Les techniques du bâtiment au service de l’occupant

Tout membre d’une équipe de maîtrise d’œuvre l’affirmera: un bâtiment n’est certainement pas l’autre. Chaque projet répond à des contraintes et des besoins différents selon l’utilisation qu’entend en faire l’exploitant. Aux architectes et ingénieurs de les comprendre pour concevoir l’édifice qui comblera réellement les attentes de leur client. Gilles Christnach et David Determe, Managing Directors du bureau d’ingénieurs-conseils Betic, attestent de la nécessité de placer les besoins des utilisateurs au cœur de la conception et évoquent les implications concrètes de cet exercice d’empathie.

 

De la conception à l’exploitation

Pour livrer au maître d’ouvrage un bâtiment conforme à ses attentes, un maître mot: la communication. Mais, selon David Determe, les concepteurs, eux y compris, tombent trop souvent dans le piège de l’écoute passive. «Il ne suffit pas de considérer les demandes qu’exprime le maître d’ouvrage. Il faut les questionner pour identifier tant ses besoins actuels que futurs, surtout quand on sait qu’il peut s’écouler plusieurs années entre la phase de conception et la réception de l’ouvrage. Clairement, c’est compliqué, ça ne marche pas du premier coup. Il faut des ajustements durant le projet pour que l’équipe de maîtrise d’œuvre se coordonne de façon efficace et que les réels besoins du client soient identifiés. Personne dans la profession ne peut se targuer de «taper juste» dès le début du projet !», affirme-t-il.

Nous devons oser remettre en question les convictions du client pour lui proposer la solution qui satisfera aux mieux ses besoins

La satisfaction du client ne sait véritablement se mesurer que lorsque l’utilisateur final commence à vivre dans son bâtiment. C’est pourquoi les ingénieurs du génie technique plaident pour accompagner les utilisateurs durant l’exploitation de ce dernier. Betic propose à ses clients un contrôle et une analyse des paramètres clés des techniques installées afin d’en optimiser la performance et d’améliorer les critères de confort et de consommation. Malheureusement, ce type d’accompagnement est encore peu sollicité. «C’est pourtant un service essentiel. Nous effectuons la programmation sur base de nos connaissances à un instant T. Or, il est possible que le bâtiment ne se comporte pas exactement comme prévu, non pas parce qu’il a été mal conçu, mais parce qu’il est finalement utilisé différemment. Sans monitoring, l’équipement n’a aucune chance de suivre l’inéluctable évolution des besoins des occupants et une certaine frustration peut apparaître. C’est pourquoi nous insistons sur ce service. Généralement, c’est le coût des prestations qui freine le client. Pourtant, il faudrait les considérer comme un investissement pragmatique en vue de diminuer les frais d’exploitation», explique Gilles Christnach.

 

MOAI et BIM, des instruments au service du client

La «Maîtrise d’œuvre OAI» (MOAI.LU), une méthode de travail collaborative intégrale définie par l’Ordre des Architectes et Ingénieurs-Conseils permet de garantir un lien direct entre le maître d’ouvrage et les concepteurs pour développer une véritable culture de services coordonnés. «Pour concevoir le projet selon les exigences du client, il n’est pas seulement important que l’architecte, l’ingénieur du génie civil et l’ingénieur du génie technique saisissent les attentes du maître d’ouvrage, il est tout aussi primordial qu’ils aient une compréhension commune de ses besoins. La MOAI apporte une meilleure compréhension mutuelle entre les membres de la maîtrise d’œuvre et au-delà, avec le maître d’ouvrage. Mais bien entendu, ce n’est pas non plus une solution «miracle»», précise Gilles Christnach.

Le processus de travail collaboratif BIM (Building Information Modeling) est tout autant un élément-clé de cette collaboration pluridisciplinaire, notamment grâce à la production et l’échange structuré de maquettes numériques 3D pouvant inclure les attentes et besoins du client durant tout le cycle de vie du bâtiment… «Une maquette numérique a l’immense avantage de pouvoir intégrer les informations les plus diverses, quasiment sans aucune limite. Mais le but premier n’est pas de faire une maquette. Il s’agit de construire et d’exploiter un bâtiment. La clé du succès reste donc bien la collaboration. Qui a besoin de quoi? À quel moment? Sous quelle forme? Il n’y a pas d’intérêt à fournir un niveau de détail trop élevé dans une maquette si ces informations ne sont pas utiles à l’utilisateur final et aux intervenants. Aujourd’hui, tout le monde doit intégrer le BIM dans ses méthodes de travail et, on le constate, l’engouement du secteur est de plus en plus important, en atteste la participation de près de 600 professionnels au dernier événement BIMLux», souligne David Determe.

 

Du cas par cas!

Concrètement, placer les besoins des utilisateurs au cœur de la conception d’un projet revient à abandonner les procédures qui standardisent les concepts techniques et énergétiques. Copier/coller des solutions qui ont déjà fait leurs preuves permet certes de faire vite, mais pas de faire bien.

En concevant l’atelier d’inclusion professionnelle de transformation de pommes géré par la ligue HMC à Olm, Betic a pu compter sur un maître d’ouvrage très investi et particulièrement attentif à la performance énergétique de son bâtiment. «Le client nous a challengé dès le début de la conception, si bien que nous avons obtenu un résultat tout à fait unique. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas rencontré de difficultés durant le projet, que nous n’avons pas dû ajuster, revoir nos concepts, nos flux d’échanges, mais in fine, le résultat est là. La chaleur générée pour refroidir les chambres froides où sont stockés les fruits est ainsi réutilisée pour chauffer le reste du bâtiment. Trois bassins de récupération d’eau de pluie servent à l’arrosage du verger, au nettoyage des pommes et aux pompiers en cas de nécessité. Nous avons également intégré les machines de production dans la conception technique générale», détaille Gilles Christnach.

Le bureau participe aussi au projet de résidence «Heisdorf II», administrée par Le Tricentenaire, qui accueillera des personnes en situation de handicap. «Ici, ce sont surtout les techniques d’utilisation du bâtiment qui nécessitent des échanges approfondis avec les exploitants. Compte tenu du handicap des résidents, la technique doit se mettre au service du fonctionnement de la structure. Nous avons réalisé l’interface avec les systèmes d’appel d’urgence, d’ouverture des portes ou encore avec un dispositif permettant de vérifier l’utilisation régulière des toilettes et pouvant transmettre un signal aux soignants en cas d’anomalie. Ce sont des solutions assez simples au niveau technique mais peu courantes, d’où l’importance de connaître les besoins réels», commente Gilles Christnach.

Betic intervient également sur le volet technique de l’extension du Centre Hospitalier du Kirchberg qui mobilise des compétences très spécifiques. «Chaque service, de la pédiatrie à la gériatrie, a des besoins particuliers si bien qu’il est quasiment impossible de programmer un tel projet sans maquette numérique. Pour compliquer les choses, un hôpital ne cesse d’évoluer et les concepts techniques doivent donc être revus tout au long du projet! Construire pour ce secteur nécessite une remise en question permanente, un fonctionnement particulier entre les membres de l’équipe de conception et avec le client qui ne se met pas en place du jour au lendemain. Même si nous avons des outils et processus de travail pour nous y aider, ce n’est pas chose simple et ça ne se fait clairement pas sans douleur. Et oui, nous sommes heureux de pouvoir nous appuyer sur le haut niveau d’expertise en healthcare design de nos collègues du groupe VK Architects & Engineers, mais à nouveau, chaque projet est différent, évolue, d’autant plus pour les projets hospitaliers. Même pour des experts en la matière, trouver un fonctionnement optimal quant aux flux de travail pour répondre aux besoins finaux n’est pas une mince affaire», révèle David Determe.

Le bureau d’ingénieurs-conseils participe également à la conception de la nouvelle école et maison relais de Mathendahl qui devra répondre aux besoins de ses petits et grands utilisateurs. «Ce type d’infrastructure est régi par certains standards mais des facteurs extérieurs peuvent venir les bouleverser inopinément. La pandémie actuelle, par exemple, remet complètement en question les concepts techniques comme la ventilation naturelle… Des groupes de travail ont d’ailleurs été mis en place au niveau des ministères et des grandes institutions du secteur de la construction pour définir de nouvelles approches et de nouvelles recommandations en la matière», indique Gilles Christnach.

Quel que soit le projet, les ingénieurs-conseils de Betic s’efforcent de répondre aux besoins du client plus qu’à ses requêtes. «Même si ce n’est pas évident, nous devons oser remettre en question ses convictions et penser «out of the box» pour lui proposer la solution qui satisfera aux mieux ses besoins», conclut David Determe.

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