Au paradis artificiel d’une fumette responsable

Après le cannabis médical en début d’année, le gouvernement luxembourgeois entend légaliser le récréatif d’ici deux ans. Une étape subséquente et commune à toutes les législations étrangères qui ont entrepris ce libéralisme. L’ambition est de produire un chanvre local pour approvisionner une distribution nationale à destination d’une consommation autorisée uniquement à domicile. Des licences seront vendues aux producteurs et distributeurs soumis à un catalogue de règles respectives.

Face à la gronde des trois pays voisins et pour éviter des contrôles à ses frontières, le Luxembourg désire cantonner la vente à ses résidents. Un véritable casse-tête dans la mesure où l’adresse n’est pas toujours inscrite sur les cartes d’identité, qu’il faut veiller à la protection des données personnelles et que l’Union européenne interdit «toute discrimination exercée en raison de la nationalité»[1]. La mesure censée éviter un tourisme de la drogue oublie que les frontaliers se côtoient, se mélangent et se connaissent depuis des siècles.

Autre obstacle juridique: les trois conventions internationales de l’ONU sur le contrôle des stupéfiants qui les limitent à des fins médicales et scientifiques. Le Canada, signataire comme le Luxembourg et souvent cité en exemple, est dorénavant considéré comme «fraudeur» auprès de l’Organe internationale de contrôle des stupéfiants.

Le cannabis est un sujet de débat qui déchaine les passions où chacun y va de son prosélytisme. La littérature scientifique est pourtant préférable à l’angélisme et l’heuristique de la peur. Elle démontre qu’une consommation occasionnelle est peu ou pas dangereuse pour un cerveau adulte, c’est-à-dire formé, mature et d’environ 24 ans. Cette drogue est même moins nocive que l’alcool ou le tabac[2]; dès lors comment en vouloir à l’avocat qui, après une journée de plaidoiries, s’allumera un petit joint pour se détendre? Ou encore à l’ouvrier, boulanger, journaliste qui, au détour d’un barbecue, fera tourner le bédo entre amis? Ni même à l’étudiant ès lettres qui, dans l’écriture désespérée de son mémoire, avale quelques fumées parfumées, oubliant que le génie de Baudelaire précédait la recherche de son inspiration?

Ce qui est inoffensif pour un adulte biologique engendre néanmoins des risques aigus irréversibles pour le développement cognitif des jeunes. Outre l’anxiété, les troubles de la mémoire et les difficultés à anticiper, la littérature scientifique prouve également que le cannabis précipite le développement de la schizophrénie sur les sujets à risque. Si le rôle d’amplificateur est confirmé, les débats sont encore en cours quant à la causalité présumée et donc au facteur déclencheur de la maladie. Dès lors, que penser de ce jeune qui depuis sa première taffe jusqu’à sa dizaine de joints quotidiens ne peut plus trouver le sommeil sans fumette? Comment éviter l’inéluctable déscolarisation de celui dont l’hippocampe et le cortex préfrontal inondés de THC altèrent la mémoire à court-terme, le rendant incapable de planifier à long terme? Lui dont les pétards ne se roulent pas exclusivement dans sa chambre mais se mélangent dans les Vodka Red-Bull d’un samedi soir, multiplie par quinze les risques d’accident de voiture.

L’argument politique dénonçant l’inefficacité de la répression est relativement faible sur le plan philosophique dans la mesure où ce n’est pas parce qu’on lutte mal contre un ennemi qu’il est bon d’en faire un ami. Nonobstant, l’Islande qui affichait le plus haut niveau de consommation chez les jeunes il y a 20 ans a désormais le plus bas taux d’Europe. Passant d’une politique de répression à une politique de prévention, les compétences psycho-sociales des adolescents ont été développées et d’importants moyens ont été investis dans l’extra-scolaire, la culture et l’aide aux familles.

Là où le cannabis récréatif est tout à fait acceptable pour les adultes aux comportements responsables, il devient ô combien dangereux pour les plus jeunes. Toute la problématique réside dans le fait que la majorité légale de 18 ans n’est pas une frontière. Une loi faisant l’économie de cette préoccupation ne donnerait-elle pas raison à Baudelaire dans Les paradis artificiels condamnant avec nostalgie que «s’il existait un gouvernement qui eût intérêt à corrompre ses gouvernés, il n’aurait qu’à encourager l’usage du hachich»?

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[1] Article 18 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne.

[2] Selon les chiffres de l’OMS, l’alcool et le tabac sont respectivement responsables de 49.000 et 78.000 morts par an en France. Pour comparaison, toutes les drogues confondues représentent 6.500 décès annuels en Europe.

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