Une vie pour les autres

Difficile de faire entrer Patrick Bousch, notamment président de la Fondation pour l’Accès au Logement (FAL) et coordinateur en matière de politique nationale au Luxembourg Institut of Socio-Economic Research (LISER), au sein d’une case unique, si ce n’est peut-être celle du géographe. C’est autour d’un café, à Belval, dans l’ancienne place forte sidérurgique luxembourgeoise, qu’il s’autorise une parenthèse dans sa vie – très active – pour retracer son parcours et poser son regard sur la situation actuelle du logement au Grand-Duché.

 

Une terre d’adoption

C’est de l’autre côté du Luxembourg, en France, à Spicheren, un petit village situé à quelques minutes de Sarrebruck, que naît Patrick Bousch. Benjamin d’une fratrie de quatre garçons, il grandit au milieu d’un bassin minier dans lequel son père travaille en tant qu’électricien. Ses parents ont été fortement touchés par la Deuxième Guerre mondiale et ses conséquences, si bien que l’enfant n’a appris le français qu’à l’école primaire. « Mon père et ma mère ne nous parlaient pratiquement qu’en « Platt ». Au collège je me suis retrouvé parmi les élèves catégorisés comme dialectophones en cours d’allemand et j’ai eu du mal à apprendre les bases de notre langue française à un âge ou l’on doit déjà la maîtriser », se remémore-t-il. Dans son enfance, alors qu’il est victime de violentes crises d’asthme, l’actuel président de la Fondation pour l’Accès au Logement doit se rendre dans le sud de la France, en Lozère, pour suivre une cure et se soigner. Avec son fort accent allemand, les autres enfants l’invectivent à coups de « sale boche ». « En vivant près de la frontière allemande je ne me suis jamais vraiment senti comme un vrai Français de souche ».

Ce n’est que plus tard, lorsqu’il rencontre sa future épouse de nationalité luxembourgeoise lors de ses études de géographie à Strasbourg durant les années 1980, qu’il décide de s’installer par la suite au Grand-Duché. « J’ai repensé à cette partie de ma vie où mon accent allemand était une barrière. Au Luxembourg, toutes les langues sont parlées et acceptées, on ne se sent pas exclu, c’est fantastique. J’ai de suite apprécié l’ouverture d’esprit qui s’y dégageait, en ayant la sensation d’y avoir trouvé ma place », explique le coordinateur en matière de politique nationale.

 

Un appel aux communes à se mobiliser sur la question du logement

J’ai de suite apprécié l’ouverture d’esprit qui se dégageait au Luxembourg, en ayant la sensation d’y avoir trouvé ma place

S’il se rêvait footballeur puis géologue, c’est finalement vers la géographie que Patrick Bousch se tourne après avoir entamé des études de sciences économiques qu’il a très vite abandonnées « car le cursus comprenait trop de mathématiques ». Son attrait pour la « géo » se forge très tôt, à l’école, lorsque son instituteur fait défiler des diaporamas sur les différentes parties du monde. « Contempler de tels paysages m’émerveillait ». Plutôt attiré par la géographie physique qu’humaine, c’est finalement dans le dernier domaine qu’il fait sa carrière. D’abord dans un bureau d’études, comme aménageur et urbaniste en 1989 puis en tant que chargé d’études au CEPS/Instead (ancien LISER) en 1992. Grâce à ses compétences, le natif de Spicheren devient Président du Conseil Supérieur de l’Aménagement du Territoire en 2001, fonde l’Unité Géographie et Développement la même année, qui deviendra le futur département « Urban Development & Mobility » du centre de recherche, puis l’Observatoire de l’Habitat en 2003 en collaboration avec le ministère du Logement. C’est dans le cadre des travaux de l’Observatoire qu’il fait la rencontre de José-Anne Schaber. Elle est membre de la Fondation pour l’Accès au Logement (FAL), dont il deviendra le président en 2020. Elle est la fille de Gaston Schaber, le fondateur du CEPS/Instead (qui deviendra le LISER par la loi de 2014 sur les CRP) avec qui Patrick Bousch noue des liens très solides. « C’était un visionnaire, un précurseur sur les questions sociales et transfrontalières qui animent les débats d’aujourd’hui ». Au regard de sa carrière, Patrick Bousch a progressivement fait du logement son sacerdoce.

