Des paroles aux actes ! Promotion de politique d’entreprise vs partie intégrante du métier…

Lorsque nous abordons la durabilité, le domaine de la construction ne peut être évité. En 2021, le secteur du bâtiment était responsable de plus de 20% des émissions de CO2 au Luxembourg. Avec 1,65 million de tonnes de CO2 émis, il occupe la deuxième place des secteurs les plus polluants du pays, juste après celui des transports. Toutefois, face à l’urgence écologique, une révolution s’opère et bouscule les pratiques de construction, portée par une volonté profonde de changement, devant pour autant être adaptée aux particularités territoriales, comme nous l’expliquent les experts du bureau d’ingénieurs-conseils Betic, part of Sweco. Thierry Collin et Franck Doron, tous deux Partners-Team Managers, intervenant sur les sites de Wiltz pour le premier et de Dippach pour le second, et Meike Ensch, Team Manager de l’équipe de Steinheim, à l’est du pays, nous éclairent sur ces défis…

 

Quel est le rôle des acteurs du secteur dans la diminution des émissions de gaz à effet de serre ?

TC : Au Luxembourg, nous faisons face à un double défi. D’une part, nous sommes confrontés à une crise climatique majeure et, d’autre part, le pays connaît une pénurie critique de logements. Cependant, nous savons que le secteur du logement contribue de manière significative à la crise climatique par les méthodes de construction, de chauffage, de refroidissement, de consommation des ressources et matériaux et d’aménagement des terrains… Nous avons forcément un rôle clé à jouer dans le renversement de cette situation. C’est pourquoi nous tâchons d’œuvrer au quotidien à la mise en place de solutions pour relever le défi de l’urbanisation croissante, tout en contribuant, à notre humble mesure, à rendre le Luxembourg plus durable.

Nous avons véritablement, via notre travail quotidien, l’ambition de façonner les villes et collectivités durables de demain

ME : À nos yeux, intégrer la durabilité sur chaque projet n’est clairement pas un point différenciant. Il n’y a pas d’intérêt à déployer de politique de durabilité au sein de notre entreprise puisqu’elle est la base même de nos métiers, donc de nos concepts. J’imagine qu’il en va de même pour tous nos confrères. Si je prends un exemple simple : nous avons tous conscience que l’eau est une ressource précieuse, il est donc normal de proposer systématiquement une optimisation de son exploitation. Pour le projet KIEM 2050, lancé en partenariat par le Fonds Kirchberg, Immobel et Prefalux, le concept mis en place inclut la récupération des eaux pluviales et la réutilisation des eaux grises. Pour la nouvelle école de Warken, portée par la commune d’Ettelbruck, les eaux grises sont traitées et réutilisées pour les sanitaires. Quant au complexe sportif que nous gérons pour la commune de Michelau en Allemagne, l’eau de pluie est stockée et réutilisée pour l’irrigation du terrain de foot… Pour un ingénieur d’aujourd’hui, ces réflexions sont la base de tout concept technique.

 

Les concepts que vous imaginez prennent-ils pour autant en compte des spécificités territoriales ?

FD : Il faut clairement en tenir compte ! Nos projets ne sont pas les mêmes au nord et au sud, ou encore à l’est du pays. Les différences sont d’ailleurs marquées sur certains aspects. Dans le sud, la population est plus dense. Nous construisons ainsi des projets plus hauts pour pallier le manque de surfaces constructibles : complexe Gravity à Differdange conduit par BPI Real Estate, Capelli Towers à Esch-Belval, développées par le promoteur Capelli. à l’inverse, dans le nord du pays, les espaces sont plus vastes et les objectifs diffèrent. Là, il est question de dynamiser le territoire, comme avec le projet du Fonds du Logement de revalorisation et requalification de l’ancienne friche industrielle « Wunne mat der Wooltz », à Wiltz, où nous travaillons sur plusieurs lots. Nos projets sont véritablement variés, tant en taille qu’en finalité, et les techniques le sont tout autant. Nos quatre bureaux implantés sur le territoire (Dippach, Esch-sur-Alzette, Steinheim et Wiltz) contribuent à cette proximité avec nos clients et leurs projets, mais aussi à la maîtrise des particularités locales, qu’elles concernent les aspects culturels, les différences géologiques…

