La force des origines

«Connais-toi toi-même». Cette ancienne et célèbre maxime gravée sur le fronton du temple de Delphes peut faire l’objet de plusieurs interprétations. Elle peut inviter à la sagesse et à la connaissance de soi pour devenir celui que l’on doit être. Les origines d’un individu forgent son caractère et lui permettent d’évoluer et d’accomplir sa vie. François Bausch, ministre de la Mobilité et des Travaux publics, ministre de la Défense et Vice-premier ministre, a puisé sa détermination et ses valeurs au plus profond de ses origines. Portrait d’un homme humble et d’un politique à la carrière remarquable.

 

Une enfance au milieu des «Lackerten»

François Bausch naît en 1956 et grandit à Weimerskirch. Ce faubourg de la capitale situé à quelques minutes au nord du Kirchberg, autrefois très pauvre, s’est aujourd’hui métamorphosé. «Je suis originaire d’un milieu ouvrier. Les habitants de mon quartier étaient surnommés «Lackerten» et ont même développé leur propre langue: le «Jéinesch»», dévoile le ministre. Il passe son enfance dans ce quartier populaire et typique. Mais très tôt, il est confronté aux barrières, aux préjugés et à l’absence de privilèges. «Dans les années 1960 et 1970, ce n’était pas évident de venir d’un milieu ouvrier et de poursuivre ses études. Comme tant d’autres qui étaient peu considérés car issus d’un milieu défavorisé, j’étais à treize ans ce qu’on peut appeler un enfant terrible, quelque peu turbulent et en quête d’attention. Lors de l’examen d’admission au lycée, un professeur de mathématiques m’avait fait savoir que, quoi qu’il arrive, j’échouerais dans mes études. C’est inimaginable de tenir de tels propos aujourd’hui! En étant ainsi conditionné, j’ai arrêté mon cursus scolaire  très tôt pour commencer à travailler», confie François Bausch. Il rejoint les CFL à 17 ans en tant que cheminot et commence en bas de l’échelle pour gravir peu à peu les échelons tout en reprenant ses études en cours du soir.

 

Une jeunesse bercée dans la politique

Avec un père sidérurgiste, François Bausch se trouve très vite confronté aux enjeux politiques et aux problématiques du monde ouvrier. «Mon papa a commencé à travailler à l’usine ARBED de Dommeldange dès l’âge de 14 ans. Il était engagé socialement et politiquement et a notamment participé à la grande grève de 1973. Je ne suis pas soixante-huitard car j’étais trop jeune à l’époque, mais j’ai forcément été influencé par ce mouvement. J’ai d’abord été séduit par l’extrême gauche, avant de rejoindre le Parti Socialiste et de le quitter, comme beaucoup de jeunes, en 1984 car il ne représentait plus les valeurs que nous défendions et auxquelles nous aspirions».

Mes origines m’ont apporté de la simplicité

Toute une génération ne se retrouvait plus dans «un parti sclérosé, fixé sur son passé et qui ne saisissait pas les nouvelles opportunités politiques», à l’heure où d’autres mouvements contestataires émergaient, comme la mouvance écologique. C’est tout naturellement que François Bausch rejoint les Verts en 1986, avant d’être élu à la Chambre des Députés en 1989.

 

«Au début chez les Verts? C’était le chaos»

Créé en 1983, le parti qui s’appelait alors «Gréng Alternativ Partei» regroupait des idéaux en tout genre. «Au début? C’était le chaos: des conservateurs du CSV étaient rejoints par des révolutionnaires de l’extrême gauche qui croyaient utiliser ce mouvement pour faire la révolution. D’autres s’engageaient pour protéger les fleurs et les champs, pour des soucis d’égalité, pour promouvoir le féminisme ou encore la paix dans le monde», se remémore François Bausch. Néanmoins, le parti évolue progressivement et se structure au fil du temps. «Humainement, c’était parfois très dur. Il y avait par exemple quatre partis verts lors des élections de 1989! Dès lors, mon but était de rassembler tout le monde. En 1994, notre groupe politique a pris un virage avec l’élection de Camille Gira à la Chambre des Députés sur la liste des Verts dans la circonscription Nord. 2005 marque également un tournant dans l’histoire du parti qui remportait les élections dans la capitale. J’étais moi-même premier échevin de la Ville de Luxembourg jusqu’en 2013», explique-t-il.

Ce regard sur le passé en dit long sur l’évolution des Verts: d’un antiparti, il est passé à un parti pesant dans le jeu politique luxembourgeois et auquel de nombreux jeunes adhèrent aujourd’hui. Naturellement, François Bausch vit en concordance avec l’idéologie écologique mais il met un point d’honneur à ne jamais moraliser la politique et la société. «Dans l’histoire de l’humanité, moraliser est néfaste. Cela entraine l’empiètement d’une croyance sur une autre et engendre une société coercitive. Le changement climatique est incontestable. Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour parvenir à un monde décarboné, mais je reste optimiste quant à notre avenir car nous disposons de toutes les solutions pour l’améliorer et celles-ci n’ont pas vocation à limiter les libertés. Notre parti n’est pas un parti d’interdiction. Les habitudes de nos citoyens n’évolueront pas si nous ne les accompagnons pas par une vision positive de nos idées», détaille François Bausch.