« Notre nouveau défi aujourd’hui est de créer un observatoire transfrontalier du logement en raison de la crise qui frappe notre pays et les territoires voisins. Nous constatons un phénomène de métropolisation du Grand-Duché qui dérègle le marché immobilier autant national que transfrontalier. Les prix grimpent des deux côtés de la frontière et les résidents luxembourgeois se voient peu à peu contraints de quitter leur pays pour se loger. Cet effet repoussoir n’est pas sans conséquences », explique-t-il. Patrick Bousch reste optimiste et préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Il atteste que les solutions pour endiguer la crise existent. Selon lui, les communes ont un rôle très important à jouer dans la rétention des habitants, et surtout des jeunes, en leurs permettant de rester grâce à la construction de logements abordables avec le soutien l’État.

 

Augmenter le nombre de logements sans artificialiser d’autres surfaces

Patrick Bousch déplore les décisions prises il y a plusieurs décennies, lorsque les responsables communaux ont cédé leurs places à bâtir aux promoteurs privés alors qu’aujourd’hui certaines localités atteignent leurs propres limites de développement puisqu’elles ne peuvent plus empiéter sur d’autres surfaces en raison des lois qui freinent l’artificialisation des terres. « Ils ne sont pas à blâmer, mais les promoteurs recherchent le profit et ont créé plus de maisons individuelles que d’immeubles. À l’heure actuelle, les solutions se trouvent dans la densification des logements, soit en divisant les maisons en appartements, soit en construisant plus haut, sans se heurter à la lourdeur administrative qui ralentit bon nombre de projets. Cela passe également par une modification des PAG actuels », indique le président de la FAL, qui salue l’introduction de l’article 29bis du Pacte Logement 2.0, mené par le précédent gouvernement, obligeant les promoteurs à dédier un pourcentage de leur terrain au logement abordable.

D’autres alternatives existent, comme l’implantation de logements modulaires ou de « tiny houses » sur les 1.700 ha de Baulücken, ces espaces non bâtis qui se trouvent au cœur des villes et des villages. « Imaginez le nombre d’infrastructures que l’on pourrait ériger sur ceux-ci. Encore une fois, les démarches sont à la fois freinées par les autorisations de bâtir spécifiques à chaque commune et par la volonté des propriétaires de s’asseoir sur leur trésor. Il en va de la responsabilité collective d’utiliser ces terrains, car le logement est le socle du bien-être d’un individu et d’une société saine. Il se trouve à la base de la lutte contre les inégalités sociales, c’est un besoin primaire sur lequel nul ne doit spéculer », prévient le spécialiste.

 

La voie de l’exemple

Quoi de mieux que de montrer l’exemple par soi-même ? Véritable figure du LISER, Patrick Bousch s’est lancé, avec le soutien du président de son conseil d’administration, dans la création d’une « Guest House » pour accueillir les chercheurs qui se rendent temporairement au Grand-Duché et leur proposer une solution d’hébergement. Le LIST et l’Université du Luxembourg notamment ont rejoint le projet. « Nous avons trouvé un promoteur immobilier qui nous a livré le bâtiment en 2015. C’est une fierté pour une institution comme la nôtre de pouvoir proposer ce type d’alternative à des étudiants ou à des professeurs ». D’une certaine façon, Patrick Bousch démontre que tout est possible. « Aussi minime soit-il, la « Guest House » est un des nombreux exemples à suivre à plus grande échelle, notamment au niveau communal ».

 

La satisfaction de l’altruisme

Malgré son emploi du temps bien rempli, le fondateur de l’Observatoire de l’Habitat se plaît à replonger dans la géographie physique en donnant des cours aux étudiants sur les bancs de l’Université du Luxembourg. Patrick Bousch jongle avec plusieurs casquettes, dont celle du bénévole. Vice-président de l’asbl Aménageurs et Urbanistes du Luxembourg (AULA) et membre du conseil d’administration de la société luxembourgeoise de géographie, il s’engage aussi en faveur des enfants atteints de dysphasie. « Ma fille est touchée par ce handicap invisible et je suis vice-président de dysphasie.lu », explique-t-il.

Si l’heure de la retraite sonnera bientôt, Patrick Bousch compte rester actif, « principalement dans le bénévolat. Il n’y a pas plus grande satisfaction que d’aider son prochain ou lorsqu’on donne sans attendre en retour. J’ai aussi ce sentiment à la FAL car la Fondation sert une cause très noble », conclut-il.

 

Par Pierre Birck