Économie circulaire et bâtiment: une transition incontournable

Lentement, une révolution s’opère. À mesure que les ressources naturelles s’amenuisent et que l’environnement se dégrade, nuisant au passage à la santé publique et au bien-être des êtres humains, le secteur de la construction s’engage sur la voie de la transition. Jérémy Van Leeuwen et Elise Rein, respectivement ingénieur énergétique et Team Manager du «Pôle Sud», le service de Betic Ingénieurs-Conseils dédié à la conception durable, évoquent les domaines d’expertise dans lesquels ils se sont spécialisés pour accompagner ce changement de paradigme.

 

Quels sont les aspects à considérer pour créer des bâtiments ayant un impact positif sur l’environnement mais aussi sur le bien-être, le confort et la santé de leurs occupants?

ER: Dans la construction, contrairement aux aspects liés à l’efficacité énergétique des bâtiments, les facteurs environnementaux ont longtemps échappé à toute considération, tout comme ceux liés à la santé ou encore au bien-être des occupants. Mais aujourd’hui, ces derniers prennent clairement une place prépondérante dans les projets. Jusqu’à présent, on ne se souciait guère que des économies d’énergie, c’est-à-dire de la consommation énergétique des bâtiments. Désormais, de nouvelles questions se posent, notamment en raison de la crise environnementale mais aussi de la crise sanitaire actuelle, et nous cherchons donc à agir sur d’autres paramètres comme la consommation d’eau, la qualité de l’air intérieur ou le confort acoustique des occupants. La crise sanitaire a souligné l’importance de ces deux derniers éléments. Confinés dans nos intérieurs, nous sommes forcément plus sensibles à une bonne acoustique ainsi qu’à une bonne qualité de l’air, pas seulement en termes de concentration du virus, mais aussi de polluants. Nous sommes sans conteste dans une période de transition, où nos manières de penser changent. Jusqu’alors, nous produisions des biens, les utilisions, puis nous nous en débarrassions. Aujourd’hui, nous sommes conscients que les ressources dont nous disposons sur Terre ne sont pas illimitées. C’est pourquoi nous basculons d’une logique linéaire à une approche circulaire et durable.

JVL: Cela fait effectivement quatre ans qu’ont été initiés des programmes qui permettent de prendre en compte, aux côtés des aspects énergétiques, des éléments plutôt environnementaux, notamment en ce qui concerne les matériaux de construction. Plus leur incidence environnementale sera faible et leur production peu énergivore, plus ceux-ci permettront de diminuer l’empreinte écologique du secteur. La façon de les mettre en œuvre rentre également en jeu. En réfléchissant dès la construction au démontage et à la séparabilité des différents matériaux en fin de vie du bâtiment, une réintroduction dans leur cycle de production est donc possible. On privilégiera par exemple les fixations mécaniques et l’utilisation de matériaux écologiques et renouvelables. Ces derniers sont également plus sains, et préservent la santé des occupants et des travailleurs du secteur de la construction.

 

Il existe diverses possibilités de subvention et de certification qui encouragent les maitres d’ouvrage et maitres d’œuvre à construire plus sainement, aussi bien pour l’environnement que pour les occupants. Quelles sont-elles?

JVL: Les subventions et certifications concernent aussi bien les rénovations énergétiques – qui représentent le plus grand potentiel d’économie – que les constructions neuves. Pour les logements, l’État a déployé un programme d’aides, dit PRIMe House, qui permet d’encourager la rénovation énergétique durable des habitations existantes et de soutenir les nouvelles constructions durables. De plus, la certification Lenoz a été introduite pour amorcer la transition vers des bâtiments durables. Elle sert en outre de base afin de fixer certains critères essentiels à l’obtention des aides étatiques dans les bâtiments neufs. D’autres types d’aides sont directement adressées aux communes via le Fonds Climat et Énergie. Elles leur permettent de soutenir les projets en matière d’efficacité énergétique et de promotion des énergies nouvelles et renouvelables. Du côté des entreprises, l’obtention d’une prime ou d’une certification relève plutôt de démarches volontaires dans le cadre d’audits pour améliorer leur processus ou l’utilisation de leurs outils.

ER: En ce qui concerne le confort, le bien-être et la santé des occupants d’un bâtiment, la certification WELL peut être considérée comme la référence, bien qu’elle ne commence seulement qu’à s’implanter en Europe. Avec l’appui du groupe VK Architects & Engineers, dont nous faisons partie et qui comprend bon nombre de spécialistes en la matière, nous entendons bien acquérir l’expertise nécessaire pour offrir aux maitres d’ouvrage luxembourgeois une approche globale de la santé et du bien-être dans les bâtiments, notamment via cette certification. J’ai le sentiment qu’elle devrait véritablement être développée au Luxembourg (où les critères de qualité exigés dans la construction sont très élevés) car c’est un excellent moyen de promouvoir un bâtiment respectueux du bien-être et de la santé de ses occupants.

 

Malgré ces encouragements, quels sont les principaux freins à la réalisation de tels projets?

JVL: Dans certains cas, cela peut être des coûts qui se révèleraient plus importants. Dans cette période de transition que nous vivons, le marché de la construction durable n’est pas encore assez développé. Il faut revoir nos façons de penser nos bâtiments en tentant d’éviter certains coûts superflus pour consacrer une partie du budget à des postes liés au bien-être, à la santé ou encore à la fonctionnalité. Il peut également y avoir des freins techniques, soit parce que les nouveaux procédés n’ont pas encore totalement fait leurs preuves, soit parce que certaines expertises doivent encore être développées.

ER: Il arrive en effet que les maitres d’œuvre manquent d’expertise pour valider certains concepts novateurs. La construction en bois est une excellente alternative pour construire durablement mais l’un des principaux freins à ce type de projet au Luxembourg est la sécurité incendie. En effet, les limitations qui sont imposées sont en réalité calibrées pour les constructions en béton. Or, aujourd’hui, nous manquons d’experts locaux capables de certifier la résistance au feu d’un bâtiment en bois. À nouveau, notre intégration au groupe VK, qui possède un service d’experts incendie, devrait nous permettre de combler cette lacune en offrant, à terme, ce savoir-faire sur le marché luxembourgeois. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres car plusieurs domaines d’expertise sont relativement sous-représentés au Grand-Duché en raison de la taille du marché.

 

Votre équipe «Pôle Sud» est justement dédiée à la conception durable. Quelles sont les missions et les expertises spécifiques de ce service?

ER: Nous avons créé le «Pôle Sud» il y a quelques années seulement, justement pour développer tous les métiers qui accompagnent cette transition de pensée. Notre cœur de métier était l’ingénierie technique et, par conséquent, toutes les compétences liées à l’environnement, aux économies d’énergie ou à la qualité des matériaux de construction, étaient disséminées auprès de différents membres du bureau. Nous avons décidé de les centraliser au sein d’une équipe spécifique afin de nous perfectionner dans ces domaines. Initialement, le «Pôle Sud» était spécialisé dans la certification de la performance énergétique des bâtiments puis a étendu ses activités en accompagnant les maitres d’ouvrage dans leurs démarches de demande de subsides, dans le développement de concepts énergétiques innovants qui maximisent le recours aux énergies renouvelables ou encore dans la réalisation de simulations thermiques dynamiques permettant de vérifier et d’optimiser le confort. En parallèle, nous nous sommes intéressés à la physique du bâtiment et au traitement des nœuds constructifs, ainsi qu’à l’accompagnement pour construire de manière plus durable. Enfin, le «Pôle Sud» accompagne les maitres d’ouvrage dans l’élaboration des dossiers commodo-incommodo, qui traitent de tous les aspects qui ont un impact sur la sécurité des occupants et/ou sur l’environnement.

JVL: L’équipe a également la charge des audits énergétiques, principalement pour les bâtiments fonctionnels ou industriels. Nous travaillons par exemple à l’amélioration des systèmes de filtration des piscines de Mamer, du Limpersberg et d’Esch-sur-Alzette. L’objectif est de proposer des solutions qui permettent de réduire la consommation d’eau dans le processus de contre-lavage des filtres. L’idée, lorsque nous accompagnons un client qui possède un large parc immobilier, comme une commune, est de l’aider à déterminer où intervenir en priorité pour obtenir rapidement les résultats les plus significatifs.

 

Quand et comment l’équipe «Pôle Sud» intervient-elle?

ER: Dans le cas d’un bâtiment neuf qui se voudrait innovant, notre équipe prendra part au projet dès le début de la phase d’étude. Cette intervention précoce est essentielle au développement d’un concept novateur car bon nombre de choix doivent être arrêtés très tôt et acceptés par l’ensemble des acteurs du projet. Il est très important que ceux-ci soient conscientisés aux objectifs écologiques qui sont fixés et comprennent le bien-fondé de chaque décision. Ensuite, durant l’exécution du projet et jusqu’à la fin de celui-ci, nous vérifions que tout ait été réalisé comme convenu. Lorsqu’elle intervient sur des bâtiments existants, notre équipe cherche à exploiter au mieux ce qui a déjà été construit pour ne pas avoir à bâtir du neuf. Ce serait la solution de facilité qui nous ramènerait à la logique de l’économie linéaire que nous tentons d’abandonner!

Lire sur le même sujet: