Diriger, c’est prévoir

Claude Seywert est devenu le 15 septembre 2018, le nouveau CEO et président du comité de direction d’Encevo. 47 ans, dynamique, souriant, plein d’humour, le successeur de Jean Lucius, affiche néanmoins un sérieux Curriculum Vitae. Deux semaines seulement après sa prise de fonction, il a accepté de se prêter au jeu du portrait biographique pour LG magazine. Récit d’un parcours professionnel.

 

Le temps de la formation

Claude grandit, entouré de deux sœurs et d’un frère, au sein d’une famille luxembourgeoise de Dudelange. Le garçon affiche de très bons résultats scolaires mais n’est pas toujours le plus assidu en classe. Du latin aux mathématiques, ses facilités lui permettent de sillonner avec brio et non sans outrecuidance les filières classiques de l’Athénée. Il s’essaie à l’athlétisme, au tennis, au tennis de table, suit des cours de solfège et de piano et a le goût de la littérature. Dans le respect de la tradition littéraire luxembourgeoise qui refuse les traductions au profit des textes originaux, il s’efforce de vaguer entre les auteurs francophones, germanophones et anglophones. Aujourd’hui encore, il n’est pas de ceux qui lisent sur un écran, lui préférant la rugosité du papier sous les doigts, l’odeur des pages écorchées et l’objet-livre dans la main. Des grands auteurs classiques aux textes philosophiques, en passant par la littérature fantastique, il a la lecture éclectique et romantique.

Un homme de discussions qui entend les oppositions mais qui sait prendre les décisions et donner les directives

En 1990, avec son baccalauréat en poche et le regard vissé dans le ciel par la passion des avions, il a dans l’espoir d’intégrer une grande école française. Il renonce à l’idée de passer par les classes préparatoires et prend la direction du centre économique, financier, scientifique et artistique helvétique où il passe un master en physique à l’Ecole polytechnique de Zurich. En 1995, il s’envole pour la Californie, ses plages, son soleil, sa cité des anges, ses parfums de liberté mais aussi et surtout pour les laboratoires du «California Institute of Technology» où il passe un master et un doctorat en aéronautique. Le doctorant sait déjà qu’il ne fera pas de la recherche toute sa vie et souhaite être actif dans le monde de l’entreprise. Il hésite un temps à rester aux Etats-Unis mais le bureau allemand d’une entreprise de consultance venu recruter en Californie cherche des étudiants qui parlent allemand. Un weekend tous frais payés à San Francisco et la perspective de revenir en Europe suffisent à le convaincre.

 

Responsabilités formatrices

Le monde de l’entreprise lui plaît aussitôt et la consultance stratégique dans l’industrie lui permet d’acquérir des compétences en économie et en finance. Il gratte beaucoup de papier, apprend à se développer rapidement au contact d’interlocuteurs expérimentés et voyage constamment. La distance commence à peser et il revient alors au pays en 2002.

Lui qui au lycée aimait dire, comme beaucoup d’ados, qu’il ne travaillerait jamais à l’ARBED comme papa, rentre au contrôle de gestion du nouveau groupe Arcelor, alors animé d’une certaine effervescence et attirant des collaborateurs internationaux. «Les fusions commençaient à peine à se faire et il restait encore tout à construire dans les couches transversales et notamment dans le contrôle de gestion», se souvient-il. Michel Wurth, alors membre de la direction du groupe et directeur financier, le prend sous son aile comme assistant exécutif. Il traite des mêmes dossiers et notamment des affaires luxembourgeoises et c’est à ce moment-là qu’il fait la connaissance des sociétés qui formeront le noyau du groupe Encevo.

