Un accent belge dans la «voix de l’industrie luxembourgeoise»

Michèle Detaille a vécu deux vies, l’une scandée par la res publica, l’autre marquée par son goût pour l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, en prenant la présidence de la Fédération des Industriels Luxembourgeois (FEDIL), elle marie ses deux passions. Cette femme pionnière et audacieuse, taillée pour la fonction, se dévoile.

Michèle Detaille grandit dans les Ardennes belges qui ont inspiré les poèmes de Paul Verlaine, là où «les villages de pierre ardoisière aux toits bleus ont leur pacage et leur labourage autour d’eux». Son père possède un élevage de bovins et travaille dans le commerce de bétail, dans l’actuelle commune de Vaux-sur-Sûre. La petite fille fréquente une petite école de village et compte parmi les bons élèves, jusqu’à ce qu’arrivent les turbulences de l’adolescence. Son passage dans le secondaire sera plutôt chahuté et elle terminera ses humanités non sans quelques difficultés. C’est qu’au-delà des livres de classe, elle se passionne pour l’histoire, l’actualité, la lecture et aime à se perdre dans les musées. Sur sa table de chevet, entre deux romans, ont défilé de nombreuses biographies de personnages historiques. La jeune fille devient très vite incollable sur Charles de Gaulle, Napoléon, Louis XIV ou encore Léopold II.

 

Le libéralisme en héritage

Son attirance pour la politique se dessine à la même période. Tant du côté maternel que paternel, plusieurs membres de la famille occupent diverses fonctions politiques à l’échelle locale. C’est donc forcément un sujet qui pimente les discussions autour du repas du soir. Dans la famille Detaille, c’est le libéralisme qui régale les esprits, une doctrine économique et politique que l’adolescente reçoit presque en héritage.

Venu le temps de choisir sa voie, c’est tout naturellement que Michèle Detaille opte pour une licence en sciences politiques à l’Université catholique de Louvain (UCL). Un choix de cœur teinté de pragmatisme: le cursus n’est pas exagérément exigeant et lui permet de s’épanouir dans sa vie sociale. Lorsqu’elle ne fréquente pas les auditoires, l’étudiante s’autorise de petites escapades à Paris avec ses amis, s’évade au théâtre ou fréquente les expositions. Malgré ce besoin d’évasion, elle gardera un lien particulier avec son Alma Mater puisqu’elle deviendra, en 2015, membre du conseil d’administration de l’UCL. Le milieu académique fascine l’entrepreneure: «Je suis à la fois très admirative et très impressionnée par ces gens qui font évoluer la science, la culture, l’histoire, l’analyse critique et conceptuelle», confie-t-elle. Elle n’a pourtant pas à rougir de leur intellect puisque, à l’époque, son mémoire de licence, une analyse organisationnelle du Parti réformateur libéral, attire l’attention du ministre et président de parti d’alors, Jean Gol, et lui vaut l’honneur de travailler pour ce dernier en tant que conseiller politique. Rapidement, on a vent de la nouvelle dans son village natal où une liste communale à tendance libérale est en train de se constituer. Tout d’abord sur la réserve, la jeune femme, qui s’est éloignée des forêts ardennaises depuis une douzaine d’années et s’estime peu avertie des réalités locales, se laisse finalement convaincre par ses collègues du parti qui l’encouragent à «se mouiller sur le terrain». C’est ainsi qu’elle sert de catalyseur à son équipe et qu’au terme de la campagne l’électeur fera d’elle la plus jeune bourgmestre de Belgique, à seulement 25 ans. Comme souvent dans la vie, le hasard aura bien fait les choses puisque la jeune élue prendra goût à la fonction qu’elle occupera pendant 18 ans.

