Oser sans doser

Claude Demuth

Il suffit parfois d’un déclic pour changer le cours d’une vie et d’un pays. D’élève désintéressé à CEO de LU-CIX, Claude Demuth a gravi les échelons jusqu’à devenir l’un des principaux acteurs des télécommunications au Grand-Duché. Derrière son costume se cache une personnalité fidèle à ses valeurs, emplie d’humilité, couverte de gratitude envers son entourage professionnel et personnel et sertie d’une dose de courage, celui d’oser et de proposer des idées novatrices pour l’intérêt des secteurs publics et privés.

 

La passion de la technique

Claude Demuth naît à Luxembourg-Ville en 1970 et grandit au Luxembourg. Son humilité et sa bonhommie trouvent leur source dans les valeurs inculquées par ses parents. De son propre aveu, son enfance est classique. « Jeune, j’ai pratiqué le tennis, le football ou encore le vélo et je dois avouer que je n’étais ni un élève sérieux, ni un écolier modèle, mais un gamin plutôt simple et plus motivé à l’idée de jouer que de travailler à l’école », se remémore-t-il. C’est à l’âge de treize ans que l’élève désintéressé qu’il était change de mentalité, soutenu par ses parents qui le poussent à faire ses études.

Ce déclic survient grâce à un membre de sa famille qui travaillait pour RTL en tant qu’électricien. « Il a attisé ma curiosité par sa passion pour la technologie et l’électronique en général », explique Claude Demuth. Malgré le dilettantisme de son enfance, lui qui n’a pourtant jamais redoublé entreprend des études au Lycée Technique des Arts et Métiers, puis un bac+3 en tant qu’ingénieur technicien à l’Institut Supérieur de Technologie au Luxembourg. Il découvre le monde du travail et des télécoms chez CETREL (aujourd’hui Worldline), une coopérative bancaire qui mettait à disposition des terminaux de paiement pour les commerçants. Après une année dans la vie active, il reprend son cursus en suivant une licence puis une maîtrise en informatique à l’Université Louis Pasteur à Strasbourg qu’il valide en 1995.

 

« Les télécoms, c’est mon dada »

« J’ai bien aimé étudier l’informatique, mais je n’ai pas retrouvé ce qui m’intéressait réellement. Je souhaitais me replonger dans les télécoms, car c’est mon dada », précise-t-il. Il retourne alors chez CETREL pour poursuivre sa carrière. En un an, l’employé gravit les échelons et est promu responsable de l’équipe télécommunication, bureautique et sécurité opérationnelle, un poste qu’il occupe jusqu’en 2005. « Nous délivrions un service hautement critique puisque les paiements étaient effectués en temps réel. C’était un vrai challenge même si nous étions en arrière-plan, car les télécoms sont une infrastructure au service des autres et des applications. Durant presque dix ans, j’ai accompagné CETREL dans ses projets d’envergure et de diversification de ses activités. Mon envie d’être créatif et de relever des défis occupait de plus en plus mes pensées. Au fil du temps, l’entreprise s’est diversifiée en offrant des services ISP (Internet service provider) pour les banques. Mon équipe et moi-même avons ainsi lancé CETREL ISP Services. C’est là qu’a commencé ma carrière d’entrepreneur au sein d’une société déjà existante parce que je n’ai jamais créé d’entreprise à proprement parler », sourit-il. Puis, il rejoint le département ventes de POST Luxembourg de 2005 à 2011.

 

LU-CIX, pour l’intérêt national

Trois ans plus tard, il apprend que le gouvernement décide de développer l’ICT avec l’objectif d’en faire un nouveau pilier économique, notamment en lançant LuxConnect, pour attirer les grands noms du domaine sur le territoire luxembourgeois.

Très observateur, Claude Demuth perçoit un nouveau besoin. Il manque un maillon dans la chaîne : un nœud d’échange pour les opérateurs et entre les data centres. Même s’il existait une telle structure avec LIX, opérée par la Fondation RESTENA, celle-ci n’avait pas pour mission de promouvoir et de développer un écosystème propice au déploiement IT sur le territoire grand-ducal et à l’international. « C’est à ce moment, en 2009, que sont nés LU-CIX GIE et LU-CIX asbl dont l’État est co-fondateur, car nous œuvrions pour l’intérêt du pays. Seul, je n’aurais pas réussi, le succès revient aussi aux bénévoles qui ont travaillé durant sept ans et à l’équipe que j’ai pu fédérer autour de moi », indique Claude Demuth.

Quelques années plus tard, LU-CIX se professionnalise. Puis, en 2017, le Centre Technologique de l’Information et de l’État (CTIE) est victime de cyberattaques par DDoS. Cet incident a démontré qu’il manquait un acteur majeur dédié à la protection des infrastructures digitales du Grand-Duché contre les attaques DDoS de grande envergure ; mais la masse critique n’était pas optimale pour qu’une société privée puisse s’occuper d’un tel centre de filtrage. « Qui avait un statut politiquement neutre, non commercial et connectait tous les opérateurs et toutes les infrastructures importantes ? LU-CIX. L’État nous a ainsi donné la mission de mettre en place un centre national de filtrage pack DDoS, activable seulement en cas de gestion de crise ».

 

Aux origines de Luxchat

Au gré du développement des pratiques informatiques, le CEO de LU-CIX remarque que les échanges, aussi bien pour le secteur public que pour le privé, s’effectuent par le biais du chat au détriment des canaux plus traditionnels et formels tels que les e-mails. « C’est du « Shadow IT », c’est-à-dire que c’est une technologie qui n’est pas structurée par une société ou par une institution étatique, d’où l’idée de créer Luxchat. Le gouvernement était très ouvert à l’idée de lancer un tel dispositif. La crise du Covid-19 a bien accéléré son déploiement », précise Claude Demuth, qui met encore à l’honneur son équipe. Celle-ci a travaillé d’arrache-pied pour mettre en place cette solution aujourd’hui saluée par S.A.R. le Grand-Duc. « Son Altesse a participé au lancement de l’application lors des Luxembourg Internet Days et j’ai été ravi d’avoir pu l’accueillir et de lancer ce projet avec lui. C’était un moment très marquant ».

J’aime dire que les clés menant à l’échec sont plus courantes que celles menant au succès si nous n’osons pas

Une autre rencontre l’a aussi profondément touché : celle avec un directeur de Cisco Systems dont il tait le nom pour préserver un certain anonymat. « Ce moment est arrivé juste avant la crise sanitaire. J’ai pu lui raconter l’histoire de LU-CIX. Il m’a félicité et longuement complimenté pour le travail accompli en tant que fondateur, tout en louant ma part de créativité et l’énergie que j’y ai mise. Parfois, de simples mots font le plus grand bien », souligne le spécialiste.

 

Le courage d’oser

Cette reconnaissance venant de la part d’une pointure de l’IT, Claude Demuth s’évertue à la transmettre aux équipes et aux collaborateurs qui l’entourent. C’est pourquoi il s’empresse d’utiliser le « nous » plutôt que le « je » quand il s’agit d’évoquer son parcours. « LU-CIX, Luxchat,… Toutes ces innovations et nouvelles solutions sont le fruit d’un travail d’équipe. J’aime dire que les clés menant à l’échec sont plus courantes que celles menant au succès si nous n’osons pas. Je ne suis pas un exemple d’entrepreneur, car je n’ai pas eu cette expérience ô combien difficile. Mais, si je devais donner un conseil aux jeunes, aux moins jeunes aussi, entrepreneurs ou non, ce serait celui d’être leaders et non pas suiveurs, d’oser, d’être créatifs, de proposer et d’essayer de lancer des innovations ; et aux chefs d’entreprises de faire confiance à leurs collaborateurs et de leur offrir une certaine liberté d’entreprendre. C’est cet état d’esprit que je m’efforce de suivre et que j’espère insuffler aux personnes qui m’entourent, tant dans la sphère privée que publique. Oser ne veut pas forcément dire prendre des risques inutiles, je n’ai jamais mis en péril une structure ou joué au cow-boy. Toutes les décisions prises sont mesurées et réfléchies ! », explique-t-il, en se remémorant une citation de Sénèque qui l’anime au quotidien : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ».

 

« J’apprécie les Terres Rouges »

Claude Demuth se plaît autant au travail qu’à la maison et insiste sur la chance qu’il a d’avoir trouvé sa voie et de gérer une « super société et une belle équipe ». Si sa profession occupe une place importante dans son équilibre personnel, il n’oublie pas non plus de se ressourcer à la campagne ou au ski. Cet attrait pour la nature et surtout la liberté qu’elle procure transpire dans son discours et sa façon de voir le monde et les relations humaines. « Je suis de moins en moins un homme de la ville, même si j’aime me rendre dans la capitale pour m’offrir un très bon restaurant par exemple. Sinon, j’apprécie les Terres Rouges, Dudelange, Schifflange et les anciennes mines. On dit souvent que le sud a tout à envier au nord, mais cette région regorge de lieux et de jolis paysages à découvrir… et de bons circuits VTT à parcourir ! », conclut-il.

 

Par Pierre Birck

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