«Zukunft, zesummenhalt, Gutt Liewen»

Au gouvernement depuis 2013, François Bausch est celui par qui les Verts sont arrivés à l’exécutif et dans un ministère pour le moins symbolique et complexe. Au portefeuille du Développement durable et des Infrastructures, il mènera la liste déi gréng en se présentant au centre. Interview.

 

Seriez-vous favorable à une reconduite de l’actuelle coalition gouvernementale ou plutôt à une CSV- déi gréng qui est, selon les sondages, la plus plébiscitée des électeurs?

Il serait dans la logique des choses qu’un gouvernement affichant un bon bilan soit reconduit et le programme du CSV n’est pour l’heure, que publié en partie mais tout dépendra des électeurs. Dans tous les cas, il faudra négocier et trouver une entente de programme.

 

Pourquoi êtes-vous défavorable à l’élargissement de toutes les autoroutes ainsi qu’à la gratuité des transports en commun?

Pour chaque infrastructure, il faut se poser la question du coût, du résultat et de l’efficacité. Dire, comme le CSV, «nous allons élargir toutes les autoroutes à 2X3 voies» sans même connaître les données d’évolution, ne sert à rien. Ayant travaillé cinq ans dans ce ministère, je les connais et je ne pense pas que cela soit partout nécessaire.

Elargir les autoroutes reviendrait à élargir les embouteillages

J’ai introduit le projet de loi de l’élargissement de l’A3 avec une troisième voie réservée au covoiturage et aux transports en commun, mention votée à l’unanimité par la Chambre des Députés, parce que le multimodal de Bettembourg attire de nombreux camions et que les embouteillages sont au détriment des bus. Mais dans la mesure où la Ville de Luxembourg concentre les emplois, la mobilité est aussi liée à l’aménagement du territoire; élargir les autoroutes reviendrait donc à élargir les embouteillages. C’est pourquoi la création d’infrastructures va de pair avec une décentralisation des emplois vers le sud et le nord du pays.

C’est un réflexe du dernier siècle que de considérer uniquement le nombre de véhicules qui se déplacent sur les autoroutes. Les américaines à huit voies, saturées aux heures de pointes, en sont un bon exemple. Une politique de mobilité moderne doit penser en termes de capacité de déplacements et avec un taux de remplissage actuel de 1,1 personne par véhicule, augmenter leur nombre ne réglera pas les problèmes.

 

La ligne 90 des CFL reliant Thionville à Luxembourg-Ville affiche un taux d’occupation de 100% de 7 à 8 heures; autrement dit, les travailleurs-frontaliers voyagent debout…

Notre projet d’investissement qui s’étend à 700 millions d’euros, plus 120 millions pour le co-financement de la ligne Zoufftgen-Thionville, entend multiplier la capacité actuelle de places assises de cette ligne par 2,5 d’ici 2028. Entre 2019 et 2021, la gare de Luxembourg sera élargie d’un cinquième et sixième quai, en 2023 le dédoublement de la ligne Bettembourg-Luxembourg devrait être effective à 70% de sa capacité et en 2028 les modernisations de la gare de Bettembourg et de la ligne Thionville-Luxembourg seront achevées.

Sur les 120 millions d’euros de co-financement, 10 sont réservés à la construction de parcs de stationnement à la gare de Longwy, le long de l’A31 et au centre de Thionville. Rajoutons à cela l’élargissement de l’A3 d’une troisième voie réservée au covoiturage et aux transports en commun, d’une A31 bis, d’initiatives comme l’application «CoPilote», le vélo pour le dernier kilomètre, ainsi que plusieurs P+R sur le territoire luxembourgeois (comme par exemple celui de Rodange-Gare avec 1.800 places); seule une mobilité multiple peut résoudre les problèmes actuels.

 

Les Verts entendent créer massivement des logements locatifs publics mais l’idée d’augmenter l’offre pour faire baisser les prix était déjà celle de Jean-Claude Juncker aux débuts des années 2000…

Il ne serait pas honnête de faire croire aux électeurs que l’on peut fondamentalement changer le marché, et par la même, le prix de l’immobilier avec une croissance économique à 4,5% et une croissance démographique de 100.000 habitants supplémentaires tous les 8 ans. Toute la question est de savoir comment l’Etat et les communes peuvent acquérir des terrains afin d’apaiser le marché du logement. Au Limpertsberg, quartier le plus cher de la capitale, l’Etat a délogé le Lycée Vauban pour l’installer au Ban de Gasperich ainsi que le Lycée Technique du Centre et le Michel Lucius au Kirchberg. Les terrains libérés seront valorisés en logements à des prix abordables, non pas dans l’espoir de faire baisser les prix mais de neutraliser leur hausse tout en favorisant la mixité sociale. Le plateau du Kirchberg compte actuellement 6.000 habitants pour 42.000 emplois. Le solde emplois-habitants qui est extrêmement négatif se répercute de facto sur la mobilité. Mon but est de tendre à 33.000 habitants pour les 60.000 emplois prévus dans dix ans.