 

Un rêve entrepreneurial

Forte de son premier succès, la jeune femme devient vice-présidente de son parti puis députée, à nouveau la plus jeune dans l’histoire du Royaume. Mais malgré les victoires, la fonction n’est pas faite pour elle. «Je ne me suis pas plu dans mon rôle de députée. Je ne critique pas la fonction, je la trouve d’ailleurs très importante, mais elle ne me convenait pas du tout parce qu’elle ne me permettait pas d’être dans l’action, seulement dans le verbe», se souvient-elle. La jeune élue confie d’ailleurs très vite son rêve d’entreprise à ses collègues parlementaires et, peu après avoir quitté l’hémicycle, elle cherche à s’épanouir dans l’entrepreneuriat.

C’est ainsi qu’en 1988, Michèle Detaille s’aventure dans le secteur privé en rejoignant le groupe Accor Services où elle sera rapidement chargée de la direction commerciale pour le Benelux. Elle qui rêvait tant de diriger sa propre entreprise en garde néanmoins un souvenir agréable, ayant le sentiment d’avoir été à bonne école en se lançant dans un grand groupe. Moins de dix ans plus tard, elle se sent les épaules assez solides pour se lancer à son compte et se met à la recherche de la perle rare avec son associé. C’est en 1996 qu’elle reprend No-Nail Boxes, une entreprise spécialisée dans la production de caisses pliantes en bois contreplaqué et en acier, implantée de l’autre côté de la frontière, à Ettelbruck. Au fil des années, les actionnaires de la PME créent et acquièrent d’autres sociétés puis fondent la marque ALIPA pour, en interne, insuffler une culture de groupe et, à l’extérieur, accroître leur visibilité.

Une femme au pouvoir

Ses activités de cheffe d’entreprise amènent Michèle Detaille à entrer au conseil d’administration de la FEDIL en 2005. Treize ans plus tard, elle est promue vice-présidente de la Fédération. Elle occupera finalement ce poste moins d’un an, «les astres en ayant décidé autrement». En effet, l’annonce inattendue du départ de son président, Nicolas Buck, pour l’UEL change la donne et propulse Michèle Detaille à la tête de la Fédération, faisant d’elle la première femme mais aussi la première non-luxembourgeoise présidente de la FEDIL. Une preuve de confiance mais aussi de la belle ouverture de la Fédération et du pays, selon Michèle Detaille. Bien qu’elle n’ait pas accepté le poste dans l’intention d’être la première femme présidente, elle ne refuse pas l’étiquette de féministe et estime que l’on se prive trop souvent et bien idiotement du savoir-faire et des connaissances des femmes. «C’est bien d’être la première, mais il ne faut surtout pas être la dernière; si bien qu’avant de quitter un groupe, quel qu’il soit, je m’assure d’abord de la présence d’une autre femme», affirme-t-elle. Si l’entrepreneure a dû travailler dur, sa féminitude ne lui a jamais réellement desservi, même dans un milieu comme celui de l’industrie, traditionnellement dirigé par des hommes. Celle-ci lui a d’ailleurs permis de se démarquer; Michèle Detaille c’est «la» dame, une exception qui lui conférait une certaine notoriété.

Avec ses collaborateurs, la dame entend désormais contribuer à l’essor du Grand-Duché et préparer l’économie de demain. Sa double expérience de femme politique et de femme d’affaires ne pourra que la servir dans sa fonction: «L’idée est aussi de mener un travail pédagogique aussi bien avec nos membres qu’avec les politiques car les deux milieux se connaissent finalement assez peu», explique-t-elle. Au-delà, la nouvelle présidente entend bien représenter «le changement dans la continuité». Arrivant au milieu d’un programme qui a été défini pour six ans, elle estime pouvoir et devoir encore faire vivre l’association sur la ligne de conduite établie à l’époque et qui reflète les grands défis auxquels sont confrontés les entreprises aujourd’hui: la recherche de talents, la digitalisation et la transformation énergétique. La Belge a toutefois ajouté un quatrième axe qu’elle entend développer avec ses partenaires de la Chambre de Commerce: le commerce extérieur.

Michèle Detaille donnera le ton à la «voix des industries» avec toute l’exigence et la bienveillance qui la caractérisent, accompagnée pour cela de collaborateurs «motivés, intelligents et critiques», qui n’hésiteront pas à la challenger, comme elle aime à le souligner.