La diplomatie russe au Luxembourg

En ce petit matin d’automne, la brume ne s’est pas encore levée sur le Château de Beggen; transpercée de quelques hêtres centenaires, elle entoure la fontaine centrale et recouvre les feuilles déjà jaunissantes qui jonchent le jardin à l’anglaise. Si l’architecture du château évoque celles de Vaux-le-Vicomte et de Fontainebleau, le salon de réception orné d’illustrations de Saint-Pétersbourg et de Moscou, rappelle que nous sommes bien à l’Ambassade de Russie. Rencontre avec l’ambassadeur Victor Sorokin.
 
 
Origines d’un lieu
 
L’endroit a d’abord accueilli une manufacture de papier au XVIIIe siècle, puis la villa d’Emile Metz qui fut ravagée par un incendie durant l’hiver 1895; un an plus tard, l’architecte bruxellois Wynand Janssens fit édifier le château tel qu’on le connaît. Le parc d’agrément est l’œuvre de l’ingénieur-paysagiste Edouard André à qui le Luxembourg doit, entre autres, ceux de la Ville, de Mondorf ou de la Kockelscheuer et qui ont tous en commun ce style anglais, très prisé à la fin du XIXe européen.
Le château est un lieu chargé des histoires familiales des Bourgeois, Metz, Mayrisch, Barbanson, mais aussi de celles de l’occupation par la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale, puis des soldats américains à la libération. L’URSS y installa son ambassade dans les années 50 et en fit l’acquisition en 1973. De 2005 à 2009, des travaux considérables de restauration ont été réalisés dans le respect des plans originaux.
 
 
L’ambassadeur
 
Victor Sorokin naît à Moscou en 1956 de parents diplomates et garde de son enfance, le goût des voyages. L’étudiant est accro à l’actualité nationale et internationale de l’époque, s’intéresse à l’art, l’opéra et dépense sa maigre bourse dans des expositions et pour voir les danseuses du Bolchoï
Il intègre le prestigieux Institut d’État des relations internationales de Moscou, qui serait l’équivalent de l’ENA ou de Sciences Po (à la différence qu’il est sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères). Le Mgimo a décerné depuis sa création en 1944, quelques 64.000 diplômes dont celui de Sergueï Lavrov, l’actuel ministre des Affaires étrangères, qui signe le grand retour de la diplomatie russe sur la scène internationale.
Diplômé en 1978, Victor Sorokin intègre le service diplomatique du ministère et travaille notamment auprès de Lavrov aux côtés duquel il apprend à mener des pourparlers.
Au temps de la Perestroïka de Gorbatchev (qui tente de donner un second souffle à l’économie soviétique), Victor Sorokin occupe différents postes de représentations diplomatiques à l’étranger comme à Brazzaville ou à Paris.
À la chute de l’Union soviétique, il revient à Moscou avant de devenir conseiller de la mission permanente de la nouvelle Fédération de Russie auprès de l’ONU puis chef de division, directeur-adjoint et enfin directeur du deuxième département de la Communauté des États indépendants (CEI). Il est alors amené à gérer des dossiers comme celui de la Biélorussie, de la Moldavie et de l’Ukraine et participe à de nombreuses négociations dont le retrait des ogives nucléaires tactiques.
Ne reconnaissant pas le terme «d’annexion», il considère que la Crimée est revenue à sa patrie natale, la Russie. «Les populations ont du travail et on y construit beaucoup. Le pont du détroit de Kertch en est un exemple. Les vies culturelle et touristique y sont très actives». Il récuse les accusations de droits des populations Tatars bafoués: «D’ailleurs, il existe trois langues officielles en Crimée, le russe, l’ukrainien mais aussi le tatar».
Victor Sorokin considère la Russie comme une partie intégrante de l’Europe géographique et pense que «le destin de la Russie est d’être un pont entre l’Europe et l’Asie». Il entend les critiques des médias européens mais assure pourtant ne rencontrer au fil de ses rencontres, que de bons propos à l’égard de Wladimir Poutine et sa politique. «La bonne gestion du pays, les nouvelles constructions et l’augmentation du PIB» sont autant de points sur lesquels l’argumentation de l’ambassadeur prend son appui.
 
 
126 ans de relations diplomatiques
 
Les liens qui unissent le Luxembourg à la Russie sont nombreux. Nous pourrions citer les influences culturelles, scientifiques et historiques que l’Europe et la Russie entretiennent réciproquement, mais Voltaire sur Catherine II, Robespierre sur Lénine, ou Dostoïevski sur Nietzsche, Freud, Camus, ne sauraient être résumés en quelques lignes seulement.
Les deux nations partagent des lieux d’histoires comme le front russe de la Seconde Guerre mondiale. Nombre de jeunes Luxembourgeois enrôlés dans la Wehrmacht, ont été envoyés dans les camps de captivités soviétiques comme celui de Tambov à la fin de la guerre.
Il y a aussi les liens de l’immigration, et si le Luxembourg compte aujourd’hui 3.000 résidents de nationalité russe, l’une des premières vagues d’immigration russe remonte à 1917, lorsque durant la révolution de février qui met fin au régime tsariste, une diaspora fuit la guerre et les famines pour venir travailler dans les mines de la Grande Région.
Plus loin encore, l’un des premiers rapprochements entre les deux pays remonte à la naissance même du Grand-Duché, ou du moins à son indépendance en 1839. Guillaume II qui a fait le choix de rejoindre le «Zollverein», l’union douanière allemande, donne une réception à laquelle l’Empereur de Russie, Nicolas Ier, décide d’y envoyer son ambassadeur en poste à Bruxelles. Victor Sorokin a eu la chance de lire ses notes de voyage qui sont la première trace d’une relation diplomatique vieille de 126 ans.
Aujourd’hui, il existe de nombreux intérêts économiques entre les deux pays, comme les fonds d’investissements pour lesquels le Grand-Duché est le troisième pays le plus actif de Russie, la législation luxembourgeoise en matière d’exploitation des ressources spatiales qui intéresse forcément le géant russe, ou encore la plateforme multimodale (de Bettembourg) qui pourrait devenir un centre européen du fret ferroviaire reliant la Turquie, l’Italie et pourquoi pas un jour, l’Asie en passant par la Russie…
 
Par Julien Brun

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