L’art d’éveiller les consciences

Sa voix calme, son regard posé, sa démarche sûre et détachée à la fois, détonnent avec sa barbe fournie – désormais si iconique – mais taillée à la perfection. Installé sur un pouf qu’il a lui-même réalisé avec des matières recyclables, Jacques Schneider, l’artiste luxembourgeois aux multiples facettes, nous reçoit dans son concept-store à la Cloche d’Or. Il se livre sur son parcours, empreint d’humanisme, de philosophie et d’harmonie avec ce qui l’entoure, pour nous aider à mieux comprendre son cheminement artistique et le message fort et bienveillant qu’il souhaite transmettre à travers ses nombreuses œuvres. Portrait d’un artiste activiste.

 

La vie en bleu et orange

Jacques Schneider passe la majeure partie de son enfance entre la France et le Luxembourg chaque week-end et lors des vacances scolaires. Les première années de scolarité ne sont pas les plus aisées pour l’élève qu’il était. «M’exprimer oralement n’était pas facile à l’école. J’avais des difficultés pour parler, pour lire ou pour écrire car j’étais dyslexique». C’est à six ans seulement qu’il vit deux événements qui marquent encore l’homme affirmé et l’artiste qu’il est devenu. «À l’école maternelle, on nous a demandé de dessiner le ciel avec un soleil. J’ai utilisé le bleu et l’orange. Très contrariée par mon choix d’utiliser ces teintes, l’institutrice m’a aussitôt demandé de cesser car, selon elle, le soleil doit se colorier en jaune. J’en ai été perturbé toute la journée. Alors, le soir même, mon père a organisé un conseil de famille. Il m’a dit: «Dans la vie, il faut toujours faire des choix qui viennent du cœur et peu importe le chemin que tu prendras, ta mère et moi seront très fiers de toi». J’ai alors compris que personne ne devait dicter mes choix ou pire: restreindre ma créativité», se remémore Jacques Schneider. Depuis, le bleu et l’orange sont devenus ses couleurs de prédilection.

Regarder autour de soi, se faire surprendre par la beauté qui nous entoure, voilà le message que j’essaye de transmettre à travers mes œuvres

À la même période, il doit raconter à ses camarades l’une de ses balades sous le pont Adolphe avec sa grand-mère. «C’était difficile de relater ce que je faisais durant mon temps libre. J’ai donc décidé de prendre un crayon et de dessiner le pont et la promenade de mon point de vue. Tout le monde a adoré. D’une part, j’avais enfin la sensation d’avoir trouvé ma place parmi les autres et, d’autre part, d’avoir découvert le bon moyen pour m’exprimer et me faire comprendre par autrui: à travers la peinture et le dessin», explique-t-il. Son père, mathématicien mais artiste dans l’âme, et sa mère, photographe, stimulent son goût pour l’art dès l’enfance, si bien que Jacques Schneider n’envisage aucune autre option que celle de devenir artiste.

 

Une «éponge», un «artiste activiste»

Très tôt, ses parents lui donnent des responsabilités et l’encouragent à devenir indépendant, non pas car leur relation se détériore, mais pour l’aider à s’affirmer. «Ils ne m’ont, par exemple, jamais véhiculé, je me déplaçais toujours par mes propres moyens. À 16 ans, j’ai décidé de quitter le foyer familial car je travaillais en plus de mes études au lycée. Cela me permettait  de payer un loyer avec l’idée de vivre de mes propres moyens, de mes propres choix et de créer comme je le voulais». Avide de savoirs et curieux, Jacques Schneider choisit également toutes les options possibles et imaginables durant sa scolarité. «J’ai toujours été une «éponge» car j’essaye d’apprendre et de découvrir le plus de choses possibles».

Même s’il n’apprécie pas ce mot, Jacques Schneider se décrit lui-même comme un «artiste activiste». «Depuis la nuit des temps, l’art a pour objectif de transmettre des messages. Mon art, qu’il soit pictural ou plastique, est une forme d’activisme même s’il est «peace and love» et positif. Le leitmotiv de ma création, c’est de montrer ce que j’aime et pourquoi je l’aime. Regarder autour de soi, se faire surprendre par la beauté qui nous entoure, voilà le message que j’essaye de transmettre à travers mes œuvres», explique-t-il.

Dans ses créations, l’artiste s’inspire du Luxembourg, de ses paysages, de ses monuments. Il aime à se perdre en se promenant à la campagne ou en visitant des châteaux par-delà le territoire. «Je suis comme un adolescent qui tombe amoureux: je m’émerveille à chaque virage que je prends, je découvre un autre monde, comme dans Mary Poppins lorsque Bert saute dans les paysages qu’il dessine à la craie», illustre cet esprit créatif.

