«Mir Hunn e Plang Fir Lëtzebuerg»

Vainqueur des élections communales, le bateau CSV a le vent en poupe côté sondages, mais son capitaine Claude Wiseler reste prudent. À 58 ans, le prétendant au poste de Ier M. se sent libre de faire ce dont il a envie et a la volonté de mener un certain nombre de réformes. Interview.

 

Avec quel parti le CSV pourrait-il faire une coalition et peut-on imaginer des ministres Bausch, Bettel ou Schneider dans un gouvernement Wiseler?

J’ai toujours dit qu’il n’y aurait pas de coalition avec l’ADR car ils ne sont pas compatibles avec nous sur un certain nombre de points. Mais avec les trois partis de coalition et sans préférence aucune, je n’aurais aucun problème à travailler avec Xavier Bettel, Etienne Schneider et François Bausch. Certes, la politique n’est pas une affaire d’enfants de cœur mais les échanges que nous avons pu tenir ont toujours été sur des sujets et contenus politiques. Que cela soit rude sur les idées, c’est tout à fait normal mais il n’y a jamais eu d’attaque personnelle et c’est ce qui nous permettra de travailler ensemble si le choix des électeurs devait nous y amener.

 

Vous entendez élargir toutes les autoroutes avec une troisième voie réservée au covoiturage et aux transports en commun. Avez-vous chiffré cette mesure (l’élargissement de l’A3 coûte à elle seule 365 millions d’euros) et n’est-ce pas une fausse bonne idée dans la mesure où la capitale concentre les emplois?

Les PME sont l’épine dorsale de notre économie

 Il faut tout d’abord rappeler que c’est un projet à long terme avec un échéancier et des priorités pour l’A3 et l’A6. J’espère d’ailleurs que ces élargissements seront poursuivis des côtés français et belge. Ensuite, un groupe parlementaire n’a pas les moyens techniques de réaliser des chiffrages définitifs sur de tels investissements. L’argument que cela ne ferait qu’élargir les embouteillages n’est pas valable pour deux raisons: d’abord parce qu’une grande partie du trafic n’est que transitoire et ne concerne pas la Ville de Luxembourg et ensuite parce que toutes les études s’accordent à dire que plus il y a de véhicules sur une portion réduite et plus le risque accidentogène est élevé, ce qui complique, complexifie et densifie encore plus la circulation.

Enfin, avec une évolution telle qu’on la connait aujourd’hui, il n’existe pas de solution unique et l’élargissement des autoroutes n’est qu’une mesure parmi d’autres. Nous travaillerons sur toute la chaîne de mobilité en mettant en place la stratégie globale pour une mobilité durable «MoDu» que j’avais développée lorsque j’étais ministre des Infrastructures.

 

Et pourquoi pas la gratuité des transports publics qui est, quant à elle, chiffrée à 30 millions par an?

Parce que je ne pense pas qu’elle nous serait d’une grande utilité; le problème n’est pas un manque d’attractivité des transports publics mais bien au contraire, un manque de capacité. Les trains et les bus sont surchargés durant les heures de pointes et je préfère réinvestir cet argent dans l’augmentation des places.

 

Quel regard portez-vous sur les 120 millions qui vont être investis dans la mobilité du côté français?

Je vois cela de manière positive. Lorsque j’étais ministre des Transports, j’avais financé la mise à deux voies d’une ligne dont l’Allemagne avait moins besoin que le Luxembourg, sans parler du TGV. Je suis pour que l’on investisse dans des infrastructures de l’autre côté des frontières dès lors que les projets sont bien choisis et je pense que ceux-là l’ont été.

 

Comment favoriser le télétravail dans les méandres fiscales transfrontalières?

Je souhaite que les gens qui travaillent à Luxembourg puissent le faire à domicile et cela passe d’abord par une loi luxembourgeoise. Trouver des accords avec les pays frontaliers qui répondent à leurs propres priorités nationales ne se fera pas en quelques semaines. La loi sur le télétravail doit être faite quelle que soit la situation avec les pays voisins.

Je considère d’ailleurs que l’idée de François Bausch, de construire des bureaux sur le territoire luxembourgeois et aux abords des frontières, afin de permettre une décentralisation des entreprises est plus réaliste que des accords avec les pays voisins qui ont leurs propres obligations nationales.

 

Afin de lutter contre la spéculation immobilière, vous voulez instaurer une taxe sur les terrains et les logements vides, non plus au niveau communal mais national. Peut-on dire que le Luxembourg passe d’une politique d’influence à une politique de répression en matière d’immobilier?

Je considère le logement comme le grand problème social de Luxembourg car il coûte beaucoup trop aux ménages. Pour agir efficacement, il nous faut des moyens politiques et notamment contraignants. Nous constatons aujourd’hui que les taxes communales sur les terrains constructibles ne sont pas efficaces puisqu’elles ne sont pas utilisées. Le logement étant une cause nationale, il faut en faire une taxe nationale. On ne peut plus tolérer que dans la situation actuelle et pour des raisons de spéculation, des terrains soient retenus alors qu’ils sont dans des plans d’urbanisation construisibles tout de suite.

