Penser la formation comme un écosystème naturel
En biologie, un écosystème désigne un ensemble d’organismes développant, entre eux et avec leur environnement, un réseau de dépendances et d’échanges pour permettre leur survie. L’idée «d’écosystème de formation» qui émerge au sein de certaines organisations fait écho à ce modèle centré sur le concept d’interaction. Carole Houpert, Learning & Development Director chez Arendt, nous démontre que les analogies entre ces deux systèmes sont nombreuses et évoque l’intérêt d’une telle approche.
Qu’entendez-vous exactement par «écosystème de formation»?
Dans le domaine de la formation, le terme d’écosystème peut être interprété au sens figuré (celui d’un pays ou d’une région, par exemple), mais aussi de façon plus proche de son sens propre, en écho à la nature. Dans ce contexte, ce ne sont pas des organismes au sens biologique du terme qui vont développer un ensemble dynamique, mais plutôt des pôles qui sont amenés à jouer leur rôle avec leurs propres outils, expertises et objectifs, pour atteindre un résultat équilibré et efficace, qui génère un véritable impact.
Dans une entreprise, la cellule souche de cet écosystème – si l’on poursuit l’analogie – est le département formation. Il revient à celui-ci de développer un réseau d’intervenants harmonieux, lequel devra se mettre au service de toutes les personnes à former au sein de la société. Cet écosystème sera composé d’une multitude d’acteurs qui interviendront à des stades bien particuliers du développement professionnel de ces individus. De cette cellule souche naîtra en réalité le premier pôle de l’écosystème, composé des apprenants eux-mêmes et du département RH. Celui-ci est chargé d’identifier les besoins et les objectifs de développement des collaborateurs et, par conséquent, de déterminer quelles seront les autres cellules qui devront compléter l’écosystème. Cet exercice d’identification permettra de constituer les autres pôles qui graviteront autour du noyau de base: le pôle métier, au sein duquel interviennent des experts internes et/ou externes pour transmettre des connaissances sur des sujets spécifiques, le pôle des compétences «soft», généralement constitué de formateurs externes qui travailleront les compétences professionnelles et managériales des apprenants, et un pôle technologique qui procurera les outils permettant de faire fonctionner l’écosystème et d’accélérer le transfert des connaissances nouvellement acquises sur le terrain.
Plutôt que d’évoluer indépendamment les uns des autres, ces pôles travaillent ensemble sur un même programme de formation aux objectifs bien définis. L’idéal est que tous les acteurs, qu’ils soient experts internes ou partenaires externes, laissent leur casquette de côté et agissent comme une seule et même équipe. Pour ce faire, le pôle des formateurs en «soft skills» doit avoir un aperçu du programme du pôle métier et en enrichir ses propres modules, et vice versa. L’échange et la perméabilité entre ces deux pôles permettent d’offrir aux apprenants un programme impactant qui leur apporte non seulement la matière première nécessaire à la réalisation de leur travail, mais aussi une série de techniques de communication et d’astuces comportementales utiles à leur pratique quotidienne. Concrètement, pour tirer le meilleur parti des uns et des autres, les pôles doivent déterminer ensemble dans quel ordre les différents acteurs auront à intervenir – laissant tantôt un rôle prépondérant à l’un, tantôt à l’autre – et identifier en amont les outils technologiques qui permettront de mettre en valeur les points forts de chacun et de décupler l’impact du programme.
Comment constitue-t-on un tel écosystème?
Chez Arendt, nous l’avons créé en lançant des appels d’offres et en présentant la volonté de travailler en équipe comme un critère de sélection à part entière. Une fois les partenaires sélectionnés, ce n’est pas une relation client-fournisseur classique qui doit s’établir, mais bien une coopération d’équipe. Cela demande de prendre du temps pour préparer les différents acteurs et pour les laisser s’imprégner de la culture de l’entreprise et des problématiques auxquelles sont confrontés les participants à la formation qu’ils animeront. Une fois l’équipe en place, mieux vaut commencer petit, sur un sujet précis, puis étendre l’approche au fur et à mesure qu’elle démontre son efficacité.
Quelles sont les clés pour pérenniser cet écosystème?
La première est de veiller à le nourrir continuellement, c’est-à-dire de créer l’habitude d’échanger avec tous les partenaires, de discuter des problématiques rencontrées et de partager des bonnes pratiques. C’est cette émulation qui alimente l’écosystème et qui est fondamentale pour maintenir le lien de confiance. Cette logique vaut également pour le pôle technologique: il est important de s’interroger régulièrement sur la pertinence des outils utilisés car ceux-ci doivent non seulement simplifier l’expérience, mais aussi aider à stimuler les employés qui ont suivi la formation en rappelant en permanence le sujet à leur esprit.
La seconde clé pour s’assurer de la longévité de l’écosystème est de démontrer son efficacité aux dirigeants de l’entreprise, en matière de retour sur investissement notamment. Pour ce faire, le département formation peut s’aider des niveaux d’évaluation de Kirkpatrick. Le premier consiste simplement à apprécier la satisfaction des participants «à chaud», quand le deuxième repose sur une évaluation des apprentissages «à froid». Le troisième niveau permet de jauger la mise en œuvre des acquis de formation et la performance des employés concernés via les revues annuelles, les retours de leur manager ou de leurs clients. Quant au dernier niveau, il consiste à mesurer les résultats de la formation à l’aune de la performance financière de l’entreprise. Si l’approche convainc les dirigeants, elle deviendra très vite contagieuse!
Une telle approche peut-elle également s’appliquer aux acteurs du secteur public?
Selon moi, elle est envisageable quel que soit le secteur, bien que la fonction publique doive peut-être adapter la mise en place de l’écosystème aux spécificités de ses procédures d’appel d’offres. Ceci dit, elle semble toute indiquée puisque le secteur public fait déjà appel à de très nombreux prestataires, que ce soient des formateurs internes ou externes. Il aurait donc tout intérêt à tirer le meilleur parti de ce vaste réseau. Notons que ce secteur cristallise des métiers divers et variés et qu’il a sans doute beaucoup à gagner à sortir d’une approche en silos pour créer des écosystèmes par sujets, plus précisément sur des problématiques transversales ou communes aux différents métiers de la fonction publique. On pourrait d’ailleurs imaginer que plusieurs administrations communales ou étatiques qui rencontrent des problématiques similaires s’associent pour créer un programme de formation commun. Non seulement la mutualisation de leurs efforts et réflexions renforcerait le programme, mais elle serait aussi avantageuse financièrement.