Construction durable : déployez-vous la bonne stratégie ?
Économie circulaire, neutralité carbone, taxonomie européenne, certifications DGNB, BREEAM, WELL… les approches du développement durable sont nombreuses dans le secteur de la construction. Mais se valent-elles toutes ? Et par quel bout prendre la problématique pour protéger efficacement le climat et les ressources de notre planète ? Stefan Fries et Judith Gerads, directeurs d’E3Consult, un bureau d’études spécialisé dans le conseil en construction durable depuis 2011, répondent à ces questions.
Un objectif, une multitude d’approches
Protéger le climat, l’environnement et les ressources par la construction de bâtiments sains et accueillants est une nécessité, mais aussi un défi. « Rien qu’au Luxembourg, les approches discutées et appliquées dans le secteur immobilier sont des plus diverses. En raison de la complexité des sujets, il est désormais difficile, même pour les maîtres d’ouvrage ambitieux, de décider laquelle est la plus pertinente par rapport aux objectifs fixés », déclare Stefan Fries.
Il est désormais difficile, même pour les maîtres d’ouvrage ambitieux, de décider quelle approche de la durabilité est la plus pertinente par rapport aux objectifs fixés
C’est pour les guider qu’il a fondé E3Consult en 2011. Après des études en sciences de l’environnement et en génie civil, il devient biologiste du bâtiment et conseiller en énergie agréé au Luxembourg. Auditeur pour les certifications BREEAM et DGNB, il est aussi chargé de cours en construction durable à l’Université du Luxembourg, membre du pool d’experts de la DGNB et formateur sur le thème « bilans écologiques – neutralité carbone ». Épaulé à la direction d’E3Consult par Judith Gerards, conseillère en énergie et experte certifiée en physique hygrothermique du bâtiment, il connaît mieux que quiconque l’évolution de la construction durable au Grand-Duché. Avec leur équipe pluridisciplinaire d’ingénieurs et d’architectes, les deux directeurs aident les maîtres d’ouvrage publics et privés à naviguer parmi les multiples dimensions que recouvre le terme « durable », à identifier l’approche adéquate pour chacun de leur projet et à en comprendre toutes les facettes.
L’économie circulaire : en finir avec la notion de déchet
L’économie circulaire a pour objectif la réutilisation des matériaux dans leurs cycles naturels ou techniques, contrairement à l’économie linéaire où les ressources sont extraites, transformées puis jetées. « Dans cette approche, le réemploi des éléments constitutifs d’un immeuble repose sur l’absence de substances nocives dans les matériaux de construction et sur la possibilité de les séparer et de les démonter, par exemple en renonçant aux assemblages collés. Ainsi, à la fin du cycle de vie d’un bâtiment, les déchets peuvent être évités et les ressources préservées. Toutefois, ce modèle économique ne s’accompagne d’aucune exigence ou méthode de calcul définie en ce qui concerne la limitation des émissions de CO2 des matériaux de construction intégrés. Son impact sur le climat ne se révèle, le cas échéant, qu’à la fin du cycle de vie de l’édifice, en général 50 ans plus tard », explique Stefan Fries.
La neutralité carbone : lutter contre le réchauffement climatique
Une construction neutre en carbone, quant à elle, vise à minimiser les émissions de CO2 générées par la conception, la construction, l’utilisation et la démolition des bâtiments en recourant à des matériaux respectueux de l’environnement, des technologies efficaces sur le plan énergétique et des pratiques de construction durables. « Dans le meilleur des cas, les bâtiments devraient être conçus de manière que les producteurs d’énergie alternative (généralement des systèmes photovoltaïques) installés sur le toit ou la façade couvrent l’entièreté des besoins énergétiques nécessaires à la construction et à l’exploitation de l’édifice. Or, à partir d’une hauteur de trois étages, le ratio surface de toiture disponible / surface utile exploitée ne permet plus de couvrir tous ces besoins, même dans le cas d’immeubles très efficaces sur le plan énergétique. C’est pourquoi les bâtiments à plusieurs étages ne peuvent généralement être exploités de matière neutre que si le chauffage, le refroidissement et l’éclairage reposent sur une électricité neutre en CO2, via un système de pompe à chaleur par exemple », développe Judith Gerads.
