Prendre soin des professionnels de santé : un enjeu sociétal

Si la population est en croissance constante, le nombre de personnes âgées l’est aussi et les médecins – déjà peu nombreux au Luxembourg – n’y font pas exception. Les départs à la retraite riment donc avec pénurie pour le secteur médical et il revient au nouveau gouvernement de trouver des solutions, et vite. Après avoir posé un diagnostic avec les acteurs concernés, PwC Luxembourg souhaite accompagner les décideurs dans leur tâche. David Larivière, Health Industries & Public Sector Director, et Charlotte Gauthier, Senior Healthcare Consultant, posent le bilan et détaillent le cap à prendre.

 

Le Luxembourg compte 3 médecins pour 1.000 habitants – ce qui est de 23% inférieur à la moyenne de l’UE en 20191 – et ce chiffre risque encore de chuter. Concrètement, à quels risques nous exposons-nous si nous ne renversons pas la tendance ?

DL : La situation exige assurément un changement rapide et drastique. Non seulement la population ne cesse d’augmenter – le recensement montre une progression constante de 30 à 35% jusqu’au moins 2050 – et de vieillir – presqu’une personne sur cinq au Luxembourg a plus de 65 ans alors que la moyenne d’âge des médecins était de 51 ans en 2020 et n’a pas diminué depuis. Cela signifie que les besoins en soins de santé seront de plus en plus importants dans les années à venir et la nouvelle génération de médecins ne sera pas suffisamment importante pour combler les départs à la retraite de ses aînées. L’urgence n’est donc plus aux calculs et aux estimations mais à la mise en œuvre d’actions concrètes et efficaces.

CG : Si rien n’est fait, la qualité de l’accompagnement médical et la capacité de prise en charge des hôpitaux risquent de ne plus être assurées. Par conséquent, nombreux sont ceux qui devront traverser la frontière pour se soigner. Cette solution ne sera toutefois que temporaire puisque nos voisins sont confrontés aux mêmes problématiques démographiques et de vieillissement de la population et ne seront pas en mesure de prendre en charge de nouveaux patients venant du Luxembourg.

 

La crise du Covid-19 a mis en lumière certaines faiblesses du système de santé luxembourgeois, notamment sa forte dépendance aux professionnels frontaliers. Quelles leçons a-t-on pu en tirer ?

CG : La pandémie a permis de prendre conscience que, s’il est essentiel de développer l’offre de formations pour le personnel médical et paramédical, cela ne suffira pas. En effet, les études pour devenir médecin durent dix à douze ans. D’ici 2030, nous connaîtrons de ce fait une aggravation de la situation. Le Luxembourg doit attirer de nouveaux professionnels de santé en prenant des mesures améliorant les conditions de travail et favorisant un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle. L’une des pistes à envisager s’oriente vers la réduction de la charge administrative par la mise en place d’outils digitaux, par une meilleure répartition des tâches ou encore par un désengorgement des structures hospitalières urbaines.

DL : Il est vrai que nous sommes aujourd’hui confrontés à un phénomène « d’hospitalo-centrisme » qui doit être enrayé. L’atteinte de cet objectif ne se fera que par un changement du système dans son ensemble. Cela passe par une politique de prévention pour inciter les patients à adopter les bonnes pratiques en matière de santé pour éviter une prise en charge urgente. Pour garantir l’efficacité d’un dispositif de prévention, il faudrait également repenser le modèle de rémunération des médecins – actuellement déterminé par les actes effectués sur des patients malades – et créer de nouvelles structures médicales en zones rurales, autour de parcours coordonnés, en particulier pour les pathologies chroniques telles que le diabète, ou pour la prise en charge des cancers. De même, une nouvelle répartition des missions entre les personnels de soins doit s’envisager rapidement, autour de délégations d’activités des médecins vers les infirmiers ou des infirmiers vers les aides-soignants.

Ces changements doivent être élaborés de concert avec les pays de la Grande Région afin de mettre sur pied une stratégie commune et, ainsi, empêcher une concurrence source de déstabilisation des quatre systèmes de santé.

 

Comment PwC peut-il accompagner les acteurs responsables de l’élaboration des mesures à envisager et de leur mise en œuvre ?

DL : Nous avons mené une étude sur les ressources humaines en santé de notre propre initiative car, grâce à notre expertise dans ce domaine d’activité et au regard de l’urgence, nous avons considéré qu’il était impératif de mettre en lumière un sujet qui est évoqué sur la scène publique, mais pas suffisamment traité en profondeur. La pertinence de notre démarche s’est d’ailleurs confirmée par un taux de contribution significatif : 70% des personnes et établissements sollicités ont répondu à notre appel, alors que la moyenne de participation à ce type d’enquête s’élève généralement à 30 ou 35%.

Notre ambition, maintenant que nous avons posé un diagnostic, est de travailler main dans la main avec le ministère de la Santé et de la Sécurité Sociale à la rédaction d’une feuille de route détaillée. L’accord de coalition a déjà fixé un cap en adéquation avec les résultats de notre étude. L’enjeu est désormais d’envisager des actions concrètes en association avec les professionnels et les partenaires sur le terrain qui sont en attente d’actions fortes et rapides. Sur le volet de la formation, nous préconisons un réel partenariat des universités de la Grande Région autour d’un projet pédagogique commun et d’un parcours de formation coordonné des futurs médecins. Ce parcours pourrait s’articuler autour d’un hôpital universitaire ou de services universitarisés et agréés comme tels. Cela permettrait non seulement de renforcer les équipes médicales et, de ce fait, de mieux répartir les tâches, mais aussi d’offrir aux futurs médecins la possibilité de rester au Luxembourg pour toute la durée de leurs études, voire au-delà.

CG : Notre propre expérience sur certaines thématiques RH est également un atout pour conseiller le ministère. Aujourd’hui, la rémunération seule ne suffit plus pour satisfaire la nouvelle génération sur le marché de l’emploi. Il faut trouver des moyens différents d’attirer les jeunes et, si les conditions de travail ne sont pas les mêmes entre notre réalité et celle des professionnels de santé, nos pratiques dans le domaine du bien-être de nos salariés et de l’équilibre entre travail et vie personnelle sont adaptables à d’autres contextes. Ces éléments sont parmi les plus déterminants dans les choix des employés, en santé ou ailleurs. Il serait donc intéressant de travailler par exemple sur l’adaptabilité des horaires ou sur des prestations qui faciliteraient la vie des salariés.

De plus, la taille de notre groupe nous offre de nombreux points de vue inspirants pour conseiller au mieux les décideurs. Nous bénéficions notamment du retour d’expérience de plusieurs pays, et notamment celui de Singapour, avec lequel nous avons récemment travaillé et dont le territoire et la situation démographique sont comparables à ceux du Luxembourg. Bien qu’aucun système ne soit transposable, les expériences de nos confrères sont riches d’enseignements et d’idées pour construire le futur de la santé au Luxembourg.

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