La responsabilité de l’Etat et des communes est de proposer des logements locatifs ou à l’achat sur bail emphytéotique, financés par les fonds publics et disponibles à 30 ou 40% moins chers que le marché privé.

 

Meris Sehovic, porte-parole des jeunes écolos dit de la politique gouvernementale relative au logement qu’elle est «un raté» et propose un changement de constitution où le droit à la propriété individuelle serait liée aux intérêts légitimes de la société. Peut-on imaginer après l’incitation et la taxation, des mesures d’expropriation?

Les jeunes exagèrent parfois et c’est de bonne guerre (rires). La propriété est un droit qui ne saurait être au-dessus des intérêts de la société. Il n’est pas normal qu’un propriétaire puisse spéculer sur ses terrains de la Place de l’Etoile durant trente années en se moquant de l’intérêt général. En Suisse, pays connu pour son libéralisme, ce même propriétaire aurait eu cinq ans avant d’être sévèrement taxé. Je suis favorable à une gradualité des sanctions et pour une inscription dans la Constitution que le droit à la propriété doit aussi être lié à des obligations d’intérêt général (comme c’est déjà le cas en Allemagne ou en Suisse).

 

Vous dites de la culture du pays qu’elle ne soit pas être défendue par «l’arrière-garde»; mais qu’elle est-elle selon vous?

L’ADR est une arrière-garde irresponsable. Je viens d’une famille du milieu ouvrier sidérurgique typiquement luxembourgeoise. Et pour moi, la richesse de ce pays a toujours été son ouverture d’esprit vers l’extérieur et son multilinguisme. La culture luxembourgeoise et la langue luxembourgeoise comme langue d’intégration me sont très importantes, mais aurions-nous moins de chômage, des loyers plus abordables et serions-nous à l’abri des crises économiques si les 600.000 habitants du pays parlaient tous le luxembourgeois? Bien évidemment que non! Parlons alors des véritables problèmes. Ces gens-là instrumentalisent la langue pour exclure et non pour inclure, ils ont oublié que nous sommes un pays d’immigration, ils ont oublié notre Histoire.

 

Que penser d’une jeunesse luxembourgeoise qui délaisse le secteur privé au profit d’une fonction publique qu’elle considère comme un eldorado professionnel et qu’en est-il de la cohésion par le travail dès lors que les francophones travaillent entre eux dans le secteur privé et les locuteurs luxembourgeois entre eux dans le secteur public?

C’est là, un risque sociétal dans lequel l’Etat a sa part de responsabilité. Les Verts avaient fait des propositions dans les années 90 afin d’offrir plus de cours en luxembourgeois dans le secteur privé. Dans une économie comme la nôtre, qui fait appel à tant de frontaliers et où les entreprises sont majoritairement francophones, on ne peut pas espérer qu’ils apprennent le luxembourgeois sur leur temps libre. Nous aurions dû financer depuis longtemps déjà, des cours de luxembourgeois en entreprises, et ce, durant le temps de travail. Je constate une grande disposition des étrangers pour l’apprendre mais il n’y a même pas assez de cours, ni même d’enseignants.

Le deuxième point que vous soulevez est démocratique et l’idée du droit de vote pour les résidents étrangers visait à combler ce déficit. Il y a eu un référendum, certainement mal préparé et dont les résultats doivent être respectés mais cela ne règle pas le problème pour autant.

Je suis particulièrement fier d’avoir défendu avec Félix Braz la réforme de la loi sur la nationalité qui a permis de quadrupler les demandes de naturalisation et le Luxembourg a aujourd’hui la loi sur la double nationalité la plus libérale en Europe.

Avec 14.000 nouveaux habitants par an, il est normal que la fonction publique ait un besoin de recrutements important mais il est extrêmement difficile pour l’Etat, de suivre en termes d’infrastructures. Notre dynamique infernale ne pourra pas éternellement tenir et c’est pour cela qu’il faut repenser notre croissance démographique afin qu’elle ralentisse, qu’elle soit moins quantitative et plus qualitative.

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