Ce que la reconnaissance doit au travail appliqué

Sa nature discrète pourrait nous faire croire qu’elle s’est hissée jusqu’aux plus hautes sphères de l’État par une série d’heureux hasards. Pourtant, en se prêtant au jeu du portrait, Paulette Lenert se dévoile en femme travailleuse, sachant saisir les opportunités sans hésitation et ne reculant pas devant les difficultés. Elle qui revêtait la robe des gens de justice avant d’endosser le costume de ministre était jusqu’à récemment une technicienne peu connue du grand public. Véritablement révélée par sa gestion de la crise du Covid-19, elle est devenue, en l’espace de quelques mois, la personnalité politique la plus populaire du pays. C’est avec le sourire naturel et avenant que chacun lui connaît désormais qu’elle retrace son parcours.

 

Orientation

Paulette Lenert grandit entre Mondorf-les-Bains, où elle vit et effectue sa scolarité, et Wolwelange, où demeure sa grand-mère maternelle dont elle est très proche. Benjamine d’une fratrie de trois enfants, la jeune fille fait ses premiers choix par opposition à son entourage familial. «J’étais une enfant plutôt créative, qui appréciait lire, dessiner et bricoler. J’aurais aimé embrasser une carrière d’architecte si je ne m’étais pas détournée de certaines matières au lycée par simple opposition à mon père et mes frères qui étaient mathématiciens. Puisque je me plaisais à lire en secret dans mon lit avec ma lampe torche, j’ai décidé de suivre la filière lettres. Avant d’entrer à l’université, j’avais deux idées en tête: étudier la philosophie ou l’architecture. Dissuadée de faire l’un et l’autre par mon entourage, j’ai finalement choisi une voie qui m’offrirait des débouchés variés», raconte Paulette Lenert.

C’est ainsi que l’étudiante pousse les portes de la faculté de droit de l’Université d’Aix-Marseille III. Elle s’y spécialise en droit privé et des affaires, puis poursuit sa formation avec un master en droit européen à l’Université de Londres. Si la jeune juriste ne s’est jamais vraiment rêvée avocate, elle passe tout de même le barreau pour compléter son cursus. C’est alors que «les choses se figent»: elle attend sa première fille lorsqu’elle termine son stage et ne se réorientera plus. Après avoir fait ses premiers pas en tant qu’avocate dans une étude d’affaires, elle se tourne rapidement vers le secteur public qui lui permettra de mieux concilier vie professionnelle et vie de famille. «Je suis entrée au ministère de la Justice à l’époque où le projet de loi portant organisation des juridictions de l’ordre administratif a été introduit. J’ai été très impliquée dans la genèse de ce texte, ce qui m’a donné l’envie de postuler au nouveau tribunal qui était institué. C’est ainsi que je suis devenue magistrate à 29 ans à peine. Rejoindre une équipe de pionniers qui avait tout à construire m’a beaucoup plu», relate la ministre.

 

«Technicienne» au service de l’État

Après treize ans au service du tribunal, la magistrate ressent un besoin de changement. C’est alors qu’elle se voit offrir une nouvelle opportunité qu’elle n’hésitera pas à saisir. Son ancien maître de stage accompagne alors Romain Schneider qui fait son entrée au gouvernement et reçoit un portefeuille nouvellement créé, celui de l’Économie sociale et solidaire. Il propose à la désormais expérimentée magistrate de monter ce nouveau département. «Lorsque quelque chose me parle, je ne suis pas du genre à réfléchir six mois. J’ai donc accepté la proposition. J’avais à nouveau l’opportunité de construire quelque chose à partir d’une feuille blanche… si blanche que je n’avais même pas de bureau pour mon premier jour», se souvient-elle, amusée. «Ce département s’est finalement construit peu à peu et notre travail a porté ses premiers fruits avec la création de l’Union luxembourgeoise d’économie sociale et solidaire, notamment. Mais le dossier que je tenais véritablement à faire avancer était le projet de loi devant porter création des sociétés d’impact sociétal. Or, celui-ci peinait à démarrer. Comme je m’intéressais beaucoup à la psychologie et aux ressources humaines à l’époque, j’avais même envisagé de quitter mon poste pour monter mon propre cabinet de consultance en RH. La crise financière qui a éclaté m’en a finalement dissuadée», explique Paulette Lenert.

Ce qui fait ma particularité, c’est ce regard à 360° que je porte sur le secteur public

Ses envies de changement seront cependant à nouveau exaucées. Elle est approchée pour monter la cellule de facilitation en matière d’urbanisme et d’environnement rattachée au ministère d’État. Une fois encore, elle orchestre la mise en place de ce service et participe à l’élaboration du cadre légal. À la suite du remaniement des départements ministériels de 2013, la cellule et, par conséquent, sa directrice, sont rattachées au ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative. Paulette Lenert l’intègre comme première conseillère de gouvernement et y assure la coordination générale à partir de 2014. «Les cinq années que j’ai consacrées à l’exercice de cette fonction étaient  les plus riches de ma carrière jusqu’alors. Ce poste m’a permis d’entrer en contact avec tous les hauts fonctionnaires et de me forger un large réseau professionnel. Je dirais que ce qui fait ma particularité, c’est ce regard à 360° que je porte sur le secteur public: j’ai pu l’observer avec mes yeux d’avocate puis de «responsable» des ressources humaines en quelque sorte», déclare-t-elle. C’est cette fine connaissance de tous les rouages de l’État qui la mènera, presque malgré elle, à rejoindre les rangs du gouvernement.