Pour une transition énergétique économiquement et socialement responsable

Son désir opérationnel l’amène en 2007 dans les usines de Florange avec l’objectif d’augmenter la production d’acier mais la crise de 2008 changea la donne. La surproduction européenne obligea l’arrêt des hauts fourneaux, et par la même, le travail des ouvriers bientôt en grève. Directeur des usines à froid en 2009, Claude Seywert va à la rencontre de ces hommes chauffés de colères. «La grève se faisant surtout à l’entrée de l’usine, je devais négocier les passages des camions et des trains afin de répondre aux commandes des clients», explique-t-il. Un patron en costume au milieu d’ouvriers en grève laisse imaginer une violence du verbe et une animosité des rapports de forces. Pourtant, l’hypermnésie d’Internet garde dans sa mémoire d’éléphant, de nombreuses vidéos de ces confrontations où la franchise et la dureté n’enlèvent rien au respect et à la complicité. Claude Seywert explique cette bienveillance par deux facteurs: «d’abord j’avais déjà été amené à négocier avec les syndicats, de sorte que nous avions confiance dans les engagements que nous prenions. Ensuite, si le groupe entendait réduire sa production pour faire face à la surproduction européenne, il était clair que le directeur de l’usine que j’étais se battrait pour que cette réduction ne se fasse pas sur notre site». Et de conclure qu’«en cela nous étions complices d’un objectif en commun».

Le directeur connait la responsabilité de sa fonction et une fois le salon feutré de ses appartements retrouvé, il sait que derrière les colères se jouent autant de drames personnels et familiaux. Même en s’efforçant de dresser des murs entre les sphères professionnelles et privées, les voix traversantes de la conscience ne s’éteignent pas aisément.

 

Transparence et responsabilité

Arcelor Mittal quitte l’actionnariat d’Encevo en 2012, l’année où Claude Seywert quitte le géant de l’acier pour le gestionnaire de réseaux d’électricité et de gaz naturel Creos. S’il a beaucoup appris au sein de ce grand groupe, la prochaine étape aurait été de repartir pour l’étranger et il souhaitait retrouver une entreprise à taille humaine. Il devient alors responsable de la stratégie en vue de remplacer à la tête de Creos Romain Becker parti à la retraite en 2015. Là, son expérience de terrain à Florange, lui aura permis d’imposer son style avec la volonté de faire évoluer cette entreprise du groupe Encevo.

Lorsque Jean Lucius annonce son départ en retraite, le conseil d’administration d’Encevo se met à la recherche d’un successeur. Le choix se porte sur Claude Seywert qui a la gestion de Creos pour lui mais aussi une jeunesse, un dynamisme et un humour qui pourraient servir à donner une deuxième vitalité au groupe.

Le quadragénaire définit son style de management par la transparence et la responsabilité. Leur donnant une certaine marge de main-d’œuvre et les impliquant dans les sujets, il aime à penser qu’il favorise la participation de ses collaborateurs. Il est un homme de discussions qui entend les oppositions mais qui sait prendre les décisions et donner les directives. De nature optimiste, il part du principe que du poste le plus bas jusqu’à la direction, tous œuvrent pour le meilleur de l’entreprise.

Deux semaines après sa prise de fonction, Claude Seywert prend encore ses marques mais ne cache rien de ses ambitions pour le groupe. Il entend donner plus d’importance encore aux clients, réduire la bureaucratie et offrir davantage de visibilité au groupe. Réactivité, agilité, dynamisme; l’ambition est de faire prospérer le groupe et de rester le leadeur de l’énergie au Luxembourg et en Grande Région. «Le premier réflexe lorsqu’on pense aux panneaux solaires, aux batteries, aux systèmes d’électromobilité, ou autres questions énergétiques, doit être de s’adresser à une entité du groupe Encevo».

«Le monde de l’énergie est en mouvement et nous devons nous transformer pour mieux l’accompagner. Personne ne peut dire à quoi il ressemblera dans dix ans et il faut donc se réinventer quotidiennement. Le groupe est fort de plusieurs départements et sociétés encore hétérogènes qu’il faudra plus encore rassembler dans une vision cohérente». On sait que le Luxembourg a de fortes ambitions pour son développement à venir qu’il veut durable. L’idée d’une société où les citoyens, les entreprises, les industries doivent tous être impliqués pour une transition énergétique économiquement et socialement responsable prend alors tout son sens.

Par Julien Brun