Il n’y a pas d’intérêt à déployer de politique de durabilité au sein de notre entreprise puisqu’elle est la base même de nos métiers, donc de nos concepts

TC : Nous notions cependant des différences territoriales beaucoup plus marquées il y a dix ou quinze ans. Celles-ci s’amenuisent de plus en plus… La géothermie, par exemple. Auparavant, nous en installions principalement dans le nord, mais, désormais, avec l’avancée de la technologie et l’amélioration des rendements, même pour des forages à faible profondeur, nous les intégrons bien plus dans nos concepts, y compris dans le sud du pays. Certes, certaines techniques ne sont pas optimales sur tout le territoire. Les tours de refroidissement hybrides sont davantage préconisées dans le nord du pays, car elles nécessitent des milieux où l’air est peu pollué, sans quoi un rinçage à l’eau fréquent est nécessaire pour maintenir les surfaces de l’échangeur thermique propres et empêcher la prolifération de bactéries. La présence de cette technique sur le territoire est donc très disparate. Cela va d’ailleurs encore évoluer puisqu’ actuellement nous travaillons à limiter les systèmes de climatisation mécanique dans un souci environnemental en favorisant les refroidissements passifs.

 

Alors comment allez-vous assurer le confort durant les périodes de forte chaleur ?

FD : Nous réfléchissons à des concepts alternatifs. C’est l’essence même de notre métier. Pensez au concept 22|26, faisant référence à la plage de températures allant de 22 à 26°C. Celle-ci peut être atteinte et maintenue de manière entièrement naturelle, sans aucun système de chauffage, de ventilation ou de climatisation mécanique. Ces projets ont démontré, ou du moins sont en train de démontrer, leur efficacité pour les occupants sans pour autant être plus coûteux à construire, ni réduire le confort de vie. Nous mettons en pratique ce concept sur plusieurs projets. Je pense notamment à la maison de vie pour personnes en situation de démence, située à Heisdorf, à l’initiative de l’asbl Maredoc, ou à la nouvelle mairie de la commune de Käerjeng…

 

Mais pouvons-nous aller vraiment plus loin dans la conception de bâtiments durables ?

ME : Tout est imaginable et nous pouvons bien entendu toujours aller plus loin, surtout si tous les métiers travaillent ensemble, dans la même philosophie ! Nous avons contribué par exemple aux plans techniques du projet pilote Äerdschëf, situé à Rédange-sur-Attert, lancé par l’Administration des bâtiments publics, dont la conception a été confiée à Beng Architectes Associés et au bureau d’ingénierie SGI. Il s’agit du premier bâtiment public au monde inspiré des « Earthships » (géonefs) et adapté au milieu tempéré du Luxembourg. Il joue un rôle pédagogique et de recherche, tant en termes de low-tech que de circularité. Réalisé à partir de matériaux écologiques et/ou recyclés, autosuffisant en eau, assainissement, électricité, chauffage et en production alimentaire, il prouve qu’en unissant leurs savoir-faire nos professions sont capables d’aller très loin.

TC : Nous travaillons aussi sur le projet de Campus Scolaire Géizt, dans le futur quartier « Wunne mat der Wooltz », pour lequel seuls des matériaux de construction (tels que les calorifuges des techniques, les isolants de chauffage sol, etc.) sains et à faible impact environnemental ont été sélectionnés. La commune joue d’ailleurs le rôle de pionnier en matière d’économie circulaire au Luxembourg. En 2019, Wiltz est devenue la première commune luxembourgeoise à intégrer les principes de l’économie circulaire dans son règlement communal et a été retenue par le gouvernement comme « hotspot » communal de l’économie circulaire. Tous ces projets démontrent, si besoin en était, l’importance de s’adapter aux particularités territoriales et aux besoins spécifiques de nos clients. Mais notre engagement va au-delà de la simple réponse aux besoins présents. Nous avons véritablement, via notre travail quotidien, l’ambition de façonner les villes et collectivités durables de demain.

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