 

La politique dans les gènes

Paulette Lenert s’est engagée en politique sur le tard, jugeant préférable que cet engagement n’interfère pas dans l’exercice de ses fonctions, mais son éveil politique est, lui, plutôt précoce. Celle qui deviendra ministre de la Santé attrape le virus de la politique dès le plus jeune âge, au sein de la cellule familiale. «Mon père était membre du CSV. Je m’opposais fréquemment à certaines de ses idées conservatrices lors de nos discussions. C’est là qu’a commencé à se manifester mon adhésion au socialisme. Du côté maternel, la politique tenait aussi une certaine place. Mon grand-père, que je n’ai pas connu, était un socialiste pur et dur très engagé après la Deuxième Guerre mondiale. Son histoire – comme celle de ma grand-mère qui avait elle aussi été déportée dans les camps – me fascinait et m’a marquée à jamais», dévoile-t-elle.

Si elle a presque reçu ce goût pour la politique en héritage, Paulette Lenert n’a «qu’une expérience récente de la «politique politicienne»». En effet, la socialiste fait son entrée au gouvernement comme ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire et ministre de la Protection des consommateurs fin 2018, sans que son nom n’ait jamais figuré sur les listes électorales. «Au Luxembourg, il n’est pas rare que quelques-uns aient la chance d’être demandés sans s’être présentés. Je ne voulais pas rater la mienne. C’était pour moi l’occasion de contribuer à la cause publique d’une nouvelle manière», rapporte-t-elle. La ministre garde d’ailleurs de très bons souvenirs de ses débuts. Elle s’est vu confier un tout nouveau ministère, celui de la Protection des consommateurs, et s’est prêtée avec plaisir à l’exercice familier de monter un nouveau département, passant de la mise en place des locaux à celle du personnel. La Coopération et de l’Action humanitaire la captivent également. Elle regrette d’ailleurs d’avoir eu à renoncer à «ce nouveau monde à découvrir».

Paulette Lenert doit en effet abandonner ce portefeuille le 4 février 2020, lorsqu’elle est nommée ministre de la Santé et ministre déléguée à la Sécurité sociale suite à la démission d’Étienne Schneider. «J’acceptais alors un portefeuille passionnant, mais aussi un véritable défi. J’avais conscience du fait que j’aurais à m’affirmer dans un milieu dont je n’étais pas issue », se rappelle-t-elle.

 

Quitte ou double

Bien que j’en sorte grandie et plus forte, la crise a lourdement impacté ma vie privée

En mars 2020, les choses se précipitent: l’épidémie de Covid-19 est déclarée pandémie par l’OMS. Dans la «trousse de secours» de la ministre: sa capacité à résoudre les problèmes et l’important réseau qu’elle a tissé tout au long de sa carrière qui lui permettra de s’entourer d’acteurs clés pour traiter la crise. Si elle admet que «chaque décision était pesante car des vies étaient en jeu», les «prescriptions» de la ministre et de son entourage permettront finalement au Luxembourg de mieux affronter le virus que la plupart de ses voisins. C’est cette épreuve à double tranchant (la quasi-totalité de ses homologues européens n’ont pas réussi l’exploit de conserver leur poste après la crise sanitaire) qui révèle réellement Paulette Lenert au grand public. Ainsi, elle qui s’est sentie très esseulée au plus fort de la crise doit, depuis le recul de l’épidémie, composer avec sa nouvelle renommée. «En rejoignant le gouvernement, j’entrais certes en politique, mais je me voyais plutôt comme une technicienne; je ne m’attendais donc pas à être propulsée ainsi sur le devant de la scène. Cette reconnaissance m’apporte à la fois motivation et réconfort après cette épreuve difficile car, bien que j’en sorte aujourd’hui grandie et plus forte, la crise a lourdement impacté ma vie privée», révèle-t-elle.

Vice-Premier ministre depuis le remaniement ministériel de janvier 2022, désignée personnalité politique la plus populaire du Luxembourg par le dernier Politmonitor, Paulette Lenert pourrait désormais prétendre au poste de chef du gouvernement. Elle à qui «les nouveaux défis donnent des ailes» se sent d’ailleurs prête à le briguer. Le plus: elle serait la première femme de l’histoire à se hisser à la tête de l’exécutif luxembourgeois. «Cela me motive aussi. Je sais qu’il y a de grandes attentes à cet égard. Le pays, comme l’Europe plus largement, fait face à de grands défis. Si je peux lui être utile d’une façon ou d’une autre, ce serait pour moi un honneur et un plaisir», confie la candidate.

En attendant que les urnes ne livrent leur verdict, celle qui prendra part au combat électoral pour la première fois tente de trouver l’équilibre entre la campagne et son devoir quotidien. «Workaholic» de son propre aveu et «tenace quand elle veut faire avancer les choses», elle participe activement à la préparation du programme de son parti tout en faisant de son travail de ministre sa priorité. «J’aimerais faire avancer au maximum les dossiers sur lesquels je travaille actuellement car les défis sont énormes. On ne peut nier que le système de santé souffre de la croissance démographique exceptionnelle qu’a connue le Luxembourg, mais je suis persuadée que nos efforts parviendront à le soulager», affirme une Paulette Lenert confiante en l’avenir… à l’heure où le sien n’est plus tout à fait entre ses mains, mais dans celles des électeurs.

 

Par Adeline Jacob