Le biogaz, une énergie stratégique

Dans l’inéluctable transition du linéaire au circulaire, la biométhanisation est le seul processus permettant de transformer les déchets agricoles et organiques en engrais écologique et en énergie verte. Pour lui tailler une place dans la bioéconomie et l’économie circulaire, il ne manque plus qu’une stratégie cohérente à l’échelle nationale. Xavier Maka, directeur de Naturgas Kielen, la centrale qui injecte du biométhane dans le réseau de gaz naturel luxembourgeois depuis dix ans déjà, analyse cette stratégie et évoque les projets de sa société.

 

Une double approche…

Le ministère de l’Énergie se penche actuellement sur le développement de sa future stratégie relative à la biométhanisation. Inspirée d’une étude réalisée par l’IFEU (Institut für Energie- und Umweltforschung Heidelberg), un institut allemand indépendant à but non lucratif dédié à l’écologie, la stratégie gouvernementale devrait promouvoir le recours aux déchets agricoles dans les nouvelles centrales de biogaz. «L’objectif du gouvernement grand-ducal serait de méthaniser 50% du volume de fumier et de lisier disponible au Luxembourg (contre environ 12% actuellement). En plus d’augmenter la production de biogaz, cette stratégie permettrait d’accroître le volume de matières agricoles transformées en digestat. Utilisé comme engrais en lieu et place du fumier et du lisier, celui-ci diminue le risque de pollution des sols et des nappes phréatiques et contribue à la réduction des émissions d’ammoniac. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement entend alimenter les nouvelles centrales de biogaz par 90% de matières agricoles et 10% seulement de déchets organiques», explique Xavier Maka.

Si la proportion semble étonnante, c’est que cette stratégie relative à la biométhanisation va de pair avec un plan anti-gaspillage visant la réduction des déchets organiques. Or, la population luxembourgeoise devrait croître jusqu’à atteindre le million d’habitants d’ici 2030 ou 2035; une croissance démographique qui ne peut être sans incidence sur la masse d’ordures produite. «Le gouvernement estime qu’en luttant contre le gaspillage alimentaire la quantité de déchets future ne devrait pas excéder le volume actuel et que les installations de biogaz existantes, comme celle de Naturgas Kielen, auront la capacité nécessaire pour méthaniser les matières organiques restantes. Malheureusement, cela ne me paraît pas totalement réaliste. Le plan anti-gaspillage est une excellente mesure, mais les déchets organiques se maintiendront à un volume relativement important malgré tout. Aujourd’hui déjà, une partie de ceux-ci quitte le Luxembourg pour être traitée à l’étranger. C’est pourquoi j’estime que la part qu’on leur réserve dans les nouvelles installations de biogaz est insuffisante. Des biométhaniseurs bien gérés, alimentés par des flux constants, contribueront à réduire les déchets, à augmenter la part de gaz vert et ainsi à diminuer l’empreinte carbone du pays. La biométhanisation fait donc partie de la solution, moyennant une stratégie gouvernementale claire, assumant le volume de déchets organiques réel», défend le directeur de Naturgas Kielen.

 

… pour atteindre un seul et même objectif

Pour promouvoir la durabilité, le gouvernement multiplie donc plans et stratégies: ils portent sur l’économie circulaire, le zéro déchet, la lutte contre le gaspillage alimentaire ou encore les énergies renouvelables mais peu d’entre eux concernent l’ensemble des acteurs impliqués dans la transition écologique. «Je déplore le fait que le gouvernement n’ait pas la volonté de mettre tous les acteurs concernés autour d’une même table pour discuter ensemble d’une politique commune. Il serait temps que nous arrêtions de nous considérer comme des concurrents car nous travaillons tous pour atteindre le même objectif: améliorer l’empreinte écologique du pays. Certes, chacun doit trouver son compte, mais il nous faut pour cela une politique commune qui intègre l’ensemble de la filière des déchets, au-delà de la fraction organique. Les filières de recyclage sont relativement bien organisées mais il est dommage que les plastiques soient encore recyclés à l’étranger car le transport génère un surplus d’émissions de gaz à effet de serre. Le Luxembourg n’est pas bien grand et disposerait de tous les atouts pour traiter ses ordures en autonomie totale. C’est un débat auquel tous les acteurs qui sont liés de près ou de loin au développement durable devraient participer. Malheureusement nous manquons d’une plateforme qui permettrait de rassembler aussi bien les collecteurs que les valorisateurs de déchets et les ministères de l’Énergie, de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Économie», regrette Xavier Maka.

 

Booster la transition énergétique

Le biogaz présente les mêmes propriétés que le gaz naturel et a donc pour avantage de convenir aux mêmes usages, à savoir la production de chaleur, de carburant ou d’électricité, avec des rendements divers. Bien que de nombreux projets de recherche entendent utiliser la biométhanisation pour réguler la production d’électricité renouvelable dans le bouquet énergétique, le rôle principal de la filière reste de réduire l’empreinte carbone en termes de chauffage. «Je ne recommande pas particulièrement l’utilisation du gaz vert en cogénération pour produire de l’électricité en raison des pertes engendrées. Il vaut mieux le maintenir sous forme gazeuse, soit comme carburant, soit comme mode de chauffage. Convertir le biométhane en hydrogène pour l’automobile n’est pas non plus la meilleure option car le processus génère beaucoup de CO2 (9,5 tonnes pour une 1 tonne d’hydrogène). A contrario, il serait possible d’utiliser de l’hydrogène vert pour amplifier la production de biométhane d’une installation. Nous étudions actuellement la faisabilité et la rentabilité d’un tel projet pour accroître la production de la centrale de Naturgas Kielen. Il est évident que si la quantité de biométhane injectée dans le réseau augmente, nous contribuerons encore davantage à limiter l’empreinte carbone du Luxembourg ainsi qu’à réduire sa dépendance énergétique envers les exportateurs de gaz naturel qui émettent énormément de CO2», conclut Xavier Maka.

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