Le goût de l’aventure

«Rester fidèle à soi-même», c’est avec cette devise, un sourire apaisé et le regard brillant, que Nancy Braun a clos l’interview. L’intimisme des portraits a parfois le don de décontenancer et de surprendre, mais la directrice générale d’Esch 2022 s’est prêtée au jeu. Derrière sa chevelure argentée, désormais bien connue et indissociable de la Capitale culturelle européenne, se cache une femme déterminée et charismatique à la soif d’aventures inégalée. Récit d’un parcours où Nancy Braun a puisé dans ses racines et les épreuves de la vie pour suivre un chemin qui ne lui était pas forcément prédestiné.  

 

L’insouciance de l’enfance bercée par la nature  

Nancy Braun grandit à Weyer, un petit village de quatre maisons et d’à peine plus d’âmes, au centre du Luxembourg. La petite fille qu’elle était puise dans son imagination pour se divertir et échapper à la monotonie de cet environnement. «Au beau milieu des vaches, des chevaux et des animaux de la ferme, j’ai appris à apprécier ce lieu, et surtout la nature de laquelle je suis devenue très proche. L’attrait pour les paysages et la forêt m’a touché dès l’enfance et c’est toujours à leur contact que je parviens encore aujourd’hui à me ressourcer».  

Cette affinité est tout sauf le fruit du hasard. Mieux, elle fait viscéralement partie de son ADN car ses parents détenaient un commerce de bois. L’entreprise familiale accapare alors les discussions et influence la vie quotidienne et toutes les prises de décisions, comme celle de s’envoler seule pour le Canada à douze ans seulement. Un voyage de pré-adolescente qui la marquera émotionnellement à vie. «Je devais rendre visite à des amis de mes parents, sauf que ces derniers ne pouvaient pas délaisser leur entreprise durant un mois. Je suis donc partie, à l’aventure, en n’ayant jamais pris l’avion de toute ma vie. C’était marquant et impressionnant. J’ai pu y développer mon intérêt pour les voyages, mais aussi cette débrouillardise qui me permet de m’en sortir par moi-même», dévoile Nancy Braun.  

 

Une épreuve de la vie pour une force de résilience 

Comme c’est le cas pour bien des enfants, son rêve était de suivre les traces de ses parents et de reprendre le commerce familial à l’âge adulte. Un brin têtue, elle s’accroche à cette idée et poursuit sa scolarité à Diekirch dans un internat; la faute aux transports en commun qui ne desservaient pas Weyer. «J’ai grandi dans ce village avec mon frère et peu d’autres enfants. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée avec beaucoup de monde autour de moi. Cela a inévitablement participé à mon éducation. Même si au début c’était affreux, j’y ai ensuite trouvé un apport pour mon développement personnel», se rappelle-t-elle.  

Pour atteindre son but, Nancy Braun suit un Master en Business Administration qui doit la préparer à la gestion de l’entreprise familiale et s’envole vers Paris, Barcelone et Munich pour étudier. «Dès mon plus jeune âge, ma vie professionnelle était toute tracée, mais le destin l’a subitement ébranlée. Malheureusement, mon père a subi un accident mortel sur son lieu de travail. J’étais bouleversée par cet événement tragique et, avec un immense pincement au cœur, j’ai dû prendre la décision de liquider son entreprise pour me réinventer et me réorienter».  

Pimenter une vie rythmée par l’envie et l’excitation du changement

Alors qu’à l’université ses amis et ses proches lui répètent sans cesse qu’elle fera carrière dans le secteur bancaire, elle, n’en démord pas et jure qu’elle n’y mettra jamais les pieds. Finalement, elle décroche son premier job dans une banque américaine, puis un deuxième dans une luxembourgeoise. Pourtant, à chasser le naturel, celui-ci revient très vite au galop. Son désir profond d’aventure et d’indépendance se rallume en elle et Nancy Braun décide de tout plaquer. «J’ai senti que cette vie n’était pas pour moi. Malgré les bons moments passés à ces deux postes, j’avais besoin d’un nouveau défi qui correspondait plus à mes aspirations». 

 

Un premier pas dans la culture en 2007… 

En 2007, Luxembourg-Ville et la Grande Région sont choisies en tant que capitale européenne de la culture. «J’ai donc postulé en tant que coordinateur général adjoint pour l’association «Luxembourg et Grande Région, Capitale européenne de la culture».  Dubitative, une partie de mon entourage ne comprenait absolument pas cette décision de quitter un CDI et une situation stable pour rejoindre une asbl qui serait liquidée une fois l’événement terminé. J’ai tout de même été attirée par cette mission en raison des responsabilités qui y étaient inhérentes et parce que j’avais l’envie intime d’être en charge d’un projet, de contribuer à son développement et de réaliser des choses concrètes ayant un impact tangible. Robert Garcia, alors coordinateur général, m’a notamment fait bénéficier de sa forte expérience pour m’aider à me développer personnellement et gagner en compétences», se remémore Nancy Braun. 

Épuisant mais exaltant, ce travail de longue haleine revigore sa soif d’aventures, mais ne l’étanche pas. Elle qui rêve de voyages a pour idée de faire le tour du monde pour se ressourcer. La crise économique mondiale qui survient en 2008 contrecarre malheureusement ses plans. Résiliente comme toujours, Nancy Braun se doit de rebondir et de trouver un nouveau défi pour pimenter une vie rythmée par l’envie et l’excitation du changement.  

Elle rejoint ainsi le Barreau du Luxembourg pour en développer la structure exécutive durant six ans et se rapproche ensuite du monde politique en tant que coordinateur général du Parti Démocratique de décembre 2014 à octobre 2015. «Je n’ai pas d’étiquette, mais cette expérience m’a permis de comprendre les rouages et le fonctionnement de la politique, de communiquer et de transmettre des messages à la population, de développer un réseau. Ce passage a été important dans l’évolution de ma carrière professionnelle». Puis, celle qui a œuvré dans de nombreuses associations telles que la FNEL ou le Rotary Club Luxembourg Schuman remplace Jo Kox au poste d’administrateur du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain jusqu’en 2018.  

 

… pour devenir la figure d’Esch 2022 

À cette date, Nancy Braun avoue qu’elle n’était pas au courant d’un appel à candidatures concernant Esch 2022. «Je me suis tout de même intéressée au projet et celui-ci m’attirait forcément. J’avais envie de prendre en main ce défi et de me lancer dans cette aventure tout en ayant conscience des difficultés relatives à un projet éphémère. En outre, cette capitale culturelle touche à des domaines qui me tiennent à cœur, à savoir la culture, le tourisme, le développement durable et la nature», explique-t-elle.  

Se régénérer et se réinventer, de la même manière que les feuilles tombent et repoussent saison après saison

Déterminée, la directrice générale mise ainsi sur son expérience et son vécu de 2007 pour mieux appréhender l’adversité et les difficultés. «J’explique et j’argumente chaque prise de décision en considérant le pour et le contre». Son éducation, son parcours de vie, son attrait pour la nature et son «bon sens», si cher à celles et ceux qui ont été élevés au contact de la terre et de la nature, font d’elle la figure de la nouvelle capitale européenne de la culture. Sa chevelure argentée est aujourd’hui indissociable d’Esch 2022.   

Façonné par Nancy Braun, ce projet de longue haleine se calque logiquement sur certains traits d’une personnalité mêlant altruisme, sincérité, sens de l’initiative et du travail bien fait. «S’il fallait ressortir un aspect qui me tient personnellement à cœur, c’est le côté participatif. Je souhaitais vraiment apporter cette nuance à Esch 2022 car ce sont avant tout les citoyens qui sont invités à se l’approprier. C’est seulement grâce à la participation active que l’on parvient à bouger les lignes et à évoluer. C’est cet esprit d’équipe et collectif que j’essaye de faire transparaître à travers Esch 2022. Pour quelqu’un comme moi, qui a vécu dans un petit village, cela peut sembler paradoxal car, enfant, j’ai grandi sans véritable communauté. J’essaye sans doute de combler ce manque en adoptant cet état d’esprit», confie-t-elle. 

 

Les racines d’une personnalité 

Aujourd’hui femme accomplie et épanouie, l’ancienne présidente du Carré Rotondes suit sa devise «rester fidèle à soi-même» qui l’anime et la guide tous les jours «peu importe le domaine, le chemin, les difficultés ou l’adversité que l’on peut rencontrer au cours de sa vie». Fidèle, aussi, à ses racines et à un pays qu’elle ne cesse de découvrir. «J’habite aujourd’hui en ville, mais la nature et les promenades font partie de ma vie et me sont indispensables pour mon équilibre personnel. Grâce à Esch 2022, j’ai pu découvrir de nombreux lieux et notamment cette nature emblématique du sud du Luxembourg. Je ne connaissais pas beaucoup la région, mais celle-ci me touche. Je n’oublie pas non plus les magnifiques randonnées dans le nord du pays ou les balades au bord d’un étang situé à quelques encablures du domicile de ma maman».  

Finalement, et comme un clin d’œil à ses origines familiales, Nancy Braun a bâti sa vie sur des racines solides et fortes qui ont fait émerger le calme, la résistance et l’harmonie. Les épreuves de la vie l’ont forgée, lui permettant de se régénérer et se réinventer, de la même manière que les feuilles tombent et repoussent saison après saison. Les multiples chemins qu’elle a empruntés sont autant de branches qui forment un équilibre rationnel dans sa vie personnelle et professionnelle. Et dans son regard se cachera toujours cette petite fille insouciante, pleine d’énergie, qui ne rêve que de s’évader et, surtout, de partir à l’aventure. 

 

Par Pierre Brick

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