Le Ranger de la tech créatif et engagé

Le regard plongé dans le monde virtuel et les pieds bien ancrés dans le réel, telle pourrait être la description très succincte de Matthieu Bracchetti. En se prêtant au jeu du portrait, le CEO de Virtual Rangers dévoile les facettes de sa personnalité qui ont influencé ses choix, sa conception de l’entreprenariat et sa vision « Tech4Good » de la technologie. Il retrace son parcours : un équilibre entre les pixels et le réel, teinté d’humanisme, de rêves et d’un soupçon d’intuition.

 

Navigateur créatif

Matthieu Bracchetti naît et grandit au Luxembourg avec sa sœur jumelle. « à l’école, j’étais un élève plutôt sérieux, mais je n’ai jamais compris l’utilité d’apprendre des leçons par cœur. J’écoutais attentivement en cours, mais je ne faisais pas régulièrement mes devoirs, contrairement à ma sœur », se remémore-t-il. L’enfant qu’il était a des rêves plein la tête. S’imaginant successivement pilote de chasse, puis de Formule 1 et astronaute, Matthieu Bracchetti navigue en eaux troubles lorsqu’il doit réfléchir à son avenir, mais développe un goût prononcé pour les machines et la mécanique à mesure qu’il grandit. « À l’époque, mon meilleur ami, qui l’est toujours, habitait juste à côté de chez moi. Pour nous, pas question de taper dans un ballon et d’avoir des hobbies comme les autres. Alors oui, je faisais de la natation, mais la chose qui nous passionnait par-dessus tout, c’était le bricolage. Avec le recul, je me rends compte que j’ai été très tôt attiré par les activités créatives sans en avoir réellement conscience. Nous nous amusions, entre autres, à créer des bateaux pour les faire flotter. Je dois avouer que nous n’étions pas très doués : beaucoup d’entre eux ont sombré ! Le fond des cours d’eaux du Luxembourg doit certainement être jonché d’épaves de nos embarcations ! J’espère que l’Administration de la gestion de l’eau ne nous en voudra pas », plaisante-t-il.

 

Le manège du destin

Les années passent et Matthieu Bracchetti décide de poursuivre ses études en suivant une licence en robotique à Metz. « Ça a été de très belles années. Le métier d’ingénieur paraît peu créatif de prime abord, mais il l’est dans son essence même. Un ingénieur construit et créé des machines pour répondre à des problèmes et imaginer une solution qui n’existe pas encore. Cette partie du métier me plaisait énormément. Lorsque j’étais étudiant, je n’ai jamais compté mes heures. Il m’arrivait même de demander des dérogations afin de ramener des gadgets et des machines de l’université dans mon petit appartement pour bricoler la nuit, pour le plus grand bonheur de ma copine de l’époque… », se souvient-il en riant.

Sa licence en poche, il aspire alors à travailler dans le domaine des manèges en Allemagne, chez l’un des leaders mondiaux en la matière. « Je crois qu’au fond de moi j’avais déjà cette envie de faire rêver les gens. Là, c’était à travers les attractions. Malheureusement, mon niveau d’allemand n’a pas été assez bon pour que je sois retenu. Je ne me voyais pas travailler toute ma vie dans une usine en laissant mon aspiration de côté, alors j’ai décidé de poursuivre mes études. C’est à ce moment-là qu’un master dédié au développement durable a ouvert au Luxembourg. Je m’y suis inscrit un peu par défaut. Pourtant, il s’est finalement révélé très complémentaire à mon précédent cursus puisque j’alliais la partie environnementale au domaine
de la robotique ».

 

Le courage d’entreprendre

Matthieu Bracchetti intègre ensuite un bureau d’ingénieurs, puis gravit les échelons et devient responsable de l’innovation. Il y reste trois ans et, dans le cadre de ses activités, collabore avec un scénographe en charge d’un projet de musée sur la biométhanisation. « Cette rencontre a été très marquante. Il m’a accompagné et m’a transmis les codes de son métier et une certaine vision de la créativité. Si je parviens aujourd’hui à canaliser mes idées, c’est en grande partie grâce à lui. J’ai acquis une méthodologie qui aurait permis aux bateaux de mon enfance de ne pas couler », sourit-il.

Après cette expérience, Matthieu Bracchetti devient responsable du développement chez ImSim qui offre des technologies telles que la réalité augmentée ou la 3D à des entreprises de construction. « Je n’ai malheureusement plus adhéré à la vision d’avenir de l’entreprise. J’ai donc décidé de tout quitter pour lancer ma société, quitte à me tromper et malgré les réticences de mes parents qui avaient subi une faillite par le passé », explique-t-il. Les angoisses et la peur d’échouer font cogiter Matthieu Bracchetti, jusqu’à ce qu’il croise son premier associé : « Il m’a mis le pied à l’étrier, a levé des fonds et m’a aidé à me lancer dans l’entreprenariat. C’est ainsi que j’ai créé Virtual Rangers en 2017, un studio de création d’applications immersives en réalité virtuelle et augmentée. Depuis le début de cette aventure, je suis entouré d’une équipe qui me soutient, qui est devenue ma deuxième famille et sans qui rien n’aurait été possible ».

