La mobilité et la revitalisation urbaine: les défis d’une commune

Schroeder & Associés

Conseiller et guide des communes en vue d’un réaménagement urbain visant à implémenter et encourager une mobilité durable dans leurs localités, le bureau d’études Schroeder & Associés prend en compte une multitude de facteurs dans sa planification de projets. Forts d’un premier succès dans la commune de Bertrange pour lequel la population a véritablement été impliquée, Jean-Luc Weidert et Adrien Stolwijk, tous deux administrateurs, ingénieurs et aménageurs-urbanistes, nous expliquent les défis rencontrés par une commune en termes de mobilité.

 

Quel est l’objectif premier d’un réaménagement urbain?

AS: Beaucoup de communes veulent rendre aux centres urbains un espace-rue avec un niveau de qualité de vie plus élevé où le citoyen et la mobilité douce sont mis au centre de la conception tandis que les voitures sont tolérées, mais n’en sont plus l’élément central. Il s’agit donc de rééquilibrer la position des différents usagers et de veiller à ce que chacun puisse trouver sa place dans ce système fragile.

Avec nos collègues architectes, urbanistes et paysagistes nous créons une équipe multidisciplinaire pour rechercher une nouvelle atmosphère dans l’espace public où le citoyen se sent à l’aise, confortable, en sécurité et commence par conséquence à changer son comportement par exemple en faveur de la mobilité active. L’aménagement de zones de rencontre et de zones résidentielles à 20km/h et de places publiques et espaces verts ainsi que la recherche de solutions au niveau du stationnement sont des outils importants dont peut se munir une commune pour y arriver, comme on peut l’observer dans le «Shared Space» à Bertrange.

 

Quelle est la place de l’implication citoyenne dans ce processus?

JLW: Notre objectif à Bertrange était de réaliser un projet avec et pour les habitants de la commune, il est donc très important de tenir compte de leur avis.

Une planification avec les citoyens pour les citoyens !

Les outils pour intégrer le citoyen dans la planification sont nombreux: des questionnaires sous forme d’un «Foussgängercheck» et d’un «Mobilitéitscheck», des workshops organisés en soirée ou le week-end, des visites des lieux,… Le but est d’écouter et de comprendre les soucis que les citoyens rencontrent au quotidien, d’analyser ensemble les points forts et faibles et de discuter de leurs idées pour améliorer la qualité de vie et la mobilité de manière durable dans leur commune. Qui connaît mieux le terrain que ceux qui le fréquentent chaque jour! Nos expériences au cours des dernières années au niveau des processus participatifs avec la population nous ont montré que souvent deux groupes de notre société se sentent moins impliqués dans ce processus. Pour y remédier, nous cherchons par exemple le contact direct avec les maisons de retraite et les clubs senior d’un côté et les maisons des jeunes de l’autre. Sur base de ces informations «de première main» provenant de tous les citoyens, nous essayons de créer un concept sur-mesure, réalisable et fonctionnel; donc une solution durable à échelle humaine.

AS: Les mentalités changent finalement aussi au Luxembourg et le réaménagement du centre de Bertrange était pour nous le premier projet de «Shared Space» où les décisions politiques étaient liées étroitement aux avis de la population dans l’optique que chacun y trouve sa place: les habitants, les commerçants, les enseignants, les jeunes, les plus âgés,… Cette approche a entre temps été suivie par un bon nombre de communes, ce qui demande – ne le cachons pas – un certain courage politique.

 

Quels changements doivent être réalisés pour apaiser le trafic dans une localité?

