En 2021, santé ou sécurité?

Après une année plus que difficile, le temps est venu d’évoquer l’avenir. Impatiente de tourner la page, Angeline Prévot, ingénieur civil et administrateur délégué de GERI Management, société spécialisée dans la coordination de sécurité et de santé sur les chantiers, évoque comment, dans son secteur, la santé s’effacera à nouveau derrière la sécurité à mesure que le spectre de la crise s’éloignera. Interview.
Selon vous, l’accent qui est mis actuellement sur le volet de la santé disparaîtra-t-il en même temps que le coronavirus?

Oui, probablement. Nous avons déjà constaté un certain relâchement dans l’application des gestes barrières après les congés collectifs. La différence entre la première et la deuxième vague est sensible, en particulier sur les chantiers. Les gens respectent moins les mesures sanitaires, d’une part parce qu’ils se sont en quelque sorte habitués à vivre avec ce virus qui leur fait moins peur et, d’autre part parce qu’ils sont las d’appliquer des mesures contraignantes qui les privent d’une partie de leurs libertés. Dans les bureaux, les règles sont davantage respectées, notamment parce qu’il est possible de recourir au télétravail pour préserver les travailleurs au maximum.

Dans les deux cas, il est très compliqué d’appréhender cette crise pour les gestionnaires de projet. Bien souvent, les gens tombent malades les uns après les autres, si bien que certaines équipes s’en trouvent ultra-réduites ou que les chantiers se voient complètement mis à l’arrêt. Dans le secteur de la construction, ce ne sont pas tant les difficultés financières qui rendent la crise difficile, ce sont plutôt les changements d’organisation. Nous ne pouvons rien prévoir or, le défi est d’assurer la continuité.

S’il y avait un message à véhiculer, ce serait de tenir bon. La campagne de vaccination a déjà commencé et la virulence de l’épidémie devrait s’atténuer avec la fin de l’hiver. Il est donc permis d’être optimiste. C’est ainsi que j’encourage personnellement mon équipe. Mes collaborateurs se sont révélés très professionnels durant la crise. Nous avons appris beaucoup cette année, aussi bien sur nous-mêmes que sur notre système de fonctionnement. C’est, en quelque sorte, une aventure dont nous sortirons grandis.

 

L’une des grandes tendances qui façonnera l’économie post Covid-19 est la digitalisation. Dans votre domaine d’activité, y a-t-il des processus, comme la supervision à distance du respect des règles de sécurité, qui pourraient être améliorés par la numérisation?

Je n’y crois pas vraiment. Ce n’est en tout cas pas d’actualité. Certes, certains clients s’équipent de drones ou de caméras de surveillance, mais plutôt pour suivre l’évolution du chantier que pour contrôler la sécurité des ouvriers. Cela se révélera peut-être utile dans vingt ans – car j’ai vu ce secteur évoluer grandement sur les quinze dernières années – mais pour le moment nous restons dans une démarche de sensibilisation. Les ouvriers n’ont pas toujours conscience de l’importance des mesures de sécurité et nous passons donc encore beaucoup de temps à essayer de les en convaincre. Finalement, dans la construction, l’effort de digitalisation touche essentiellement au volet administratif. Dans le cœur du métier, nous n’avons que trop besoin d’échanges directs. Nous nous en sommes d’ailleurs rendu compte avec le télétravail. Sans échanges, les informations tendent à se perdre.

D’autre part, la digitalisation de ces processus demande beaucoup d’investissements pour les sociétés. Or, celles-ci ne sont pas toutes à égalité au niveau financier; les grands groupes pourront certainement se le permettre mais cela sera plus compliqué pour les plus petites structures.

 

De nombreuses études prévoient une importance grandissante de la durabilité dans l’économie d’après-crise. Les constructions en bois, le recours à de nouveaux matériaux et à de nouvelles techniques ou encore l’économie circulaire et la déconstruction sont autant d’aspects qui se développent, engendrent de nouveaux risques et requièrent donc une attention particulière…

Il est vrai que le recours à de nouveaux matériaux change quelque peu les méthodologies de travail. Mais, à nouveau, c’est assez disparate. Certaines sociétés continueront à travailler avec leur bloc de maçonnerie tout au long de leur existence alors que les grandes structures qui possèdent un service des méthodes se lanceront plus volontiers dans l’innovation.

En ce qui concerne la déconstruction, les risques sont effectivement très différents. L’Inspection du travail et des mines se penche avec attention sur le sujet en ce moment et c’est une bonne chose car c’est lors de cette phase que surviennent les dangers les plus importants. Nos clients n’en ont malheureusement pas conscience. Ils achètent un bâtiment à démolir en estimant que le chantier commencera au moment où le terrain sera vierge. Il est d’ailleurs fréquent qu’ils nous annoncent de but en blanc: «Je vous appelle après la démolition». Nous leur répondons alors de nous contacter en amont et leur expliquons les précautions à prendre à cette étape du chantier, que ce soit au sujet du traitement de l’amiante ou, tout simplement, des principes de démolition. Cela permet d’éviter des catastrophes.

Quant aux constructions en bois, elles requièrent à nouveau une approche complètement différente. Ce sont des chantiers qui avancent vite car de nombreux éléments sont assemblés directement en atelier. Généralement, ils sont assez sécurisés car les sociétés qui utilisent le bois ont une grande expérience du travail de ce matériau et l’approche sécuritaire est normalement déjà très bien anticipée.

Il est très intéressant, pour un coordinateur, de travailler sur tous ces types de constructions.

 

Avez-vous justement une équipe spécialisée dans ce genre de chantiers?

Non, nos collaborateurs sont compétents dans ces différents domaines. Ce sont des techniciens, des ingénieurs en génie civil qui maîtrisent tous les types de chantiers. Quant aux plus jeunes, nous veillons à les former pour qu’ils soient aussi polyvalents. C’est en cela que nos échanges hebdomadaires sont importants. J’espère donc que nous pourrons rapidement reprendre une vie normale.

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