Le bail commercial: vers un nouvel équilibre
Le projet de loi N°6864 portant sur le bail commercial s’est donné comme objectif de remédier à un certain nombre de dysfonctionnements qui ont pu être constatés dans un passé récent sur le marché de l’immobilier commercial. Maître Claudio Orlando, avocat à la Cour et Senior Associate au sein du cabinet d’avocats WILDGEN S.A., nous explique quels sont les changements majeurs prévus par cette nouvelle législation.
Nécessité de réformer une réglementation dépassée
La réglementation du bail commercial au Luxembourg a trouvé sa genèse dans un arrêté grand-ducal du 31 octobre 1936 qui a introduit dans le Code civil les articles 1762-3 à 1762-8 destinés à protéger le fonds de commerce. À part ces quelques règles spécifiques, le régime du bail commercial se base essentiellement sur les règles générales en matière de bail ainsi que sur un certain nombre de pratiques et d’usages qui se sont développés en application du consensualisme voulu par le Code civil.
Le législateur a été animé par l’idée de recadrer certaines pratiques considérées nuisibles tant pour les locataires que pour les propriétaires et surtout pour le commerce. Sont notamment visées l’exigence de garanties locatives excessives lors de la conclusion du contrat de bail, mais surtout le paiement de “pas-de-porte” aboutissant à des sommes démesurées qui, au courant de l’année 2013, ont poussé une vingtaine de commerces situés à Luxembourg-Ville à faire aveu de faillite.
C’est face à ces problèmes que le législateur s’est donné la mission ambitieuse de réformer le régime du bail commercial en vigueur et de limiter ces pratiques abusives.
Principaux changements apportés par le nouveau projet de loi
Même si le projet de loi initial a été amendé à de nombreuses reprises et que dans sa version actuelle les ambitions protectrices du législateur ont été revues à la baisse, un certain nombre de changements retenus méritent d’être mis en exergue.
En premier lieu, il s’agit de souligner que cette nouvelle réglementation délimite son champ d’application en définissant le bail commercial comme celui dont l’immeuble est destiné à une activité commerciale, industrielle ou artisanale dont la durée dépasse une année. Sont donc exclus les baux à usage administratif ou affectés à l’exercice d’une profession libérale ainsi que ceux d’une durée égale ou inférieure à une année.
Aussi la durée des baux commerciaux, prévue par l’usage pour une durée de 3-6-9 ans, a été visée par la nouvelle législation qui prévoit désormais que la durée peut être indéterminée ou déterminée.
Quant à la pratique des “pas-de-porte”, elle est désormais interdite, comme le projet de loi prévoit l’interdiction de tout supplément de loyer à verser à la signature du contrat. La sanction est la nullité d’une telle clause qui donnerait lieu à une action en remboursement au profit du locataire.
Une autre mesure censée limiter les spéculations consiste en l’interdiction pour le locataire de demander à son sous-locataire un montant de loyer supérieur au montant du bail principal conclu avec le bailleur, sauf si le locataire a effectué des investissements spécifiques en vue de la sous-location comme cela pourrait être le cas pour les brasseries ou les stations-services.
Le projet de loi prévoit également quelques changements au niveau du régime du renouvellement du bail, dont le plus intéressant vise le droit au refus de ce renouvellement. Ainsi, un bailleur, après une occupation pendant au moins neuf ans, a la possibilité de refuser le renouvellement ou de résilier le bail contre le paiement d’une indemnité d’éviction au locataire. Le montant de cette indemnité peut être fixé conventionnellement par les parties, circonstance qui entrouvre néanmoins la porte à des éventuels abus, ou, à défaut de stipulations contractuelles, par le juge de paix sur base de la valeur marchande du fonds de commerce.
Quant au sursis commercial, qui jusqu’à présent a été limité à deux sursis successifs de six mois chacun, le projet de loi prévoit, sous le respect de certaines conditions à remplir par le locataire, un sursis unique d’un à neuf mois.
Analyse critique
Le droit unilatéral pour le locataire de résilier le bail pour difficultés financières initialement prévu par le projet de loi a été supprimé. D’un côté, ce droit aurait permis aux locataires ayant des difficultés financières de sortir de leur contrat de bail et d’un autre côté, le critère des difficultés financières aurait pu aboutir à des abus d’un locataire.
Un autre point critiquable concerne le droit de préemption prévu par le projet de loi en cas de vente accordé au locataire qui loue depuis au moins 18 ans. Si un tel droit présente un intérêt certain pour le locataire, il n’en est pas nécessairement de même pour le bailleur pour lequel ce droit de préemption peut constituer une entrave sérieuse en cas de vente de l’immeuble.
Quant à l’application dans le temps, le projet de loi prévoit que les nouvelles dispositions s’appliquent à tous les contrats en cours, mesure qui posera certains problèmes pratiques mais aussi juridiques dans le futur.
Malgré ces quelques critiques, le projet de loi sur le bail commercial constituera très certainement un outil permettant de rééquilibrer le rapport de forces entre bailleur et locataire.