JLW: D’abord il faut se demander pourquoi et pour qui on veut apaiser le trafic. Les infrastructures qu’on retrouve aujourd’hui dans beaucoup de communes ont été réalisées pour la circulation motorisée et sont par conséquent souvent surdimensionnées vis-à-vis des autres usagers. Elles incitent les automobilistes à rouler à vitesse élevée, avec tous les problèmes qui y sont liés.
Le réaménagement des entrées en localités est un premier outil important pour bien doser et influencer l’arrivée en agglomération. Puis c’est la réorganisation de la hiérarchie routière (mélange entre 50km/h, 30km/h et 20km/h) qui est la base d’un apaisement du trafic à l’intérieur d’une localité. Le réaménagement de l’espace-rue doit donner plus de place aux piétons/cyclistes et suggérer aux automobilistes un comportement adéquat à l’intérieur de l’agglomération. Dans un centre urbain, le piéton doit donc être mis au centre de la conception, car nous commençons chaque déplacement (même celui en voiture ou en transport en commun) tout d’abord à pied – et ceci chaque jour! Offrir une plateforme où les gens se rencontrent et la vie sociale retrouve sa place au cœur d’une localité est la preuve d’un projet réussi!

AS: Entre temps, nous assistons beaucoup de communes pour établir des demandes auprès du MDDI et des Ponts et Chaussées en vue d’une réduction de vitesse sur voirie étatique dans certains tronçons à l‘intérieur des localités. Ces demandes doivent remplir certaines conditions, comme des comptages de vitesses et des piétons, la documentation des «Points of Interests» (POI), tels que les écoles, commerces, services, etc. Un aménagement adéquat y est évidemment à prévoir en cas d’autorisation étatique.

 

Comment favoriser la mobilité douce dans une commune?

JLW: Nous développons par exemple avec les citoyens, les services techniques, les responsables communaux et les autorités étatiques un «Plan directeur de pistes cyclables» qui définit la vision finale d’un réseau cohérent et continu à travers la commune. Ce réseau doit en plus s’intégrer dans un réseau régional et national pour garantir la continuité au-delà de la commune. La planification pour le piéton nous demande un travail très détaillé pour réussir à améliorer et sécuriser ses infrastructures. Sur base d’un relevé minutieux, il s’agit de définir des actions concrètes sous forme d’un catalogue de mesures. Echelonné sur base de priorités, ce catalogue est l’outil de travail de la commune pour les années à venir – et ceci sans perdre de vue le budget qu’une commune doit se donner année par année pour la réalisation des mesures sur base d’un «Massnahmenkatalog» et d’un plan de phasage établi par nos ingénieurs. Une signalétique continue ciblée pour piétons est non seulement importante pour la lisibilité du réseau mais aussi du côté éducatif. Beaucoup d’éléments subjectifs sont à considérer lors de l’établissement du concept de la mobilité douce et nous devons trouver le bon dosage avec tous les intervenants et groupes d’intérêts pour les encourager à délaisser leurs véhicules.

Sachant que la multimodalité sera la clé d’une mobilité durable, les infrastructures de la mobilité douce formant le raccord au transport en commun jouent un rôle important lors du choix du mode de transport. Surtout qu’il s’agit souvent du «last or first mile» d’une personne dans la chaîne de mobilité de son déplacement journalier.

AS: Entretemps nous remarquons que de plus en plus de responsables communaux se rendent compte qu’un réaménagement de l’espace public doit répondre aux objectifs du «Design for all» qui garantit un aménagement adéquat pour tous les âges (enfants, personnes à mobilité réduite, personnes âgées, poussettes, mal-voyants, etc.). Là aussi, la mise en place d’un catalogue de mesures se greffant sur un budget pluriannuel de la commune doit être proposé. Parlons encore brièvement de l’élaboration du concept «Séchere Schoulwee» qui est un outil très important d’une commune afin de sensibiliser les parents aux avantages d’une marche à pied vers l’école. Sur base des questionnaires destinés aux enfants et aux parents, il s’agit d’abord d’analyser leur comportement. Suivant les lieux de domicile des enfants et leurs catégories d’âge, des chemins sécurisés vers l’école sont définis et mis en place. Des visites des lieux sont organisées, des logos et slogans développés avec les enfants. Dans certains cas, le nombre de bus scolaires peuvent être réduits avec l’installation de Pedibus ou de Velosbus dans un rayon d’un ou deux kilomètres d’une école.