L’expropriation, qui est déjà possible par notre droit, ne doit pas être exclue pour des surfaces définies et délimitées mais elle ne doit être qu’un absolu et dernier recours.

 

«Augmenter l’offre pour faire baisser les prix» était une formule de Jean-Claude Juncker aux débuts des années 2000…

Mais quelle autre solution? Nous n’avons pas réussi à augmenter le parc de logements au rythme de l’accroissement de la population et c’est là le nœud du problème. L’objectif n’est plus de faire baisser le prix du logement mais de freiner son augmentation annuelle de 6%. Augmentons le stock pour freiner l’envolée des prix.

 

Vous dites que le Luxembourg doit garder «un rythme de croissance à un niveau où la capacité d’intégration, nécessaire à la cohésion sociale, soit toujours possible» mais la croissance démographique n’est-elle pas liée aux 4,5% de croissance économique?

Non car nous connaissons depuis 15 ou 20 ans, plus de 50% d’évolution démographique pour un ou deux pourcents de productivité par tête. Il faut donc veiller à ce que la croissance démographie, qui nous est certes nécessaire, soit dirigée par la productivité et que les investissements en logements, routes ou infrastructures sociales, puissent suivre le rythme. Sans quoi, nos capacités d’intégration seront dépassées. Le Luxembourg réussit l’intégration de l’immigration depuis 50 ans et je suis fier du fonctionnement de notre vivre-ensemble. Il faut le préserver.

 

Quels sont les autres secteurs économiques que vous souhaitez développer?

Le gouvernement actuel développe, dans la continuité du précédent, les secteurs financiers, d’assurance, de logistique, d’IT, des biotechnologies et des technologies spatiales (terme que je préfère au «space mining» et qui s’inscrit dans ce qui a été fait il y a 20 ans par SES).

Je compte continuer le développement de ces secteurs prioritaires mais auxquels j’ajoute l’économie circulaire et la construction verte. Les PME sont également une priorité pour nous et il faut leur réserver une place spéciale. Et puisque l’Université du Luxembourg va proposer un cursus en médecine, je vois là un secteur à développer pour les techniques médicales.

Je souhaite aussi réorganiser de manière plus cohérente et en fonction des secteurs que l’on souhaite développer, la prospection économique, la subsidiation, la mise à disposition d’emplacements et la fiscalité des entreprises. Les PME sont l’épine dorsale de notre économie, il faut leur donner priorité quant aux zones d’activités économiques dans lesquelles elles souhaitent s’implanter.

 

«Notre objectif principal est de restaurer la paix dans l’éducation», y a-t-il eu des guerres dans les lycées au Luxembourg?

(Rires). Restaurer la paix n’est pas la bonne traduction de «roueg», je préfère le mot «calme». Le ministre de l’Education nationale a fait une avalanche de réformes sans tenir compte de leurs influences concrètes dans les salles de classes, sans savoir si nous avions le personnel suffisant pour les appliquer. On demande beaucoup de travail administratif au personnel enseignant et je souhaite que l’on arrête de réformer pour réformer et rendre aux enseignants le temps de faire leur travail, c’est-à-dire, enseigner.

Le CSV était opposé au bilinguisme dans les crèches car nous pensons qu’une seule langue, le luxembourgeois, devrait être utilisée avec des enfants de un ou deux ans. Puis d’en faire au cycle 1, à la maternelle, un apprentissage systématique avec du matériel didactique et pédagogique lorsqu’ils ont trois ou quatre ans. Je souhaite aussi maintenir l’alphabétisation en allemand. Le luxembourgeois n’a pas vocation à être une langue de séparation mais d’intégration.

 

Quel est le système d’intégration que vous prônez, est-ce l’assimilation de l’étranger qui doit se séparer d’une partie de sa culture afin d’épouser celle des populations historiques ou plutôt le multiculturalisme qui fait cohabiter plusieurs cultures?

C’est une question théorique à laquelle le nombre d’habitants non-luxembourgeois et la diversité culturelle, en un mot la réalité, répond d’elle-même. Je souhaite que chacun se sente le bienvenu au Luxembourg et que nous préservions notre identité luxembourgeoise qui ne doit pas séparer mais accueillir en se basant sur notre façon de vivre, sur notre façon d’être et sur notre langue.

Pour ce qui est de la participation des résidents non-luxembourgeois à la vie publique, je pense qu’il est absolument nécessaire que sur le plan national, les résidents non-luxembourgeois aient une possibilité de s’exprimer de manière plus cohérente. C’est pourquoi je souhaite renforcer le Conseil national pour étrangers (CNE) afin de lui donner les moyens d’être plus connu, plus entendu et plus représentatif de la population étrangère. Mais les résultats du référendum étant ceux qu’ils sont, il faudra faire extrêmement attention à ce que les discussions ne tournent plus, comme il y a trois ans, au détriment de la cohésion sociale.

 

Lire sur le même sujet: