Construction et logement: l’imbrication des tourments

6.000 à 7.000, c’est le nombre de logements qui devraient sortir de terre chaque année pour accompagner adéquatement la croissance démographique d’après le Statec. Une aubaine pour le marché immobilier résidentiel et le secteur de la construction? Il n’en est rien. Ce pan si prospère de l’économie luxembourgeoise est aujourd’hui empêtré dans un enchevêtrement de crises qui le force à envisager des mesures inédites.

Si le secteur n’a guère souffert de la crise du logement qui secoue la «démocratie de propriétaires» luxembourgeoise depuis une décennie, c’est que le marché immobilier continuait de profiter de taux extrêmement bas qui ont encouragé l’investissement, de la flambée des prix et de l’envolée de l’endettement des ménages. Mais la mécanique s’est enrayée et il en subit à présent les conséquences. La faute à la hausse fulgurante des taux d’intérêts qui dégonflent la demande sur le marché de la vente et l’augmentent sur celui de la location. Les Luxembourgeois qui peuvent acheter sont de moins en moins nombreux. En témoignent ces chiffres: le nombre d’autorisations de bâtir délivré sur les neuf premiers mois de l’année 2022 a reculé de 28% quand les ventes de logements en état futur d’achèvement (VEFA) se sont effondrées de 36% au troisième trimestre 2022 (en glissement annuel).

Ces données, qui présagent un ralentissement de l’activité dans le secteur de la construction résidentielle, ravivent le douloureux souvenir de la crise de 2008 pour certains de ses acteurs. L’équation est simple: «pas de ventes» = «pas de constructions». Dès lors, aux quelque 3.800 logements qui sortent habituellement de terre chaque année, on peut soustraire 1.500 unités pour 2023 selon les prévisions actuelles. Certaines entreprises du bâtiment – qui ont déjà dû successivement faire face à la crise sanitaire, aux augmentations des prix des matériaux, de l’énergie et des coûts de la masse salariale – craignent une série de faillites dès la fin de l’été 2023, selon le président de la Fédération des Entreprises de Construction et de Génie Civil, et envisagent de demander au gouvernement un programme de chômage partiel pour protéger leurs travailleurs du licenciement. Du jamais vu.

Pour les économistes de la Fondation IDEA, «dans un tel contexte, la politique du logement, dont l’un des objectifs principaux (jamais atteint) a un temps été de stabiliser/maîtriser les prix immobiliers, doit s’atteler, compte tenu des perspectives démographiques et de l’importance économique du secteur de la construction (près de 15% des emplois avec les effets indirects et induits), à relancer la production de logements neufs afin d’éviter au Grand-Duché, où le parc immobilier est relativement sous-dimensionné, de sombrer dans une crise de mal logement et/ou de perte d’attractivité causée par une situation de pénurie de logements».

Il convient donc de réagir vite pour éviter que ces crises ne continuent de s’alimenter l’une l’autre tant elles paraissent désormais imbriquées. Si Henri Kox, qui s’est récemment présenté comme «ministre du Logement abordable», se montre proactif sur les deux fronts en promettant une politique du logement pour tous et en rappelant aux promoteurs privés la possibilité de proposer à l’État des projets de logements en vue d’une acquisition en VEFA («à condition que ceux-ci répondent aux critères du cahier des charges appliqué aux projets de création de logements abordables bénéficiant d’une aide à la pierre du ministère»), il est attendu au tournant. Alors que les mesures tardent à produire leurs effets, l’opposition, elle aussi, propose une liste de solutions en même temps que se dressent les listes électorales. Belle synchronisation. Rappelons que les enjeux sont de taille puisqu’il en va de la cohésion sociale et de l’attractivité du pays.

 

Par Adeline Jacob

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