Taxonomie verte et immobilier: vers l’émergence d’un cercle vertueux?
Depuis les années 1980, les acteurs de l’immobilier sont confrontés à une série de certifications, de normes ou de réglementations visant à contrôler, sur base volontaire ou non, l’impact environnemental de leurs activités. Aujourd’hui, la taxonomie européenne introduit une couche réglementaire supplémentaire les poussant plus loin dans la démarche. Yapo Marius Bessekon et Robert Limpach, respectivement Managing Director et Senior Consultant chez PwC Luxembourg, expliquent comment l’appréhender et livrent leurs conseils sur le meilleur moyen de s’y aligner.
Comment les acteurs du secteur immobilier doivent-ils appréhender la taxonomie européenne et quelles sont les activités concernées?
YMB: La taxonomie a été introduite dans le cadre du Pacte Vert pour l’Europe afin de réorienter les investissements vers des activités économiques pouvant être unanimement considérées comme durables. Actuellement, seules les sociétés concernées par la directive sur la publication des données extrafinancières sont contraintes de fournir des données sur la performance environnementale de leurs actifs et de leurs activités. Dès que la CSRD (directive sur le rapport de durabilité des entreprises) entrera en vigueur, l’obligation sera progressivement étendue. Le nombre d’entreprises qui devra composer avec la taxonomie sera donc accru.
RL: La taxonomie a identifié 70 activités économiques éligibles (identifiables par leur code NACE) car susceptibles de contribuer aux six objectifs environnementaux arrêtés par l’Union européenne: l’atténuation du changement climatique, l’adaptation à ce dernier, l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, le contrôle de la pollution, et la protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Les activités du secteur immobilier sont considérées comme éligibles en raison de leur impact environnemental et de leur potentiel d’amélioration important. En effet, les immeubles représentent 40% de la consommation totale d’énergie et 36% des émissions carbonées dans l’UE. Parmi les activités éligibles, citons la construction de bâtiments neufs, la rénovation d’immeubles existants, l’installation et la maintenance de certains équipements techniques ou encore l’acquisition et la gestion de biens immobiliers.
Comment ces activités sont-elles évaluées et quelles sont les obligations de reporting liées à la taxonomie?
YMB: Pour être considérée comme alignée, une activité doit répondre à trois conditions. La première: contribuer substantiellement à l’un des six objectifs environnementaux précités. Ainsi, chacune des activités susmentionnées est soumise à différents critères d’examen selon l’objectif auquel elle entend contribuer. Par exemple, pour servir l’objectif d’atténuation du changement climatique, une construction neuve doit présenter une consommation énergétique inférieure de 10% à la valeur de référence pour les bâtiments à énergie presque nulle. Si elle présente une superficie de plus de 5.000 m2, elle doit également être soumise à des tests d’étanchéité à l’air et au calcul de son potentiel de réchauffement climatique (GWP). Deuxième et troisième conditions: l’activité ne doit nuire à aucun des cinq autres objectifs environnementaux et respecter certains critères sociaux minimaux comme le droit du travail.
Cette évaluation doit faire l’objet d’un rapport accessible sur le site internet de la société pendant les huit mois qui suivent la clôture de l’exercice. Un investisseur ou un acquéreur potentiel y trouvera trois indicateurs primordiaux: les parts du chiffre d’affaires, du CAPEX (dépenses d’investissement) et de l’OPEX (dépenses d’exploitation) de l’entreprise qui sont effectivement dirigées vers des activités durables.
Les acteurs de l’immobilier tiennent déjà compte de certains critères inscrits dans la taxonomie, notamment en s’inscrivant dans des processus de certification. En quoi sont-ils complémentaires?
YMB: Selon nos statistiques, environ 20% de l’actif luxembourgeois est certifié. Cela signifie que certains acteurs n’ont pas attendu la taxonomie pour se conformer à certaines exigences environnementales et ont décidé d’agir sur une base volontaire. Aujourd’hui, quasiment aucun nouveau bâtiment commercial ne sort de terre sans avoir de certification; et ce pour de bonnes raisons: les acheteurs sont généralement des fonds d’investissement déjà soumis au reporting extra-financier et qui ont anticipé l’entrée en vigueur de la taxonomie. Les méthodes de certification ont donc agi comme des propulseurs qui ont permis aux acteurs de la place de se préparer à l’arrivée de ce système de classification européen. Par ailleurs, ce qui distingue les certifications de la taxonomie verte, c’est leur aspect global. Elles considèrent en effet des critères liés au transport ou à la gestion du projet, par exemple, qui sont mis de côté par la taxonomie mais qui n’en demeurent pas moins des bonnes pratiques! C’est pourquoi les deux sont complémentaires. Nous pouvons d’ailleurs considérer qu’un bâtiment certifié est déjà aligné à plus de 60% (voire jusqu’à 80%) avec la taxonomie européenne.
RL: Notons que la plupart des méthodes de certification ont été mises en place par des organismes européens (HQE pour la France, BREEAM pour le Royaume-Uni et DGNB pour l’Allemagne) pour comparer les bâtiments entre eux et distinguer les plus respectueux de l’environnement. La taxonomie a cet avantage d’introduire un référentiel commun qui amènera les acteurs de l’immobilier à adopter davantage de bonnes pratiques.
Quels conseils donneriez-vous aux acteurs qui cherchent à s’aligner à la taxonomie européenne?
YMB: Je conseillerais à ceux qui possèdent de nombreux actifs de commencer par réaliser un screening de l’ensemble de leur portefeuille immobilier pour identifier les biens qui respectent ou non les exigences de la taxonomie et, dans un second temps, s’aligner à celle-ci. Pour les raisons précitées, la certification est selon moi le meilleur moyen d’y parvenir. Chez PwC, nous leur offrirons des conseils personnalisés et mettrons à leur service une expérience déjà longue puisque nous avons contribué au premier processus de certification mené au Luxembourg, celui du bâtiment de la Banque européenne d’investissement en 2005. Depuis, nous accompagnons des clients qui possèdent des biens au Grand-Duché ainsi que dans la Grande Région grâce à notre connaissance des réglementations belge, française et allemande.
Si nous encourageons les acteurs de l’immobilier dans cette voie, c’est aussi parce que l’acquisition d’un bien en elle-même est une activité pouvant être alignée à la taxonomie. Les acheteurs s’enquerront donc des performances de leurs nouvelles acquisitions. Si un bâtiment ne répond pas aux exigences, le risque est de voir sa valeur dépréciée. En outre, les banques qui financent les projets immobiliers sont elles-mêmes soumises au règlement taxonomie et exigeront de ce fait un alignement des fonds ou, au minimum, une certification des actifs qu’ils financent. De quoi voir émerger un cercle vertueux auquel personne ne pourra échapper!