La passion de l’engagement

Elle pénètre la pièce avec l’assurance de ceux qui gèrent la pression des responsabilités sans sourciller. Dans son col Claudine qui laisse sagement à penser aux écoliers de l’entre-deux-guerres, sa prestance presqu’intimidante fait oxymore. Un regard gris-bleu chaleureux et un large sourire suffisent pourtant à mettre à l’aise son interlocuteur. Itinéraire d’une femme réfléchie, sincère et engagée, portrait d’Anouk Agnes.
L’édification d’une personnalité
Trois générations de femmes étaient réunies dans le pavillon familial où Anouk a grandi, entourée de sa mère, sa grand-mère et de son grand-frère. L’enfant est plutôt bonne élève même si elle a une tendance à la paresse qui la pousse à ne réviser uniquement ce qu’il suffit pour avoir la moyenne. Elle développe très tôt le goût des livres, tout d’abord en chinant dans la bibliothèque rose et autres littératures de jeunesse, puis vers des lectures plus consistantes à force d’après-midis pluvieux sous le ciel gris de Bonnevoie.
Dès ses onze ans, elle passe ses vacances d’été en colonie avec le CISV Luxembourg où des adolescents du monde entier partagent, trois semaines durant, le même campement. S’émouvoir des paysages lointains, caresser l’inconnu et embrasser les cultures qui lui sont étrangères marqueront son affection des voyages pour ne plus la quitter.
Sa mère se remarie avec Marcel Mart, ministre DP de l’Economie, puis de l’Energie et des Transport sous les gouvernements Werner (1969-1974) et Thorn (1974-1977). À défaut de combler la transparence ineffaçable d’un père absent, la jeune-fille gagne de cette nouvelle union, l’influence culturelle d’un homme engagé. La table des repas familiaux s’anime souvent de débats sociétaux, culturels et politiques parfois le reconnaît-elle, à l’exaspération de sa mère et de son frère-ainé. Ces discussions alimentent ses propres réflexions et adoucissent de raison les utopies de son adolescence.
Dans les méandres du lycée, elle souhaite s’évader de ses bêtes noires que sont les mathématiques, la physique et la chimie pour se réfugier dans les sciences humaines. Tournant autour des auteurs allemands, volant dans la poésie française et dansant sur la musicalité de la langue italienne, elle quitte l’Athénée pour le Lycée Michel-Rodange et passe un Bac L. Puis sans réelle conviction, Anouk choisit de faire du droit parce que, c’est bien connu, il mène à tout. Après une maîtrise à Paris Assas, un master à Munich et un passage sur les bancs de Science Po à Londres, elle sait enfin qu’elle restera hermétique au droit des affaires. Ce qui la passionne, c’est la philosophie et l’histoire du droit, les droits de l’homme, le droit constitutionnel et international.

La vie active
Diplômes en poche, Anouk part en 1998 pour New-York à la Représentation Permanente du Luxembourg auprès des Nations unies pour le compte du ministère des Affaires étrangères. Dans l’hémicycle de l’ONU, elle suit, non sans fascination, les débats de l’Assemblée générale de la commission économique et sociale et notamment ceux des objectifs du millénaire (réduction de la faim dans le monde, éducation des enfants, campagnes de vaccinations, etc.).
De retour au Luxembourg en 1999, elle intègre Lux-Development et découvre que le Grand-Duché est l’un des leaders mondiaux dans la contribution financière pour l’aide au développement des pays pauvres. À seulement 25 ans, elle part pour la Namibie puis pour les Balkans (Monténégro et Kosovo) où elle gère des projets concrets de construction d’écoles, de formation d’infirmières et d’équipement en matériel d’hôpitaux. Elle aide aussi les populations locales à trouver des débouchées professionnelles dans ces régions reculées, où le charme des paysages jure si souvent avec l’impasse de l’existence qu’est la pauvreté. Un accident de voiture l’oblige à rentrer au pays en 2004; la jeune femme intègre alors la Banque asiatique de développement et refait son baluchon pour Manille jusqu’en 2005. De retour au Luxembourg, elle rejoint le ministère des Finances.
Alors ministre des Finances, Luc Frieden est en charge de la politique de stratégie, d’innovation, de compétitivité et du développement des services financiers. De cette volonté de promouvoir la Place à l’international naît, entre autres, Luxembourg for Finance pour lequel Anouk Agnes dirige la stratégie. Elle y découvre les fonds d’investissements et la renommée internationale de Luxembourg en la matière.
À l’Alfi depuis 2012, elle en est aujourd’hui la directrice générale adjointe et ses dossiers de prédilection sont entre autres la microfinance, les fonds d’investissements socialement responsables et les fonds d’investissements verts. «Leader dans la microfinance, le Luxembourg a ouvert la voie aux investissements socialement responsables et a montré qu’on peut faire de l’argent tout en faisant du bien», dit-elle.
Elle a pu constater que dans les pays où les enfants peinent à manger à leur faim, il est très difficile de parler d’écologie et sur les rives des fleuves, jonchant le sol des bidonvilles et jusqu’aux cimes des arbres, les détritus sont partout. On sait déjà que l’argent public des pays riches ne pourra pas suffire au financement du développement durable des régions défavorisées et tous les experts s’accordent à dire que les 100 milliards annuels avancés suite aux Accords de Paris sont sous-évalués. L’une des solutions réside peut-être dans les fonds d’investissement verts qui connaissent de plus en plus de succès et Anouk Agnes peut l’observer quotidiennement: «les investisseurs constituent des portefeuilles qui leur rapportent des rendements financiers et préfèrent les entreprises qui ont des impacts positifs sur l’environnement parce qu’ils savent dorénavant qu’investir dans des entreprises polluantes, c’est perdre de l’argent».
 
Un attrait…
Soyons honnête, Anouk Agnes serait politiquement intéressante à plusieurs aspects. L’hypothétique candidature aurait la crédibilité d’un parcours de poids; sa batterie de diplômes et son lourd CV attestent d’une vision internationale de la Place et d’une connaissance des marchés financiers qui changeraient du traditionnel «candidat-enseignant». La maman quadragénaire a ensuite une personnalité qui mériterait d’être connue avec des valeurs humanistes et sociales de terrain, une fibre écolo (avec entre autres une aversion pour les sachets en plastique) et une culture autrement sortie des fiches Wikipédia puisque sensible à la littérature, la poésie, l’art moderne, la danse classique et le cinéma d’auteur. Enfin, la dame a un physique plus qu’avantageux, ce qui n’est pas sans déplaire à l’électorat de tous bords confondus.
Pourquoi dès lors celle qui pourrait parfaitement répondre à un mandat européen ou même à un poste ministériel ne s’est-elle jamais présentée?
Elle nous promet que «ce n’est pas d’actualité». Certes, elle s’est toujours intéressée à la politique de son pays et tant ses évolutions que son sort la concernent intimement mais «l’intérêt ne suffit pas, faut-il encore s’identifier à un programme et s’engager dans un parti», rappelle-t-elle et d’ajouter dans une presque fausse modestie que «rien ne dit qu’une famille politique voudrait de moi». Pour l’heure, ses engagements écologiques et sociaux s’incarnent parfaitement dans son activité professionnelle et comme elle aime à le rappeler, «faire de la politique ne se résume pas à une carte de parti et à des campagnes électorales». Assurément, mais les caresses du temps qui passe renforceront peut-être plus encore son intérêt.

Julien Brun

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