont il manque en raison de la dimension de son marché. Sweco, par exemple, construit la plus grande tour en bois au monde et conçoit deux usines d’hydrogène vert. Si le Luxembourg souhaite un jour réaliser des projets de ce type, où trouvera-t-il les compétences ? Nous les trouverons au sein de notre groupe et, si le marché devient porteur, nous les importerons ici, ce qui tirera notre activité vers le haut. Bien entendu, les échanges et retours d’expérience sont bidirectionnels car le Luxembourg est très innovant et audacieux à bien des égards.

 

Justement, en quoi l’innovation technologique fait-elle partie de la solution ?

GC : Je le répète : nous devons nous ouvrir à de nouveaux concepts, recourir à des solutions qui n’ont pas encore été éprouvées telles quelles. Pour y parvenir, nous pouvons compter sur des outils comme l’intelligence artificielle, non pas pour innover à notre place, mais pour exécuter des tâches relativement répétitives. Grâce à cette aide, nos ingénieurs pourront libérer du temps pour étudier de nouvelles solutions et, finalement, banaliser les techniques qui nous semblent innovantes aujourd’hui. Là encore, nous tirons parti de notre intégration au groupe Sweco où l’IA peut être utilisée à une échelle pertinente. Grâce à Sweco GPT, un outil protégé et fermé où sont consignées des données sur les projets de chacun de ses 22.000 collaborateurs, nous pouvons puiser dans les compétences de toutes ses entités.

 

Vous disiez aussi jouer un rôle dans le conseil aux instances politiques. Quel message souhaiteriez-vous leur faire passer dans le contexte actuel ?

DD : Les acteurs publics ont pris leurs responsabilités pour redynamiser le marché, il faut le dire. Nous avons beaucoup de concours étatiques en cours et, bien que les procédures soient longues, de nombreux projets se concrétisent sur le terrain. Il nous arrive néanmoins de déplorer certaines décisions prises il y a quelques années ou même plus récemment. Avec la crise du logement, il n’est pas rare que certains clients nous demandent d’étudier la transformation de bâtiments fonctionnels en immeubles résidentiels ou, du moins, mixtes. Et quelle n’est pas notre frustration quand il s’agit d’un projet pour lequel nous avions imaginé, il y a à peine quelques années, des systèmes constructifs et techniques qui permettaient de faire évoluer très facilement certaines surfaces en logements, mais qui ont finalement été rejetés au profit d’un choix plus économique ! Nous devons inciter la prochaine génération de décideurs à réfléchir différemment, mais force est de constater que nous fonctionnons sur un modèle « learning by doing ».

GC : Nous comprenons les raisons qui expliquent ces choix qui nous semblent aujourd’hui regrettables ; nous savons que les procédures administratives sont contraignantes et que les faire évoluer est chronophage, mais les idées changent et cela doit se refléter dans la prise de décision politique. Nous avons certainement encore du travail à faire de notre côté en incitant les politiques à prendre des mesures qui ne sont peut-être pas communes, qui ne plaisent pas forcément à tout le monde, mais qui sont nécessaires.

 

Pour conclure, comment vous préparez-vous à la reprise du marché ?

GC : Nous n’avons pas changé de stratégie pour une bourrasque. Des crises, il y en a eu et il y en aura d’autres. Celle-ci est certes un peu plus difficile, mais nous devons garder le cap en continuant à croître au niveau des effectifs – parce que le sang neuf amène de nouvelles idées – et à développer aussi bien notre cœur de métier que de nouveaux services, avec l’appui du groupe Sweco notamment.

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