Les logiciels sont brevetables!

Marks & Clerk Luxembourg

Les méconnaissances qui entourent les marques et les brevets foisonnent peut-être autant que les incubateurs à startups, ce qui est pour le moins regrettable dans un écosystème qui forme des ambitions digitales, ICT et spatiales. Entretien croisé chez Marks & Clerk Luxembourg avec Luca Polverari, gérant et partenaire et Stéphane Ambrosini, Conseil en propriété intellectuelle (P.I.) et spécialiste des brevets logiciels et électroniques.

 

Quel regard portez-vous sur le foisonnement des incubateurs dans l’écosystème luxembourgeois?

SA: Le foisonnement d’incubateurs est toujours le signe d’une belle dynamique mais il faut néanmoins éviter le surnombre. D’autres pays connaissent cette situation où l’offre est supérieure à la demande et les efforts de compétitivité déployés peuvent devenir néfastes aux startups.

Les jeunes pousses naissent dans des esprits innovants, souvent jeunes et fraîchement formés sur les bancs universitaires mais qui n’ont pas encore d’expérience entrepreneuriale. C’est pourquoi les incubateurs proposent des infrastructures de qualité et un accompagnement personnalisé ou sinon adapté.

Toute la question est de savoir dans quelle mesure ce qui est créé est légalement protégé. La propriété intellectuelle a en effet des difficultés à pénétrer les enceintes des incubateurs et par la même, les consciences. Je me souviens d’une discussion avec le représentant d’un grand incubateur du pays à l’occasion de l’ICT Spring 2018, réticent à l’idée de cliniques P.I. ponctuelles par des cabinets comme le nôtre. À ma question de ce qui était fait en interne au sujet de la P.I., il m’a répondu qu’un organisme public tenait régulièrement des conférences. Cette initiative est un outil précieux de sensibilisation, mais une startup a autant besoin  d’informations préliminaires au sujet de la P.I., que de conseils pratiques spécifiquement adaptés à ses activités par des praticiens expérimentés.

Il semblerait donc qu’il y ait une sorte de réticence de la part des partenaires publics et privés à impliquer les bureaux de conseils en propriété intellectuelle dans l’effort d’éducation et de détection, d’intérêt commun à toutes les parties.

Il faut identifier les besoins en P.I. au sein même des incubateurs

LP: L’abondance des incubateurs est une bonne chose car il y a dix ans encore, il était extrêmement difficile pour un jeune de créer sa propre entreprise et de trouver un endroit où développer son activité. De plus, il semblerait que la tendance actuelle soit à la fusion des incubateurs qui ont des activités semblables et au développement de synergies d’expérience.

Trop de dirigeants croient encore que les logiciels ne sont pas brevetables et cela révèle un problème de culture et un manque de connaissance des risques. Les incubateurs ont besoin de conseils commerciaux en P.I. afin d’évaluer les besoins des startups, de renseigner quant aux brevets et marques adaptés et de définir les législations nécessaires. Ces conseils ne peuvent être donnés que par ceux qui les pratiquent.

On bâtit une entreprise en travaillant à son succès; ne pas protéger ses droits, c’est paradoxalement prendre des risques qui fragilisent tout l’édifice.

 

La bonne santé de l’écosystème ne devrait-elle pas conduire à un nombre important de dépôts de brevets?

SA: Il existe en effet une dissonance entre la dynamique que l’on perçoit sur la Place, dans les médias, sur les réseaux professionnels et le nombre de dépôts de brevets visibles sur les registres officiels luxembourgeois et étrangers.

La demande de brevet ou de marque doit se faire à un moment précis du processus de la startup. La faire trop tôt est difficile mais la faire tard peut être extrêmement risqué, voire éventuellement impossible.

Il existe beaucoup d’aides et de subventions spécifiques à la P.I. mises en place par l’Etat et la bourse européenne de recherche et il faut rappeler qu’un brevet commence aux alentours de 4.000 euros.

LP: Il y aura toujours un écart entre le nombre de startups en activité et celui du nombre de dépôts de brevets car toutes n’en ont pas forcément besoin et une poignée d’entre-elles seulement réussissent à pérenniser leurs activités. C’est là le travail presque naturel de l’écrémage mais nous devons travailler à la réduction de cet écart et plus nous aurons de startups qui réussissent et plus la demande en P.I. augmentera.

 

Pourrait-on imaginer que la P.I. soit comprise plus tôt dans le processus de création de la startup et peut-être même une prérogative des dossiers?

LP: Cela le devrait mais les mauvaises perceptions ont la vie dure. La méconnaissance du concept de la P.I. touche la quasi-totalité des créateurs, d’où l’importance du travail des pouvoirs publics dans la sensibilisation mais malgré tous les efforts entrepris depuis quelques années cela ne suffit pas encore pas aux enjeux.

C’est pourquoi dans la mesure du possible, nous souhaiterions entretenir des liens plus étroits encore avec les incubateurs du pays. Présenter son idée aux investisseurs avec l’appui d’un brevet et des recherches préalables relatives est une réelle valeur ajoutée.

Il faut identifier les besoins en P.I. au sein même des incubateurs.

SA: À l’image de ce qui se fait beaucoup en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, nous pourrions inspirer dans un premier temps des compétences de détection au sein même des incubateurs. Un ou plusieurs membres du personnel statique de l’incubateur, au plus proche des startups, pourrait acquérir des connaissances embryonnaires mais suffisantes à la détection des activités qui nécessitent des conseils plus importants. Il ferait alors office de point relais avec les bureaux spécialisés que nous sommes.

Ceci permettra d’éviter des divulgations accidentelles sur les sites internet ou sur les réseaux sociaux qui annulent de facto, toute chance d’un brevet valide.

 

Comment instaurer une culture de l’automatisme?

SA: C’est le rôle de tous, des institutions publiques, comme l’IPIL, des bureaux de conseils comme le nôtre mais aussi des incubateurs et des universités. Nous pourrions par exemple imaginer que dans des filières scientifiques académiques, il y ait un module qui aborde la P.I.

LP: Je suis le témoin du travail réalisé à la sensibilisation des esprits mais cela n’est malheureusement pas encore suffisant et nous avons aujourd’hui besoin d’un consensus global sur la question.

Les startups n’ont pas les mêmes ressources que les structures plus importantes qui ont des programmes de recherche et de développement. D’où le rôle des incubateurs qui leurs offrent des infrastructures adéquates mais elles sont aussi plus à même d’être victime de plagiat ou de divulguer leurs secrets lors de présentations. Le brevet est un outil de protection qui valorise l’entreprise.

L’entrepreneur doit penser à la protection de son idée dès qu’il envisage sa mise en œuvre.