La force de l’ambition et du travail

Devenu directeur de la Société Nationale des Habitations à Bon Marché (SNHBM) à 31 ans à peine, Guy Entringer est surtout connu sur la Place pour avoir contribué à l’amélioration de la visibilité et à la croissance de la société. Honnête et accessible, il livre son parcours sans artifices ni tabous, mêlant à la fois humour, franc-parler et sincérité. Portrait.

C’est plutôt par affinité que par ambition particulière que Guy Entringer se lance sur la voie des sciences économiques. Sa bonne aptitude au maniement des chiffres le pousse en effet à poursuivre des études supérieures dans ce domaine. D’abord Luxembourg puis Strasbourg, ses choix d’universités sont notamment orientés par la courte distance qui le séparera de l’équipe de football d’Itzig, où il joue tous les week-ends.

Ne brillant pas par sa pratique des langues, l’étudiant en mesure pourtant l’importance et prend la décision, alors qu’il a déjà un premier diplôme en poche, d’entamer un nouveau master à l’étranger. Pour approfondir sa maîtrise de la langue anglaise, il rejoint ainsi les rangs de l’université de Stirling, en Ecosse.

 

Expériences étrangères

Si au cours de son premier cursus à Strasbourg il s’était davantage lié d’amitié avec ses nombreux compatriotes présents sur le campus français, son expérience écossaise est tout autre: «J’ai vécu en colocation avec quatre étudiants respectivement originaires du Panama, d’Indonésie, de Colombie et des Pays-Bas. J’ai même eu l’occasion d’intégrer l’équipe de football de ma faculté et de participer aux compétitions organisées entre les quatre équipes universitaires écossaises à travers le pays. Les professeurs encourageaient la pratique sportive et nous libéraient pour ces rencontres. J’ai pu vivre cette période pleinement, en tissant des liens forts avec mon équipe», se souvient-il.

Au terme de ses études, il décroche un stage de deux semaines au sein de l’entreprise bettembourgeoise d’Arcelor, complété par six semaines au sein d’une filiale américaine de TrefilARBED. «C’était une expérience enrichissante tant au niveau professionnel qu’humain. J’ai été incroyablement surpris d’observer que les Américains n’ont aucune idée de ce qu’est l’Europe, et encore moins le Luxembourg!».

 

Retour aux sources

Revenu au pays, Guy Entringer décroche un premier emploi dans le conseil aux entreprises chez ING, mais il est très vite recontacté par TrefilARBED Bissen: «Ils m’ont proposé d’intégrer l’entreprise sous l’aile de leur directeur administratif et financier en vue de reprendre son poste deux ans plus tard, lors de son départ en retraite». Bénéficiant des conseils précieux d’un expert, il tire profit de son enseignement et apprend les ficelles du métier. «Sur base des connaissances approfondies de la chaine de production qu’il m’a transmises, j’ai pu moderniser la méthode de travail. C’était pour moi une première expérience de gestion d’équipe – j’avais alors douze personnes sous ma direction – ainsi qu’un premier contact avec les délégations du personnel», explique-t-il.

Bien qu’appréciant son travail, le jeune homme remarque des changements dans la philosophie de gestion de l’entreprise, avec laquelle il n’est plus en accord. Lui qui voulait découvrir de nouveaux horizons professionnels avant ses 35 ans, franchit ce cap bien plus tôt…

 

Le hasard d’un changement

«La Société Nationale des Habitations à Bon Marché recherche un économiste pour devenir son nouveau directeur à moyen terme». Lorsque Guy Entringer tombe sur l’annonce un samedi matin, dans le journal accompagnant son café, il y répond immédiatement. Il n’a pourtant jamais entendu parler de la société!

La SNHBM a ceci de particulier qu’elle n’a connu que quatre directeurs en l’espace d’un siècle. Alors qu’elle recherchait le quatrième d’entre eux, l’entreprise était particulièrement soucieuse de trouver un candidat souhaitant faire perdurer cette tradition et se maintenir à ce poste dans la durée. Alors qu’il fait face aux réticences d’un membre du comité d’embauche, le jeune homme de 28 ans fait preuve d’audace: «Mon âge est un atout, il vous permettra de maintenir la durée moyenne d’emploi de vos directeurs», affirme-t-il, plein d’aplomb. Mais la société ne se laisse pas convaincre si facilement, et ce n’est qu’au terme d’une journée complète de tests de recrutement que Guy Entringer remporte le poste. Il intègre l’équipe avec l’objectif transparent de succéder à l’actuel directeur et apprend ainsi pendant deux années les mécanismes de fonctionnement de l’entreprise avant d’en prendre la tête à tout juste 31 ans.