 

La mobilité, un enjeu qui lui colle à la peau

S’il a rejoint les Verts, c’est en partie, aussi, pour participer à la mise en place d’une autre mobilité, plus réfléchie et plus en accord avec les enjeux actuels. Après divers rôles au sein de plusieurs commissions parlementaires, François Bausch prend la tête du ministère du Développement durable et des Infrastructures en 2013, puis est reconduit au ministère de la Défense ainsi qu’au ministère de la Mobilité et des Travaux publics en 2018. «J’ai beaucoup investi dans les chemins de fer alors que tout était vétuste il y a encore 30 ou 40 ans. J’étais chef de la circulation dans les années 1980: le trafic était réglé de façon mécanique et nous nous éclairions à l’aide de lampes à pétrole qu’il fallait nettoyer et remplir quotidiennement. C’était un autre temps… un temps où l’automobile était reine, un temps où beaucoup de monde pensait qu’il fallait définitivement fermer les chemins de fer. Si on m’avait dit, en 1973, qu’un ministre investirait dans le rail pour l’étendre et le moderniser 40 ans plus tard, je l’aurais pris pour un fou! De même pour le tramway qui a fermé en 1960. Je me souviens avoir emprunté enfant la dernière ligne de tramway lors de sa dernière journée d’existence. J’ai vécu sa fermeture mais j’ai participé à sa réouverture en tant que ministre», retrace-t-il.

Si on m’avait dit, en 1973, qu’un ministre investirait dans le rail pour l’étendre et le moderniser 40 ans plus tard, je l’aurais pris pour un fou!

L’actuel Vice-Premier ministre reconnait que «gouverner, c’est faire des compromis». Avec la stratégie pour une mobilité durable (MoDu), son objectif est de «faire mouvoir les humains et non pas les véhicules. L’inverse a malheureusement été fait depuis des décennies», regrette-t-il. Son deuxième défi consiste à faire vivre la multimodalité en combinant les différents maillons de la chaîne de mobilité afin de permettre aux citoyens d’être plus flexibles et plus mobiles lorsqu’ils se déplacent. «C’est pour cette raison qu’il faut considérer l’ensemble des moyens de transport. La voiture ne doit pas être le bouc émissaire. Chaque élément de la chaîne de mobilité a sa place, mais il doit être utilisé de manière optimale», explique l’ancien cheminot. Le plan national de mobilité 2035 est une étape sur ce chemin visant à améliorer le flux des déplacements au Luxembourg pour continuer à faire briller son aura en Europe.

 

«J’ai encore plein d’énergie»

La carrière de François Bausch est brillante, lui qui est né rue du Soleil à quelques mètres de la côte d’Eisch. Il puise sa détermination et ses valeurs dans son enfance. «J’ai toujours dit que mes origines m’avaient apporté de la simplicité. C’est ce qui me permet de garder les pieds sur terre. Mes parents ont eu une vie difficile. Je connais parfaitement la classe ouvrière et ses problématiques. Il faut y avoir vécu pour les comprendre. Mon enfance m’a beaucoup influencé, et suivant mes origines sociales, j’ai commencé à lire de la littérature sur ce monde dans lequel j’ai grandi. Tout n’est finalement qu’une question d’égalité des chances. Des livres comme «La Mère» de Maxime Gorki, ceux d’Emile Zola ou de Jean Ziegler m’ont marqué. Les temps ont beaucoup changé depuis, mais l’analyse dialectique donne des clés pour comprendre la société dans laquelle nous vivons. Je suis également impressionné par l’essai d’Yuval Noah Harari, «Sapiens: une brève histoire de l’Humanité», qui décrit à merveille les problématiques du 21ème siècle», décrit-il.

L’impatience, qui est le trait de personnalité dominant de François Bausch, selon ses aveux, n’est, à ses yeux, pas pour autant un défaut: «J’aime faire bouger les choses. Je suis au gouvernement depuis 2013. J’ai une devise qui dit que si on n’atteint pas ses objectifs au bout de dix ans, on n’y parviendra pas cinq ans plus tard. Je pense avoir réussi pas mal de choses, je suis fier du travail que nous avons accompli pour améliorer notre pays. Les élections de 2023? J’y pense forcément; l’avenir dira ce qu’il adviendra. J’ai 66 ans et encore plein d’énergie, il reste beaucoup de projets à réaliser et de choses à faire ou à découvrir. Le plus important est de continuer d’apprendre tout au long de sa vie».

 

Par Pierre Birck