Le premier bâtiment luxembourgeois à avoir respecté ces conditions est celui de l’Administration de la nature et des forêts, à Diekirch, achevé en 2013 pour le compte de l’Administration des bâtiments publics. Prouesse réalisée sur les conseils d’E3Consult, la construction qui profite de panneaux photovoltaïques en toiture et en façade a également obtenu une certification DGNB platine et peut toujours être considérée comme un projet phare en matière de protection climatique.
Se concentrer sur un seul aspect n’est pas la solution ; il faut tous les appréhender et trouver le bon équilibre entre chaque approche
« L’évaluation de la neutralité carbone est un critère important dans les systèmes de certification utilisés au Luxembourg, comme DGNB ou BREEAM. Dans ce cadre, les émissions de CO2 générées par la construction et l’exploitation du bâtiment sont comptabilisées dans le calcul du bilan écologique. Dans la certification DGNB (certainement l’une des plus complètes qui soit), une feuille de route pour la protection du climat, qui présente une stratégie pour atteindre la neutralité carbone, doit être établie en sus. En alternative à ces méthodes exigeantes, certains labels peuvent aussi attester de la neutralité en CO2 d’un bâtiment. La plupart d’entre eux permettent de recourir à des mesures de compensation, comme des programmes de reboisement en dehors du Luxembourg, plutôt que de réduire les émissions de CO2 sur place. Ces mesures sont toutefois critiquées en raison de certains effets négatifs qu’elles peuvent engendrer et d’un manque de crédibilité », indique le fondateur d’E3Consult.
Le confort d’utilisation : un gage de longévité
La beauté et le confort d’un immeuble constituent également des facteurs de durabilité. En effet, plus un édifice sera confortable, agréable à vivre et beau, plus longtemps il sera exploité. Le confort thermique, l’acoustique, la luminosité ou encore la qualité de l’air sont donc autant de caractéristiques d’un bâtiment durable. « Ces facteurs sont d’ailleurs des critères étudiés lors des processus de certifications DGNB et BREEAM. Ils font aussi l’objet de la certification WELL, depuis peu appliquée au Luxembourg. Cette dernière, néanmoins, ne considère les aspects écologiques et économiques que de manière marginale. Elle n’apporte pas de réelle solution pour le climat. Les maîtres d’ouvrage doivent en avoir conscience », souligne Judith Gerads.
Depuis quelques années, la qualité de design d’un bâtiment est récompensée par le certificat Diamant de la DGNB.
La méthode E3Consult : la durabilité à 360°
Chaque approche est donc durable à sa manière. Mais alors, laquelle privilégier ? Selon Stefan Fries, « se concentrer sur un seul aspect n’est pas la solution ; il faut tous les appréhender et trouver le bon équilibre entre chaque approche ». Appliquée dans de nombreux pays européens, la certification DGNB permet de couvrir la plupart des dimensions susmentionnées et donc d’assurer la durabilité de son bâtiment au sens large. « Chez E3Consult, nous plaidons pour que chaque aspect évalué le soit sur base d’exigences ou de normes concrètes et quantifiables. Plus nous intervenons tôt dans un projet (qu’il soit neuf ou en rénovation), mieux nous pourrons accompagner les maîtres d’œuvre dans sa conception. C’est ainsi que nous avons mené l’un de nos derniers projets phares, le bâtiment Helix, nouveau siège de Post, dont nous avons étudié la durabilité sous toutes les coutures. Nous avons calculé son empreinte carbone, assuré sa certification DGNB, établi et contrôlé la politique de sécurité et de santé sur le chantier, contrôlé la non-nocivité des matériaux et effectué les mesures nécessaires lors de la mise en exploitation du bâtiment », conclut-il.