La transition verte menace-t-elle la compétitivité des industries européennes?

«Coopérer dans un monde fragmenté», c’est sur ce thème que se sont organisés les échanges du Forum économique mondial en ce début d’année. Un angle d’approche fort à propos compte tenu de la guerre commerciale qui oppose la Chine et les États-Unis, de la montée du protectionnisme économique ou de la multiplication des pratiques déloyales.

Le discours de la présidente de la Commission européenne à Davos n’a fait que mettre en lumière les tensions qui règnent sur le marché économique mondial et les craintes qu’elles font naître chez les Européens. En matière d’action climatique, l’UE, avec ses ambitions élevées, avait plutôt l’habitude de donner le ton. Mais force est de constater qu’elle est désormais obligée d’agir en réaction aux politiques d’autres puissances bien déterminées à s’assurer des avantages concurrentiels dans la course à la transition.

L’adoption, cet été, de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis a suscité «un certain nombre de préoccupations» sur le Vieux Continent, pour reprendre l’expression de la Présidente von der Leyen. Cette loi, qui prévoit notamment 369 milliards de dollars de dépenses publiques et de crédit d’impôt pour réduire de 42% les émissions de CO2 des US d’ici 2030, est l’action la plus importante jamais entreprise outre-Atlantique en matière de lutte contre le changement climatique. Bonne nouvelle pour la planète. Et pour l’Europe?

Oui et non. Certes, les fonds dirigés vers la recherche et l’innovation devraient à la fois contribuer à accélérer le développement des technologies vertes, à réduire le coût de la décarbonation et à diminuer la dépendance à la Chine. Mais la politique industrielle verte introduite par l’IRA remet aussi en question une stratégie européenne fondée principalement sur le marché du carbone. Ainsi, à peine quelques semaines après avoir obtenu un accord politique sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) – qui entend enchérir certaines importations pour contrer le dumping écologique et encourager une production industrielle plus propre dans les pays tiers – la Commission présente-t-elle le plan industriel du Pacte vert. Changement de cap? Aveu de faiblesse? C’est que la divergence de méthode fait craindre pour la compétitivité de l’industrie européenne. «La concurrence et le commerce sont les pierres angulaires d’une accélération des technologies propres et de la neutralité climatique. Et cela signifie que nous, Européens, devons aussi faire mieux pour encourager notre propre industrie des technologies propres», a déclaré Ursula von der Leyen. Souvent qualifié de protectionniste, l’IRA favorise clairement le «made in USA» et pénalise notamment les voitures électriques et batteries fabriquées en Europe de même que les industries européennes basées aux US mais dont les chaînes d’approvisionnement dépassent leurs frontières. Un état de fait qui pourrait non seulement provoquer la délocalisation de certaines industries européennes vers les États-Unis, mais aussi enclencher une course mondiale aux subventions redoutée par bon nombre de dirigeants européens. C’est pourquoi l’Union multiplie les efforts en vue d’atténuer l’impact de l’IRA. «Notre objectif devrait être d’éviter toute perturbation dans les échanges et les investissements transatlantiques. Nous devrions œuvrer en vue de faire le nécessaire pour que nos programmes d’incitation respectifs soient équitables et se renforcent mutuellement» estime la Présidente de la Commission européenne.

Et l’attachement à l’unité transatlantique se fait plus fort à mesure que se dessine la menace d’un exode vers la Chine car Pékin multiplie aussi les tentatives agressives pour attirer à elle les industries européennes en promettant, évidemment, de faibles coûts de main d’œuvre, mais surtout une énergie bon marché et un environnement réglementaire moins contraignant.

À l’ouest comme à l’est, le risque de dumping environnemental met l’Union européenne au défi. Alors que le MACF devait devenir «une incitation à reproduire ses ambitions», ne serait-il pas désormais au tour de l’Union de se mettre au diapason? Si l’on peut se réjouir que l’Europe ne soit plus «seule» à lutter face au changement climatique, il faut souhaiter qu’en étant mise au défi par les économies américaine et chinoise elle parvienne à donner un nouveau souffle à son industrie. Pour que «l’histoire de l’économie des technologies propres soit écrite en Europe» comme en rêve la Commission, il faudra que le plan industriel qui s’inscrit dans son Pacte vert permette à chaque État membre d’y contribuer, au risque de voir le marché unique se fragmenter lui aussi.

 

Par Adeline Jacob

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