Les marques européennes au regard du Brexit
Si la Commission européenne et le parlement britannique ne trouvent pas d’accord d’ici le 29 mars à minuit, la Grande-Bretagne quittera l’Union européenne sans période de transition. Que deviendront les marques de l’UE après le Brexit? Marks & Clerk, bureau anglais spécialisé dans la propriété intellectuelle (PI), nous semble tout indiqué pour apporter quelques lumières par le biais de Jovana Radevic et Martin Gutwillinger, Conseils en propriété industrielle et mandataires en marques de l’UE au cabinet Marks & Clerk Luxembourg.
Considérez-vous le Brexit comme une source d’anxiété ou plutôt d’opportunités?
MG: Un peu des deux mais il est certain que c’est un défi d’autant plus considérable que l’on ne sait pas ce qui se profile à l’horizon. Si personne, d’aucun secteur d’activité, ne peut dire avec exactitude ce qui se trame derrière ce gigantesque brouillard, nous avons néanmoins quelques assurances en ce qui concerne les marques.
La marque de l’UE couvre actuellement ses 28 pays membres. Dès lors qu’un pays quitte l’Union, la marque UE ne s’y applique plus; après le Brexit, le Royaume-Uni ne sera donc plus couvert par une marque européenne. Nos confrères anglais, qui sont parmi les meilleurs de la profession, ne pourront conséquemment plus représenter leurs clients devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle. Leurs clients auront dès lors besoin d’un autre mandataire, ce qui de facto, aura un impact considérable sur nos activités ici à Luxembourg. L’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie sont néanmoins en compétition afin d’attirer les clients britanniques.
JR: Si le Brexit est source de beaucoup d’incertitudes, j’aime croire que de chaque épreuve, peut naître des opportunités. Le Benelux, de par sa proximité historique avec le Royaume-Uni et ses compétences, a une véritable carte à jouer.
La législation en matière de PI a connu en 2018 des modernisations qui s’inscrivent dans l’harmonisation du marché européen. Les procédures de nullité et de déchéance de marques devaient jusqu’alors être introduites devant les Tribunaux de Bruxelles, de la Haye ou du Luxembourg. Ces procédures étaient lourdes et coûteuses et les avocats représentants n’étaient pas toujours spécialisés en droit de la PI. L’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle (OBPI) a dorénavant lui aussi acquis cette compétence et les mandataires spécialisés en PI peuvent également gérer ces procédures. Ces évolutions permettront un regain d’intérêt pour notre marché.
Quels sont les domaines ou secteurs d’activité qui pourraient être attirés par le Luxembourg?
JR: Le Luxembourg capitalise sur les forces qu’on lui connait et se positionne dans certains domaines novateurs. On pourrait citer les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, les services aux entreprises, le «space mining» ou encore les TinTech.
Nous constatons que nos clients locaux sont plus orientés vers la prestation de services alors que les internationaux se positionnent sur le marché des «biens de consommation».
La difficulté et l’engouement de notre profession est de bien comprendre le business de nos clients, car du producteur de glace à la startup innovante en réalité virtuelle, c’est nous qui définissons l’étendue des activités couvertes par leurs marques.
MG: Place multiculturelle au cœur de l’Europe et à l’économie fleurissante, les capacités linguistiques du pays sont très appréciées de nos clients internationaux. Bien évidemment, ils se sentent plus à l’aise dans leur langue maternelle (ndlr: huit langues différentes sont autour de la table) mais aussi et peut-être surtout avec la manière dont nous conduisons les affaires.
Qu’en sera-t-il après le 29 mars?
MG: Nos clients locaux veulent savoir si leur marque européenne sera encore valable en Grande-Bretagne après le Brexit. Pour l’instant, le gouvernement britannique assure que les marques européennes enregistrées avant le 29 mars le seront mais celles déposées après ce délai ne le seront plus. Pour les marques déposées, mais non-enregistrées avant le 29 mars, plusieurs options restent encore possibles: acceptation automatique au Royaume-Uni, acceptation contre paiement d’une taxe, déclaration du déposant, délai transitoire etc. Nous suivons les développements de près et accompagnons nos clients dans toutes les démarches nécessaires.
JR: Dans le monde de la PI, nous avons vécu d’autres situations de «séparation». A l’époque, en ex-Yougoslavie les propriétaires ont dû réenregistrer leurs marques dans chacun des nouveaux pays en payant une taxe officielle. Ayant une longue tradition en PI. Marks & Clerk a essayé d’influencer les décisions gouvernementales dans le but de protéger les propriétaires de marques. Pour l’instant, nous avons l’assurance que les marques de l’UE vont être directement converties en marques britanniques, sans besoin de payer une taxe quelconque. «Let’s wait and see what the future brings…»