 

Nouveaux départs

Ses débuts en tant que directeur ont été plutôt calmes: «Comme nous n’avions plus de terrains à bâtir, nous avons beaucoup investi et mis plusieurs années à développer des plans d’aménagement particuliers», raconte-t-il. Bâtissant les fondations de la croissance future de l’entreprise, il réussit en onze ans à faire quadrupler son personnel – passant de 35 à 120 collaborateurs – et le nombre de logements construits par an – de 80 à 300 logements. Pour soutenir cette croissance, il parvient même à convaincre un conseil d’administration pourtant réticent d’abandonner ses locaux historiques au profit de son siège actuel, capable d’accueillir sa nouvelle équipe grandissant au rythme des besoins du marché.

Alors qu’il prépare ce grand tournant pour la société, Guy Entringer vit toutefois des moments extrêmement difficiles sur le plan personnel. En 2012, son épouse et lui font face à la perte de leur enfant, atteint d’un défaut génétique. «Il s’agit de l’épreuve la plus difficile et marquante de ma vie. Cette rencontre avec mon fils a été très courte, je ne l’ai connu que quatre mois, mais elle a été déterminante et a influencé à jamais ma vision des choses», confie-t-il. Aujourd’hui, le couple a surmonté cette triste période: «Nous voulons transmettre le message car ce sont des événements qui arrivent plus souvent qu’on ne le pense. Il faut réussir à surmonter la douleur et surtout, il faut en parler. Bien trop de gens n’osent pas aborder ce sujet, or l’éviter par peur est encore plus pénible». Guy Entringer aura appris de ces sombres moments à prendre davantage de recul par rapport aux objectifs qu’il se fixe et à se concentrer sur ce qui est véritablement important. Le deuil est un processus personnel qui marque en profondeur celui qui le vit. Chargé d’une connotation accablante et tragique, Guy Entringer nous montre qu’il est aussi possible d’en tirer un enseignement constructif.

 

Endiguer la crise

En 2013, le premier gouvernement Bettel affiche clairement sa volonté de renforcer de façon massive l’offre de logements et fait pour cela appel aux promoteurs publics du pays. «Grâce à notre préparation en amont et à la négociation d’un soutien gouvernemental, nous avons pu élever notre production à 250 habitations par an, en à peine deux ans», se remémore-t-il.

Mais la crise du logement n’en finit pourtant pas de grandir et Guy Entringer y voit pour sa part deux causes principales, à savoir le manque de terrains à bâtir ainsi que de main d’œuvre qualifiée dans le domaine de la construction. «Si l’on demande aux promoteurs publics de produire 1.000 logements par an, nous aurons besoin de 30 ha, selon la moyenne nationale. Or le Luxembourg a besoin de 5.000 logements par an, soit 150 ha. Si l’on se projette sur 20 ans, ce sont 3.000 ha qu’il faudra dégager pour satisfaire une croissance jugée normale et nécessaire. Or, l’Etat ne semble pas encore savoir où les trouver…», constate l’économiste. Quant au manque de main d’œuvre, il s’agit déjà d’un problème à l’heure actuelle. Entre le non-respect des délais et le manque de qualification, le directeur de la SNHBM craint d’ores et déjà des arrêts de chantier…

 

Continuité et pérennité

La SNHBM construit à l’heure actuelle le projet Elmen à Kehlen, qui pourra à terme accueillir 2.000 habitants. Bien que le directeur soit fier du développement de ce projet colossal, il n’en relève pas moins quelques incohérences: «La priorité du gouvernement est de créer davantage de logements – et abordables qui plus est – pour palier la crise. Toutefois, les administrations attendent du projet qu’il réponde à des exigences environnementales, de gestion de l’eau et de mobilité très élevées. L’ennui, c’est qu’une fois ces impératifs couplés aux matériaux de haute qualité choisis pour la construction et aux innovations technologiques que nous y mettons en place, les coûts de revient par habitation s’en verront majorés de 100 à 150.000 euros par rapport à nos tarifs habituels… coût qui se répercutera inévitablement sur l’acheteur».

«Un projet comme Elmen est unique dans une carrière. J’y ai participé depuis l’acquisition des terrains et j’espère être encore en poste lors de la finalisation du projet», partage-t-il avant d’ajouter: «Mon projet à la SNHBM est loin d’être terminé. Nos finances sont bonnes mais des efforts restent à fournir au niveau de l’organisation générale de la société. Une nouvelle génération de collaborateurs vient de nous rejoindre et il faut veiller à l’intégrer et à assurer une certaine continuité dans nos activités».