Inclure l’élève handicapé au profit de tous

Récemment distinguée par la Fondation Conrad N. Hilton pour sa contribution à l’apaisement de la souffrance humaine, l’action de Handicap International passe, entre autres, par le fait de favoriser l’accès à l’éducation. La fédération conduit des projets d’éducation inclusive dans 12 pays et intègre par ailleurs un volet ‘éducation’ au sein de 6 projets sociaux portant plus largement sur l’intégration de personnes handicapées. La branche luxembourgeoise du réseau est plus particulièrement responsable du suivi et de l’appui de 2 projets d’éducation inclusive financés par le ministère des Affaires étrangères, l’un au Sénégal et l’autre au Cambodge.

Interview de Gilles Ceralli, référent technique éducation inclusive.
 

Quelle est la situation des enfants handicapés en âge d’être scolarisé dans les pays où Handicap International est actif? Et quels sont les principaux obstacles à leur scolarisation?

Dans le monde, 72 millions d’enfants ne sont pas scolarisés. 30 pour cent d’entre eux seraient des enfants handicapés, dont la moitié ne va pas à l’école pour des raisons souvent subjectives en lien avec les perceptions que les gens peuvent avoir des personnes handicapées. Cette situation est accentuée, dans les pays en développement, par le fait que les familles sont pauvres, les enseignants mal formés et les mentalités souvent hostiles au handicap, qui est associé à certains tabous sociaux. On considère parfois, par exemple, les enfants handicapés comme des esprits malfaisants, et certaines déficiences, comme l’épilepsie, peuvent être assimilées, à tort, à des maladies contagieuses. Il y a également des enfants qui ne sont pas rejetés à proprement parler, mais que leurs parents hésitent à envoyer à l’école parce qu’ils estiment qu’il n’y apprendra rien et que c’est donc une perte de temps ou un investissement inutile. Enfin, l’administration et les enseignants eux-mêmes se montrent réticents à inclure, dans des classes déjà surchargées, ces enfants qui pourraient retarder l’enseignement. Même si la qualité de l’éducation n’est pas toujours très élevée dans ces pays, les enseignants ont une mentalité élitiste. Ils font donc en sorte, souvent, que seuls les meilleurs soient encouragés et laissent de côté tous ceux qui ne parviennent pas à sortir la tête de l’eau. L’accès à l’école des enfants handicapés est considérablement entravé par tous ces facteurs. On considère que dans les pays en développement, 9 enfants handicapés sur 10 en moyenne ne sont pas scolarisés ou le sont dans de mauvaises conditions.
 

Votre travail ne consiste donc pas essentiellement, comme on peut l’imaginer, à rendre des locaux accessibles au sens physique du terme, mais plutôt à faire évoluer les mentalités…

Nos projets s’articulent autour de 3 composantes.
La première porte sur la sensibilisation de la population. Ces actions visent à expliquer au groupe et plus individuellement aux parents d’enfants handicapés, ce qu’est le handicap, quels sont les différents types de déficience et quelles sont les potentialités des enfants handicapés.
Le second type d’actions consiste en la formation des directeurs d’école et des enseignants. L’objectif est de leur donner les moyens pédagogiques de travailler avec, non seulement les enfants handicapés, mais tous les enfants. Dans les pays en développement, les enseignants ont souvent reçu une formation très courte. Certains sont même des volontaires. Ils n’ont pas toutes les cartes en main pour travailler avec des enfants: ils n’ont pas toujours connaissance  des étapes du développement intellectuel de l’enfant, ni la façon dont ils construisent leur savoir et leurs savoir-faire au fil des ans. Ils réclament des ‘recettes’. Nous les aidons donc d’abord à travailler mieux avec tous leurs élèves à travers un soutien transversal en termes de formation continue. C’est seulement dans un second temps que nous les encourageons à adapter leur enseignement aux difficultés particulières de certains enfants. Il peut s’agir de procéder à de petites adaptations comme rapprocher un élève mal entendant ou travailler sur du matériel en gros caractères avec un élève mal voyant, mais il peut aussi s’agir d’apprendre le braille ou la langue des signes.  
Troisièmement, nous agissons en amont sur un renforcement institutionnel. Nous essayons de faire en sorte que le cadre juridique soit adapté, que les ministères en charge de l’éducation créent un département dédié à l’inclusion des enfants handicapés, que les écoles de formation des maîtres intègrent un module sur ce thème et que, dans chaque circonscription scolaire, il y ait des personnes clé dont la tâche consisterait à favoriser l’inclusion des enfants handicapés.
Travailler sur l’inclusion d’un enfant handicapé, c’est travailler autant sur son environnement que sur lui-même.
 

Vous parlez d’inclusion plutôt que d’intégration. Quelle différence faites-vous entre ces deux notions?

Dans un système basé sur l’intégration, l’enfant est bel et bien mêlé aux autres enfants, mais c’est à lui de s’adapter au système, alors qu’un système basé sur l’inclusion consiste à adapter l’environnement à cet enfant, de manière à ce que tous les autres enfants en tirent également profit.
Dans la logique d’Handicap International, on ne parle pas de personnes handicapées, mais de personnes autrement capables, c’est-à-dire dont les capacités sont mesurées avec d’autres critères que les nôtres. Notre objectif est une société inclusive, où les différences sont acceptées et reconnues.
 

Quel est l’avenir de ces enfants autrement capables dans les pays en développement?

Nous avons introduit des projets d’éducation dans nos programmes depuis une dizaine d’années. Ces initiatives s’inscrivent dans le domaine ‘insertion’ qui comprend, outre l’éducation, différents secteurs: insertion professionnelle, microfinance, travail social, sport, loisirs et culture. Nous développons des liens entre ces différents secteurs car scolariser un enfant est certes une chose positive, mais il faut qu’il ait, en plus, une perspective d’emploi et la possibilité de pratiquer d’autres activités en parallèle. Il faut également soutenir sa famille en lui permettant, par exemple, d’avoir accès à des microcrédits. Nous adoptons une logique d’insertion globale, et pas seulement sectorielle. Nous essayons aussi de travailler au-delà de l’enseignement primaire et de faire le lien avec le secondaire pour permettre à ces enfants d’aller, qui sait, peut-être un jour à l’université.  MT

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