Le premier contact avec la réalité virtuelle a été comme une révélation pour
Matthieu Bracchetti : un mélange d’émotions et de perspectives infinies. « J’ai senti que cette technologie pouvait être utile au-delà du divertissement, aux niveaux professionnels, culturels ou pédagogiques par exemple ». Outre les nombreux travaux que Virtual Rangers a réalisé avec des grands noms du paysage économique luxembourgeois, tels que les CFL ou POST, le CEO retient avant tout un projet dont il est fier et qui illustre sa relation avec la technologie.

 

« Le projet le plus émotionnel, le plus dur, mais aussi le plus beau »

« Nous avions un projet en commun avec le CHL. Celui-ci traitait de divers sujets comme les risques d’incendies, la formation du personnel, etc. Nous nous sommes aussi demandés si des patients pouvaient bénéficier de notre savoir-faire et de la réalité virtuelle dans leur processus de soin ou de guérison. En 2019, l’hôpital nous a naturellement ouvert les portes de son service de pédiatrie et, chaque jour, nous offrions une expérience virtuelle aux enfants malades à l’aide d’un casque pour détourner leur attention durant les prises de sang. Nous sommes ensuite allés plus loin et avons développé un projet avec la Fondation Losch. Il s’agit d’une application mettant en scène Roudy, un petit lion rouge qui suit les enfants durant leur séjour à l’hôpital. Ce personnage fait voyager les petits patients dans un monde magique et truffé d’aventures. Toute une histoire s’organise autour de l’enfant et de Roudy qui l’accompagne durant ces épreuves difficiles. Je crois que c’est le projet le plus émotionnel, le plus dur, mais aussi le plus beau que nous ayons réalisé. Voir les parents soulagés et les enfants heureux n’a pas de prix », explique-t-il. Quant aux bénéfices, ils sont entièrement dédiés au développement du projet et l’excédent est automatiquement reversé à des associations œuvrant pour les enfants malades.

Les seniors ne sont pas en reste puisque Matthieu Bracchetti attache beaucoup d’importance au lien intergénérationnel. « Plus jeune, j’étais vraiment connecté avec ma grand-mère. Malheureusement, son âge avancé lui faisait peu à peu perdre la mémoire. Je regrette de ne pas avoir pu la plonger dans des endroits familiers, comme son village d’enfance ou sa maison, pour lui faire revivre ses souvenirs et recréer du lien avec elle. C’est la deuxième mission que je me suis donnée, car je suis convaincu que la technologie et son utilisation par les seniors sont compatibles », ajoute-t-il.

 

La crainte des dérives

Si Matthieu Bracchetti dispose d’une vision « Tech4Good » de la technologie et de ses évolutions, il reste néanmoins bien placé pour connaître les possibles dérapages de la réalité virtuelle. Le nom qu’il a choisi pour sa société n’est pas anodin. Le CEO compare sa structure à une armée de Rangers de la réalité virtuelle, luttant contre les dérives et offrant un côté rassurant et bienveillant pour les utilisateurs. S’il ne souhaite pas tomber dans la démagogie, Matthieu Bracchetti redoute l’arrivée de certains jeux vidéo violents qui propulsent l’immersion à son paroxysme, parce que la manette d’une console n’a pas les mêmes impacts qu’un casque avec des gestes réalistes. « La réalité virtuelle est un outil formidable, mais il ne doit pas pousser à l’isolement ou à la folie. Ces risques pourraient arriver si l’on ne définit pas réellement et correctement la frontière entre le réel et le virtuel », décrit l’expert qui préfèrerait voir les décideurs réguler les nouvelles technologies avant leur lancement sur le marché.

 

Surfer sur la vague de la déconnexion

S’il entend développer sa société à l’international, en Asie ou aux états-Unis, à force de voyage d’affaires « qui ne sont pas reposants mais tellement enrichissants », Matthieu Bracchetti profite de ses quelques instants de temps libre pour se déconnecter et se ressourcer. « Ce n’est pas une légende, un entrepreneur a du mal à concilier vie professionnelle et vie privée », concède-t-il.

Il se plaît alors à trouver des lieux apaisants pour se changer les idées et prend beaucoup de plaisir à se rendre dans le nord du pays, à faire de la moto au milieu des paysages naturels, à se balader dans la Petite suisse luxembourgeoise, à se dépayser. « Mes proches me disent que je suis accro au téléphone à cause du travail, alors j’essaie le plus possible de m’en détacher et de me déconnecter lorsque je suis avec eux, pour profiter de mes neveux et nièces ou lorsque je suis seul pour me vider l’esprit ». Car oui, la technologie doit apporter du bien-être à l’être humain et non l’asservir. C’est cette vision humaine et responsable, parfois difficile à mettre en œuvre, que Matthieu Bracchetti défend et promeut avec Virtual Rangers.

 

Par Pierre Birck

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