L’univers artistique de Jacques Schneider ne se limite toutefois pas aux réalisations picturales ou plastiques. Son art est multiple, en témoigne la création de sa ligne de vêtements qui cartonne. «En 2017, ma sœur souhaitait m’offrir des vêtements correspondant à des valeurs éthiques: label Fairwear, design luxembourgeois, matière bio… mais je ne pouvais pas lui conseiller une marque en particulier car cela n’existait pas! C’est ainsi que j’ai décidé de créer ma propre ligne de vêtements qui regroupe toutes ces caractéristiques. J’ai commencé par commander mes t-shirts «garçon grand-ducal» pour mon utilisation personnelle, avant qu’on me demande une collection «fille grand-ducale» et d’étoffer mon offre au fur et à mesure. Aujourd’hui, je propose de nombreux vêtements mettant le Luxembourg à l’honneur!», sourit-il.

 

Des rencontres qui façonnent sa personnalité

Convaincu que le patrimoine est «un socle extraordinaire pour le vivre-ensemble», Jacques Schneider milite pour la cohésion sociale à travers ses œuvres et allie le plaisir à la magie de tous les instants. Ces moments magiques, comme il aime à les décrire, se forgent aussi au travers des rencontres, fortuites ou non. «Je me souviens de toutes les personnes avec qui je discute, elles marquent ma personnalité. Je pars du principe que c’est grâce aux rencontres que l’on parvient à changer et à devenir une meilleure personne», relate Jacques Schneider.

Rencontrer un animal qui n’a peut-être jamais vu un seul être humain de sa vie, mais qui l’accepte sans appréhension et sans jugement est une belle leçon de vie

S’il devait en retenir une en particulier, c’est celle avec le couple grand-ducal qu’il côtoie depuis dix ans, notamment dans le cadre de son travail. Les discussions avec S.A.R. le Grand-Duc et la Grande-Duchesse ont profondément changé l’homme, l’artiste et sa vision du monde. «Par exemple, la façon dont le souverain voit les 170 nationalités qui composent notre territoire est extraordinaire. Il parle avec son cœur et honnêteté. Son Altesse conçoit chaque individu en tant que personne qui met sa pierre à l’édifice pour le bien de la société, peu importe son origine, sa couleur de peau ou son orientation sexuelle. Quant à la Grande-Duchesse, elle m’a appris l’empathie, qu’il fallait prendre en considération que chaque être humain a des perceptions différentes. J’aime beaucoup sa philosophie qui est d’accepter l’autre tel qu’il est, comme un cadeau. La très grande majorité des personnes sur Terre essaye de faire pour le mieux et souhaite faire plaisir à son prochain. Il suffit juste d’accepter les différences et d’être tolérants par rapport aux actions des autres car, même si chacun a un code de lecture différent, le but est le même pour tous. Ce sont avant tout ces exemples de valeurs humaines qui m’ont le plus touché lors de chacune de mes rencontres avec le couple grand-ducal», décrit l’artiste luxembourgeois.

 

«Une révélation sur ce qui nous lie à la nature»

S’il s’inspire du Grand-Duché, Jacques Schneider accueille et prend le monde à bras ouvert pour son enrichissement personnel en tant qu’individu et en tant qu’artiste. Tous les voyages qu’il entreprend le marquent, dont un plus particulièrement: «C’était en 2016, au Rwanda, lorsque j’ai rencontré un gorille à dos argenté. Mes accompagnateurs m’ont indiqué qu’il fallait lui montrer du respect en s’asseyant plus bas que lui afin qu’il nous intègre à sa famille. Ceci fait, le gorille a marché avec nous durant plus d’une heure. Il nous a ouvert le chemin dans la forêt de bambous, a compté chacun d’entre nous pour vérifier que tout le monde était présent. Puis, celui-ci nous a aidés à franchir une falaise dans les montagnes en écartant les branches qui nous gênaient pour faciliter notre chemin. Cette rencontre a été une vraie révélation sur ce qui nous lie à la nature. Ce gorille m’a enseigné que l’Homme en est un élément, mais qu’il n’est pas supérieur à elle. Il faut s’imaginer un vivre-ensemble total avec la nature et les êtres vivants qui la composent, pas seulement entre êtres humains. Tout le monde a des préjugés sur son prochain, parfois sans raison valable. Alors, rencontrer un animal qui n’a peut-être jamais vu un seul homme de sa vie, mais qui l’accepte sans appréhension et sans jugement est une belle leçon de vie», se souvient-il, ému.

Un souhait l’anime encore, celui d’éveiller les consciences à travers l’art sans moraliser: «Les gens devraient parfois s’arrêter, moins courir derrière les choses futiles. Plus personne ne prend le temps de voir à quel point les choses, même les plus petites, sont belles. S’arrêter un instant, apprécier, respecter ce qui nous entoure revêt de notre responsabilité, car, selon moi, c’est le choix individuel qui prime sur le paradigme d’un système sociétal compétitif et parfois oppressant», estime-t-il. Bien que les artistes soient souvent assimilés à de doux rêveurs, le monde de bienveillance, d’empathie et d’humanité que Jacques Schneider imagine à travers ses multiples œuvres gagnerait à devenir réalité.

 

Par Pierre Birck