 

Quels sont les défis d’une commune concernant la multimodalité et les transports en commun?

JLW: Citons d’abord l’arrêt de bus, celui-ci doit être attractif pour l’utilisateur; des abris, des supports pour vélos, des aménagements en faveur de la mobilité réduite en sont quelques exemples. Etant donné que l’aménagement des arrêts de bus est à 100% la tâche des communes, elles sont de plus en plus nombreuses à établir des concepts cohérents au niveau de la sécurisation et de la mise en conformité des arrêts de bus, des passages piétons,…

AS: En vue de mieux cibler les besoins des habitants et des visiteurs, la commune peut, suivant les besoins, installer des offres sous forme d’un City-Bus ou un bus sur demande et ceci en complément à l’offre du transport en commun régional. Mais la promotion du transport en commun va même plus loin: l’urbanisation d’une commune doit y être adaptée (réduction du nombre d’emplacements dans le logement et aux lieux de travail proches des lignes de bus et haltes ferroviaires, aménagement d’un espace convivial dans les quartiers,…), et la commune a le moyen de le promouvoir par le biais du PAG et des PAP.

 

Quels impacts ces changements ont-ils sur le métier d’ingénieur-conseil?

AS: En plus de notre compétence en matière d’ingénierie, les collaborateurs de notre unité «Mobilité et Développement urbain» qui est composée de 17 universitaires travaillant exclusivement dans la conception, sont formés au niveau médiation et psychologie afin d’être plus à l’écoute des besoins de tous les acteurs d’une commune et de pouvoir proposer ainsi des solutions cohérentes qui conviennent à tous dans l’esprit d’une planification «Avec les citoyens et pour les citoyens». Chaque projet est spécifique et nous le traitons comme tel, nous essayons de trouver le dosage approprié qui convient à chaque commune pour favoriser la mobilité douce et garantir une meilleure qualité de vie. Ainsi, nous créons des concepts uniques et sur-mesure. Au vu de la formation «aménageur-urbaniste» supplémentaire de nos collaborateurs, l’interaction entre la mobilité et l’aménagement urbain est garanti.

Le véritable expert est l’habitant de la commune, car il connait au mieux ses besoins et les manques à combler. Nous devons le comprendre pour trouver des solutions qui seront acceptées par la suite. Pour y parvenir, nous formons souvent une équipe pluridisciplinaire afin de créer un projet cohérent rassemblant tous les aspects de la vie communale. Les personnes chargées de la conception et de la réalisation communiquent sans arrêt et s’échangent les informations. Cette particularité combinée à l’écoute du citoyen nous permet de rester en phase avec la réalité du terrain.

JLW: Au niveau de la mobilité, l’idéal serait de ne plus devoir soigner uniquement les symptômes, mais de résoudre le problème à la source. Pour ce faire, il est proposé de rassembler toutes les fonctions d’une commune à de courtes distances et de pouvoir ainsi habiter, travailler et consommer ses loisirs de préférence sur le même lieu et de devenir ainsi moins dépendant de son véhicule.

A terme, le concept de «smart cities» permettrait de planifier la mobilité grâce aux besoins relevés au sein de la société. Il serait alors possible d’ajuster la mobilité selon les comportements généraux analysés et de proposer ainsi aux personnes le mode de transport approprié au moment de sa demande, de favoriser davantage la multimodalité, de réagir avec des feux tricolores intelligents et des concepts de stationnement flexibles et innovants,… L’évolution de la technologie et l’analyse des informations récoltées par différentes applications et capteurs pourraient anticiper les problèmes de circulation et les éviter en proposant des itinéraires et modes de transport alternatifs. Le but est de réduire davantage la surface des infrastructures routières, et d’offrir ainsi un espace maximal dédié au piéton et au cycliste en vue d’une meilleure qualité de vie à l’intérieur des agglomérations.

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