De l’importance d’adopter une stratégie environnementale forte

L’urgence climatique nécessite une mobilisation franche et rapide de tous les acteurs capables de contribuer à la transition, qu’ils soient publics ou privés. Pour que celle-ci soit efficace, elle doit forcément reposer sur des stratégies à moyen et long termes, basées sur des critères scientifiques, et de plus en plus transparentes, notamment grâce à un cadre réglementaire destiné à lutter contre le greenwashing. Vanessa Müller et Léna Le Gal, respectivement Partner et Associate Partner chez EY Luxembourg, nous font part de leurs réflexions sur ces questions et précisent comment EY aide les entreprises et les administrations communales à les affronter.

 

Les gouvernements sont de plus en plus impliqués dans les discussions liées à la question climatique. Durant la récente COP26, des entreprises privées, dont EY, ont largement participé aux échanges. Quelles conclusions en tirer?

VM: Si les entreprises participent habituellement aux COP de manière plus ou moins directe, elles n’y ont jamais aussi activement contribué que cette année. C’est positif à mes yeux, si ce n’est impératif car, dans l’absolu, la réalisation des objectifs définis par les accords de Paris et les COP successives sera le fait du secteur public mais aussi du secteur privé. À l’image par exemple du secteur financier qui a décidé de mobiliser l’équivalent de 130 billions   de dollars d’actifs sous gestion pour permettre la transition énergétique. C’est pourquoi il ne s’agit plus simplement d’inviter les entreprises à écouter ou à émettre des idées; leur offrir un rôle actif lors des conférences des parties permet de les rendre responsables d’un certain nombre de mesures décidées à cette occasion.

LLG: Cette participation plus active est aussi le fait d’une prise de conscience et d’une accélération du besoin de changement tous secteurs confondus. Pour faire avancer les choses et obtenir de meilleurs résultats, il est important d’ouvrir la discussion à tous les secteurs contributeurs. Cela permet par ailleurs d’éviter le sentiment de déconnexion entre les mesures prises par les gouvernements et leurs impacts concrets dans l’économie réelle. 

VM: Notons que le Luxembourg démontre bien l’intérêt d’une coopération plus étroite entre le secteur public et le secteur privé. La Luxembourg Sustainable Finance Initiative est un exemple d’initiative commune entre ces deux secteurs et illustre comment une telle collaboration peut se refléter dans l’économie réelle. Ajoutons que le secteur privé peut se révéler un véritable terreau d’innovation d’où émergent des outils qui peuvent être utilisés comme catalyseurs de la transition et qui méritent d’être partagés avec le secteur public. Il y a donc des synergies à réaliser. 

 Davantage d’acteurs devront faire preuve de transparence quant aux objectifs qu’ils se fixent

Dans ce cadre, pourquoi est-ce important que les entreprises et les communes adoptent une stratégie zéro carbone? 

LLG: L’expression «stratégie zéro carbone», qui est employée depuis une dizaine d’années environ, se réfère à la volonté commune d’atteindre la neutralité climatique en 2050. La réalisation de cet objectif nécessite de trouver un équilibre entre les émissions carbones des individus et des entreprises, en fonction de leurs activités et des territoires sur lesquelles ils et elles agissent, et le stockage ou la réutilisation de ce carbone, que ce soit via des processus industriels ou via des écosystèmes gérés par l’être humain, comme des forêts ou des sols agricoles. Si les entreprises doivent désormais adopter une stratégie qui tend vers ce but, c’est parce que le changement ne se fera pas en une nuit. Il faut, dès aujourd’hui, prendre un certain nombre d’initiatives, que ce soit au niveau européen, national, communal ou du secteur privé, de façon à atteindre cet objectif avant 2050. 

VM: Pour être réellement efficaces, ces stratégies doivent se décliner en objectifs intermédiaires et à long terme, faire appel à des combinaisons d’initiatives (comme le désinvestissement et le soutien à la transition, dans le secteur financier) et s’accompagner d’une gouvernance adéquate. De plus, pour être pertinente, une stratégie zéro carbone doit s’aligner sur des objectifs scientifiques, se baser sur un langage commun (qui permette d’identifier clairement ce que sont les émissions carbones, qui en est le propriétaire, etc.) et faire l’objet d’une politique de divulgation et de transparence autour de ces émissions. Ce dernier élément est fortement lié aux évolutions de l’agenda règlementaire déployé par l’Union européenne, que ce soit avec des régulations comme la taxonomie européenne, qui a justement pour vocation de servir de dictionnaire de référence, ou encore la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), qui impose aux acteurs du marché financier de divulguer un certain nombre d’informations liées à la façon dont ils adressent la thématique ESG dans leurs investissements, leurs produits et leurs services. Par voie de conséquence, cette régulation forcera des acteurs économiques issus d’autres secteurs que celui de la finance à faire preuve de plus de transparence. 

LLG: Tout cela va également dans le sens de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), qui remplacera bientôt la Non-Financial Reporting Directive (NFRD), une directive qui concernait les grandes entreprises, dites «entités d’intérêt public», comme les banques, les sociétés d’assurance et les sociétés listées. La CSRD permettra d’élargir la portée de la NFRD. Les nouveaux critères (basés sur le chiffre d’affaires, le total d’actifs ou le nombre d’employés) amèneront un plus grand nombre d’entreprises à reporter des informations sur leur stratégie, leurs objectifs et leurs actions à la lumière des critères ESG. Ainsi, davantage d’acteurs devront faire preuve de transparence quant aux objectifs qu’ils se fixent et à l’évolution de leurs efforts. Cette nouvelle directive permettra également d’aller au-delà de l’existant et d’obtenir des rapports plus concrets, basés sur des données quantifiables et auditables. 

VM: Même si la mise en place de ces nouvelles règlementations peut paraître complexe, notamment parce qu’elles font référence les unes aux autres alors qu’elles ne sont pas toujours finalisées, c’est un mouvement qui, à terme, va converger. À un moment donné, tous les acteurs vont devoir afficher la façon dont ils prennent en compte les facteurs ESG, ce qui leur permettra de se comparer et de choisir avec quels partenaires ils souhaitent collaborer. 

 

« Building a better working world » est le slogan d’EY, comment se concrétise-t-il dans l’économie réelle? 

LLG: En tant que firme, EY global s’est fixé l’objectif très ambitieux d’atteindre la neutralité carbone pour 2025 et a émis à Luxembourg son premier rapport non financier en octobre 2021. Je crois que nous ne pouvons pas sérieusement accompagner nos clients dans cette démarche sans avoir fait nos propres devoirs, pour une question de crédibilité d’une part, mais aussi parce qu’il s’agit d’un exercice complexe. 

VM: Nous avons aussi mis en place, au niveau global et depuis une quinzaine d’années environ, une équipe «Climate Change and Sustainability Services», qui, à Luxembourg, est composée d’une trentaine d’experts sur les thématiques de durabilité et ESG au sens large. Notre expertise nous permet d’accompagner nos clients, tous secteurs confondus, sur un spectre d’intervention très large: que ce soit au niveau stratégique, des impacts opérationnels ou encore du développement de produits et services. Nous avons également mis en place différents instruments grâce auxquels nous pouvons accélérer nos travaux auprès de nos clients. Il s’agit d’outils permettant de calculer une empreinte carbone, l’alignement d’un portefeuille d’investissement par rapport à la taxonomie ou d’automatiser les rapports à fournir d’après la règlementation SFDR, par exemple.  

 Le Luxembourg est capable de mobiliser des acteurs clés

Au Luxembourg, diverses actions ont été définies et mises en place par le gouvernement. En quoi permettront-elles d’atteindre les objectifs fixés par la COP? 

LLG: Pas une semaine ne passe sans qu’il n’y ait une annonce du gouvernement luxembourgeois concernant la lutte contre le changement climatique. Pas plus tard que début janvier, le Premier ministre a annoncé le lancement du bureau du citoyen pour le climat et la ministre de l’Environnement s’est clairement positionnée contre la classification du nucléaire et du gaz naturel comme énergies renouvelables. Plus largement, au cours des dernières années, le Luxembourg a mis en œuvre un certain nombre d’actions concrètes qui tendent à atteindre les objectifs fixés par la COP, que ce soit au niveau de l’économie circulaire, de la qualité de l’air et de l’eau, de la protection des ressources naturelles et de la biodiversité ou encore de la rénovation énergétique. D’un autre côté, le pays est confronté à certaines contraintes qui lui sont propres, notamment par rapport au travail des frontaliers qui nécessite d’importantes infrastructures de transport et génère beaucoup de CO2. Le fait d’instaurer la gratuité des transports publics était une réponse forte à cette contrainte et démontre que le Luxembourg peut être précurseur sur certaines questions.  

VM: En effet, le Grand-Duché, de par sa taille et son histoire, a l’avantage d’être extrêmement flexible et agile, ce qui lui permet de lancer des initiatives innovantes très rapidement. Mentionnons par exemple ce qui a été fait par la bourse de Luxembourg avec le Luxembourg Green Exchange: cette plateforme est fédératrice sur le marché des green bonds au niveau mondial et crée des passerelles vers l’international. C’est bien la preuve, selon moi, que le Luxembourg est capable de mobiliser des acteurs clés, voire de devenir une sorte de catalyseur au niveau européen pour toute une série d’initiatives liées à la transition. 

Lire sur le même sujet: