Pour une finance durable

Valérie Arnold est Corporate Responsibility and Sustainability leader chez PwC Luxembourg. Son métier historique est l’audit, et notamment sur les fonds d’investissement, mais elle est également à la manœuvre de l’agenda interne sur la responsabilité sociétale et développe l’offre de services PwC. Elle revient pour nous sur la mise en œuvre d’une dynamique et d’une prise de conscience où les impacts sociétaux et la création de valeur partagée sont inscrits dans le reporting non financier. Interview.

 

Les entreprises sont-elles plus impliquées que par le passé dans leur responsabilité sociétale et environnementale?

Nous sentons très clairement une demande accrue de services en la matière; ce qui est un bon signe à plusieurs niveaux. Cela permet bien entendu aux cabinets de conseil comme le nôtre, de diversifier leurs offres de services. Mais plus important encore, cela signifie que l’entreprise retrouve une place au sein de la société en y créant des valeurs qui ne sont plus uniquement financières. C’est peut-être également l’espoir qu’une vertu se répande dans tout l’écosystème dans la mesure où des ponts transversaux commencent déjà à se tendre.

 

En quoi le développement durable en général et la création de valeurs non financières en particulier peuvent-être d’un enjeu commercial?

Disons que créer de la valeur financière qui est redistribuée aux actionnaires est un premier niveau que nous avons toujours su faire. Il est néanmoins possible d’aller plus loin en veillant à ne pas détruire l’écosystème qui nous permet d’en créer. Aucune entreprise ne peut prospérer isolément de ses ratifications sociales et environnementales. Les collaborateurs sont allés sur les bancs de l’école publique, de l’université et bénéficient d’un système de santé et de protections sociales; l’entreprise, elle, bénéficie d’une production d’énergie, d’un système juridique, d’un réseau autoroutier, d’infrastructures, de ressources naturelles, etc. En somme, la dépendance de l’entreprise à l’écosystème est une dette qu’il s’agit d’honorer en veillant à ne pas le détruire mais en y créant aussi des valeurs autres que financières.

Si l’écosystème se porte bien, nos activités se porteront bien à leur tour et à l’inverse s’il s’effrite, elles seront instables. C’est là un risque systémique pour tous les secteurs. Les besoins et les attentes sont tellement importants que les entreprises non vertueuses se verront très durement pénalisées à l’avenir. D’une part parce que les réglementations se durcissent et que les législations deviennent plus contraignantes mais aussi parce que les investisseurs veulent une finance durable. On le constate très clairement chez les jeunes générations d’investisseurs qui souhaitent contribuer à la transition écologique par exemple. Avec la vitesse à laquelle les réseaux sociaux peuvent défaire la réputation d’une entreprise, les court-termistes sinoques de l’augmentation du chiffre d’affaires appartiennent résolument au siècle dernier.

 

Passer d’un modèle à un autre est-il faisable?

Les trois vecteurs d’amélioration que sont la globalisation, la technologie et la création de valeur purement financière se sont relativement bien articulés durant les Trente Glorieuses. Mais force est de reconnaître que la machine capitaliste s’est grippée depuis puisque les inégalités ne cessent de se creuser et que le réchauffement climatique est corolaire du développement économique.

On ne se défait pas facilement d’une culture aussi profondément ancrée dans nos modes de fonctionnement. S’amender de l’obsédant chiffre d’affaires en assimilant d’autres valeurs est fondamental et la raison d’être de l’entreprise doit ainsi précéder la course aux profits. Si une entreprise se doit d’avoir des ambitions financières, elle doit également éviter les externalités négatives et en créer de positives.

 

Quels sont les enjeux et les bonnes pratiques?

Les enjeux sont connus, ce sont les 17 objectifs de développement durable des Nations unies à l’agenda 2030 et ceux de la COP 21 qui entendent contenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degrés. Il faut pour cela réduire drastiquement nos émissions de CO2, ce qui est antagonique de la croissance économique.

Mettre des vélos électriques à disposition des employés et des panneaux solaires sur les toits, c’est très bien mais œuvrer directement au cœur de ses activités commerciales, c’est encore mieux. Il faut pour ce faire, favoriser l’économie circulaire en produisant plus sobrement via des sources d’énergies renouvelables et compenser son empreinte carbone incompressible par exemple.

Pour une firme comme PwC, les bonnes pratiques se concrétisent sur notre agenda interne en réduisant les émissions de CO2 et en compensant les kilomètres parcourus par exemple mais aussi et surtout en insufflant les bonnes pratiques auprès de nos clients afin qu’eux aussi puissent impacter positivement la société.

 

Dans quelle mesure la paupérisation est-elle un facteur aggravant?

Comment pourrait-on composer avec le réchauffement climatique d’une part et la croissance exponentielle de la précarité de l’autre? Ces deux facteurs réunis engendrent de facto une instabilité de l’écosystème et la disparité d’âge des populations à travers les continents est un enjeu capital. L’Afrique par exemple fait face à une explosion démographique qui d’ici 2040 dépassera le milliard d’habitants dont la moitié aura moins de 25 ans. Faute d’un accroissement de leur production et de leur pouvoir d’achat, les problèmes d’alimentation et d’accès à l’eau, les phénomènes migratoires, les tensions sociales, les populismes et les nationalismes iront crescendo. Autant de dangers pour tous les secteurs d’activités.

 

Comment une entreprise peut-elle avoir un regard clair sur la gestion de ses répercussions?

Depuis 2017, la directive de la Commission européenne 2014/95/UE oblige les grandes entreprises à publier des informations sur leurs politiques, les risques encourus et les résultats obtenus sur les questions environnementales mais aussi les questions sociales liées au personnel, le respect des droits de l’homme et la lutte contre la corruption. L’analyse de risques, les politiques mises en place ainsi que les résultats obtenus sur chacune de ces thématiques résultent de la stratégie RSE inscrite dans le reporting non financier. Après avoir pris conscience de sa responsabilité d’entreprise, il s’agit d’expliquer aux parties prenantes ses principaux domaines de création de valeur.

Un principe du caractère significatif doit être respecté afin de prévenir une accumulation de données sans axes thématiques. L’entreprise doit ainsi identifier au préalable les thèmes les plus importants pour tous les groupes de dialogue tels que les autorités, les habitants, les fournisseurs ou les collaborateurs. Elle définira ensuite ses activités qui induisent des conséquences économiques, écologiques et sociales. Il en résultera alors une chaîne de valeur, une éthique propre et une gestion des conséquences des actions de l’entreprise.

Ce rapport n’est pas une fin en soi mais s’inscrit dans un processus stratégique qui mériterait une certification. Le gage d’indépendance ne peut se faire que par l’externalisation de la rédaction et c’est pourquoi PwC Luxembourg a fait appel à des experts externes pour le sien. L’impartialité est une police d’assurance.

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