Normaliser et encourager la transition

L’urgence climatique requiert des décisions fortes et la mise en place de stratégies pour contribuer à la transition énergétique et atteindre la neutralité carbone en 2050. La nouvelle directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impactera les premières entreprises concernées dès le 1er janvier 2024. Elle vise, entre autres, à normaliser la collecte, le contrôle et le partage d’informations extra-financières en couvrant l’intégralité des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Vanessa Müller, Partner, ESG Services Leader, et Pierre-Jean Forrer, Partner, Government and Public Sector Leader chez EY Luxembourg, nous font part de leurs réflexions et reviennent sur les différents enjeux liés à la transition énergétique et leurs impacts sur les secteurs public et privé.

 

Pouvez-vous revenir sur la stratégie des ministères de l’Économie, de l’Environnement et de l’Énergie pour soutenir les entreprises et les acteurs publics dans leur transition vers une économie décarbonée et circulaire?

PJF: Le gouvernement n’a jamais cessé de soutenir les initiatives liées aux objectifs de décarbonation et de mise en place d’une économie circulaire. À la sortie de la crise du Covid-19, il s’est avéré que le Luxembourg avait pris du retard dans la réalisation de ses objectifs. C’est en ce sens qu’en janvier 2022, le ministère de l’Économie a mis à jour sa feuille de route pour soutenir l’industrie dans ses ambitions de décarbonation. Celle-ci reprécise les activités à cibler d’ici 2050 et les possibilités d’échanges des quotas d’émissions du Luxembourg. Elle fixe également des objectifs tangibles aux niveaux énergétique et climatique pour 2030. La loi de financement, votée le 15 décembre dernier, confirme l’ambition politique de notre gouvernement d’engager diverses incitations de transformation telles que des aides ou une TVA réduite à 3% pour l’installation de panneaux photovoltaïques. Le gouvernement luxembourgeois confirme ses priorités budgétaires pour l’environnement et soutient les actions dédiées au climat (refonte du PNEC ou les aides Klimabonus), à la préservation de la biodiversité, à la gestion des ressources ou au plan zéro pollution; le tout en répondant aux besoins de tous les secteurs concernés par la transition.

VM: Les initiatives telles que le Pacte Climat, SME Packages ou Fit4Sustainability visent à soutenir financièrement le tissu local dans la perspective de réduction de 55% de l’empreinte carbone et d’atteindre la neutralité en 2050. Mentionnons également les aspects sociaux et de gouvernance qui ne sont pas à négliger et qui vont de pair avec l’environnement.

 

Cette stratégie a-t-elle été impactée par les récents événements et notamment la crise énergétique actuelle?

VM: Nous étions nombreux à penser que les enjeux de la transition énergétique seraient relayés au second plan en raison du conflit géopolitique qui a frappé l’Europe en début d’année dernière. Dans les faits, ce contexte révèle le lien qui unit les aspects E, S et G de notre société. La conjoncture actuelle a également permis d’éveiller les consciences et d’approfondir les démarches de transition en favorisant l’émergence d’innovations et de moyens disruptifs.

PJF: La crise énergétique que nous traversons renforce donc l’idée que cette stratégie de transition doit être prioritaire. Le gouvernement a de fait très vite réagi pour protéger les citoyens et les entreprises de ses effets destructeurs. La crise fait désormais partie des scénarios possibles du Statec afin d’analyser comment réagiraient les finances publiques en fonction des fluctuations du coût de l’énergie, de l’inflation associée et par conséquent de l’augmentation des budgets et des moyens financiers alloués pour y faire face. Luxembourg Stratégie, une initiative du ministère de l’Économie, offre d’ailleurs la possibilité à tout un chacun de commenter les trois scénarios d’avenir possibles de l’économie luxembourgeoise pour y apporter des idées ou des pistes de réflexion.

 

À l’approche de l’entrée en vigueur de la Corporate Sustainability Reporting Directive, quels sont les objectifs fixés pour le secteur public?

VM: La CSRD fait partie du plan d’action européen mis en place pour accélérer la transition énergétique, sociale et de gouvernance. Cette directive prendra effet lors de l’année financière 2024 pour les entreprises déjà soumises à une obligation de reporting extra-financier. Elle impose un rapport narratif et qualitatif, mais surtout quantitatif sur les initiatives prises en matière de critères ESG. Ce rapport sera ensuite soumis à un audit. Les entreprises du secteur public se trouveront donc impactées à court et moyen terme –  soit directement parce qu’elles devront produire ce rapport – soit par l’effet de la publication à large échelle (près de 50.000 entreprises concernées en Europe) de données clés en matière d’ESG. L’idée sera de structurer et formaliser les approches et les stratégies autour de ces enjeux. Le secteur public a par ailleurs un rôle clé à jouer, en mettant en place, au travers des autorités, institutions ou associations, des mesures qui permettent d’aider le tissu économique local à se préparer à ces nouveaux enjeux.

 

Quelles actualités peut-on mettre en avant dans les principaux débats suscités par les sujets ESG au sein du secteur public?

PJF: Depuis plusieurs années, le Grand-Duché s’engage avec détermination en faveur des énergies renouvelables. Le potentiel de l’énergie solaire au Luxembourg est considérable, tout comme celui de l’hydrogène. Les innovations futures devront pousser dans le sens de l’autoconsommation, des nouvelles solutions de stockage des ressources énergétiques ou du développement de la Smart grid. Ce réseau de distribution électrique offre une relation plus efficace, intelligente et rapide entre le producteur et le consommateur d’énergie. Au-delà des démarches et des aides récurrentes comme les TVA bonifiées ou les subventions, nos comportements devront changer à l’avenir par des petits gestes du quotidien. Cela commence par la prise de conscience de l’impact que nous avons au quotidien – pensons par exemple à nos forfaits mobiles ou encore l’envoi des e-mails qui produisent énormément de CO2!

VM: Les sujets ESG impliquent forcément des enjeux politiques allant de pair avec la taxinomie européenne: en témoignent les récents débats sur le  gaz et le nucléaire. Ces discussions ne facilitent pas l’adoption des réglementations et la détermination d’une ligne directrice précise pour les acteurs concernés. Les définitions doivent être claires pour mettre en place des processus solides.