Développement durable : comment devenir le maillon d’un cercle vertueux ?
Le changement climatique nous incite à reconsidérer notre perception des sociétés et modèles économiques traditionnels, redéfinissant au passage la notion de progrès. Les nouvelles initiatives et innovations doivent désormais tenir compte de leur impact écologique et social. Un quatuor d’experts d’EY Luxembourg nous explique comment et pourquoi acteurs publics et privés doivent repenser leur stratégie pour faire du Luxembourg un modèle de développement durable. Interview avec Pierre-Jean Forrer, Partner et Government and Public Sector Leader, Vanessa Müller, Partner et ESG Leader, Blanca Hidalgo, Senior Consultant ESG Services et Anna Illarionova, Senior Manager ESG Services.
Qu’est-ce qui pousse les entreprises à prendre part à la transition environnementale? Avec quelles conséquences ?
VM: Si certains acteurs ont heureusement pris le sujet à bras le corps par conviction, à l’échelle européenne particulièrement, les exigences réglementaires comptent parmi les principales incitations, voire obligations, à la transition. La directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD), pour ne citer qu’elle, impose un rapport transparent sur ce que les entreprises entreprennent en matière de développement durable et, par conséquent, les encourage à intégrer des critères environnementaux dans leur stratégie. Le comportement des consommateurs – qui privilégient désormais les marques éthiques et respectueuses de l’environnement – et les investisseurs – qui orientent davantage leurs capitaux vers des sociétés intégrant les critères ESG, incitent également les entreprises à fournir un effort en ce sens. Enfin, un changement sociétal global redéfinit le rôle des entreprises comme acteurs majeurs dans la lutte contre le changement climatique.
AI: Quels que soient les facteurs qui les y poussent, les entreprises retirent de nombreux bénéfices en participant à la transition. Adopter des pratiques durables leur offre non seulement un avantage concurrentiel et réputationnel pour les raisons précitées, mais aussi financier puisque l’efficacité énergétique et l’utilisation de ressources renouvelables permettent souvent de réduire les coûts à long terme. Bien sûr, contribuer à une économie plus verte implique des contraintes : les investissements initiaux dans des technologies durables ou des formations pour le personnel peuvent s’avérer élevés et la mise en conformité avec des réglementations telles que la CSRD exige des ressources supplémentaires pour collecter les données, mesurer son impact environnemental et sociétal (indispensable pour éviter les risques d’accusation d’écoblanchiment) et publier les informations requises de manière rigoureuse.
Comment évaluez-vous les efforts de transition au Grand-Duché?
PJF: Le Luxembourg a toujours été un acteur actif en matière de durabilité au sens large; en témoignent des stratégies comme le Plan national énergie et climat 2021-2030, le paquet économie circulaire de 2022 ou encore les remaniements ministériels de 2023 visant à renforcer la collaboration intersectorielle en matière d’énergie et de climat. L’accord de coalition 2023-2028, avec sa feuille de route pour accélérer la neutralité carbone, accorde d’ailleurs une priorité accrue à l’action en faveur du climat. Concrètement, cela signifie l’expansion des pratiques de construction bas carbone, l’accélération des projets d’énergie solaire et éolienne, et le développement de mécanismes pour attirer les investissements dans des secteurs verts ou décarbonés.
VM: L’avantage du Luxembourg est sa capacité à agir rapidement; nous remarquons déjà les premiers fruits de ces nouvelles mesures. De plus en plus de partenariats public-privé se forment, facilitant la certification des entreprises en matière d’économie circulaire, par exemple. Des objectifs intermédiaires ambitieux ont été fixés afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), et des campagnes se multiplient en ce sens, encourageant ainsi les citoyens à adopter des modes de vie plus économes.
Le Luxembourg peut-il prendre exemple sur d’autres pays ayant mis en œuvre des stratégies particulièrement réussies ?
BH: Absolument, il peut s’inspirer de nombreuses stratégies innovantes développées avec succès à l’étranger. Le Pays basque, par exemple, est devenu un modèle en matière d’économie circulaire régionale grâce à la mise en place de la symbiose industrielle. Simple mais efficace, son principe repose sur un partage des flux de déchets visant à transformer les sous-produits d’une industrie en ressources pour une autre. Cette pratique permet de réduire les déchets, d’optimiser l’utilisation des ressources, de créer de nouvelles opportunités économiques et pourrait facilement s’exporter au Grand-Duché. L’adoption d’une tarification du carbone, comme l’a fait la Suède dès 1991, est une autre piste à explorer pour permettre aux industries luxembourgeoises, en particulier celles de la construction et des transports, de réduire leurs émissions.
AI: Le modèle de ville circulaire serait également transposable au Grand-Duché. C’est un concept déjà adopté par plusieurs villes européennes qui vise à passer d’un schéma linéaire dans lequel on extrait, fabrique et jette, à un modèle en boucle fermée grâce à la notion de réemploi. S’il s’applique particulièrement bien aux chaînes de valeur clés telles que l’électronique et les TIC, les batteries et les véhicules, les emballages, les textiles, la construction et l’alimentation, le concept peut se décliner dans toutes les fonctions d’une ville à condition d’une bonne collaboration entre les citoyens, les entreprises et la communauté scientifique. Grâce à cette approche, les municipalités cherchent à améliorer le bien-être humain, à réduire les émissions, à renforcer la biodiversité et à promouvoir la justice sociale.
Les entreprises et communes luxembourgeoises sont-elles prêtes à suivre une voie si ambitieuse?
PJF: Le niveau de préparation des entreprises et des communes est très inégal selon leur taille et les ressources dont elles disposent. Certaines, les plus grandes, ont déjà entamé leur transition en calculant leurs émissions de GES ou en adoptant des pratiques durables dans leurs processus. D’autres, en revanche, n’ont pas encore pleinement évalué les transformations nécessaires. Il s’agit surtout des PME et des petites communes dont les équipes réduites manquent de moyens, de connaissances ou d’expérience pour leur emboîter le pas. Leurs
principaux défis incluent la complexité de la comptabilisation des émissions, l’intégration de critères de durabilité dans les marchés publics, la mobilisation de toute leur chaîne de valeur et l’identification des opportunités liées à l’économie circulaire. Un soutien structuré semble donc essentiel pour accompagner ces acteurs dans leur transition.
Comment, chez EY, pouvez-vous le leur apporter ?
VM: Cela fait maintenant quelques années qu’une équipe d’EY s’est spécialisée dans ces problématiques. Au Luxembourg, plus de 40 personnes s’y consacrent au quotidien, pouvant se reposer aussi sur l’expertise des quelque 5.000 spécialistes au sein du groupe. Elles aident les acteurs du secteur public ou privé à comprendre leurs obligations réglementaires et, avec une approche personnalisée, à les traduire en actions concrètes. Par exemple, elles les accompagnent dans la mise à jour de leur processus d’achat et de leur inventaire de fournisseurs pour y intégrer des critères relatifs à la durabilité. Elles guident également les communes et entreprises dans la réalisation d’inventaires des émissions de GES ou conçoivent des outils simples leur permettant d’enregistrer des données sur la consommation énergétique de leurs bâtiments pour en faciliter le suivi et l’analyse. Enfin, cette équipe intervient aussi dans la formation et la sensibilisation pour faciliter la gestion du changement et la mise en place d’un cercle vertueux!