Aux frontières de l’Union
Les accords de Schengen remontent à 1985 et prévoyaient la suppression des frontières intérieures dans une perspective de libre circulation des biens, capitaux et personnes. 32 ans après ces accords, «l’augmentation considérable des échanges commerciaux et du nombre de voyageurs entrant et sortant de l’espace Schengen, mais également le niveau de menace terroriste jamais atteint auparavant changent la donne», nous disent Serge Hanssens et Philippe Pierre, respectivement directeur advisory et associé en charge du Secteur Public et responsable mondial Institutions européennes chez PwC Luxembourg.
N’y a-t-il pas un paradoxe à vouloir des frontières fluides et ouvertes mais aussi contrôlées et sécurisées?
PP: L’idée d’un espace élargi aux frontières de l’UE a été principalement pensée pour libérer les flux économiques en Europe. Cependant, les risques auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui n’ont rien en commun avec ceux encourus il y a encore dix ans. Les différents événements ont mis en lumière un manquement en termes de sécurité mais aussi d’échange d’informations et encore davantage dans notre capacité à tirer le meilleur de ces informations. Le champ législatif européen avait besoin d’évoluer.
SH: Schengen a permis de réduire les budgets nécessaires à la surveillance des frontières internes, et notamment dans un contexte de crise financière. Les économies réalisées n’ont pas pour autant été suffisamment redirigées vers une modernisation des contrôles aux frontières externes et à l’échange d’informations internes (entre Etats membres). Les attentats terroristes perpétrés sur le sol européen ont fait réapparaître, ou ont du moins accéléré les débats quant aux frontières intelligentes ou «smart borders».
Est-ce que les technologies sont aujourd’hui assez abouties pour assurer la fiabilité des frontières intelligentes?
PP: Douze pays européens ont testé en 2016 différents dispositifs de contrôles biométriques dans leurs ports, aéroports, gares ferroviaires et frontières terrestres. Les premiers résultats sont concluants pour leur mise en place opérationnelle d’ici 2020.
L’idée générale est de mieux contrôler les entrées et les sorties dans l’Union européenne et il faut pour ce faire une plateforme unique à tous les pays membres. Il sera ainsi possible pour les autorités de connaître les lieux par lesquels un voyageur non-européen est entré et sorti en Europe, son historique de voyage et la durée de son séjour.
Jusqu’à présent, chaque pays élabore, compose et enrichit sa propre base de données. C’est un système qui a prouvé ses limites et notamment dans la lutte contre le terrorisme.
SH: Il faut éviter deux écueils: d’une part celui de la stagnation ; l’obsolescence de nos méthodes et de nos installations de contrôle et d’identification ne répondent pas aux risques actuels et à venir et, d’autre part, l’action face à la menace de manière isolée. Une des clefs pour appréhender efficacement ce défi, est de croiser les données pour rendre le système intelligent, mais également d’utiliser les dernières technologies (par exemple, la biométrie et l’automatisation comme les eGates), et ce, sous le contrôle de l’œil humain.
Les futurs systèmes d’entrée et sortie, de eVISA (ETIAS) ou de Passenger Name Record (PNR – les informations lors de l’achat du billet de train, du ticket d’avions, etc.) permettront de partager instantanément des informations vitales au niveau européen. Pour ce faire, chaque pays va devoir s’équiper tenant compte des disparités géographiques de son territoire (frontières terrestres, portuaires et aéroportuaires). Cela nécessitera des efforts importants de pays qui n’en n’ont pas forcément les moyens et de nombreux acteurs du secteur privé devront investir dans leurs infrastructures.
D’où le recours à la biométrie?
PP: Le recours à la biométrie est l’un des éléments qui constitue le puzzle général. C’est aussi un moyen jamais égalé pour vérifier une identité grâce aux empreintes digitales, la reconnaissance faciale, vocale ou de l’iris de l’individu. Ces informations sont enregistrées dans le passeport biométrique et seront comparées aux biométries des voyageurs étrangers aux postes frontières. En comparaison, la carte plastifiée, illustrée d’un nom, d’une date de naissance et d’une photo qui parfois date d’une décennie ou plus, apparaît comme une antiquité.
SH: La biométrie est aujourd’hui indispensable pour identifier avec un haut niveau de certitude et de rapidité les personnes entrant et sortant de l’espace Schengen; cela l’est aussi dans le cas de criminels ou terroristes recourant parfois à plusieurs identités. Dans d’autres cas de figures – par exemple la sécurisation d’un bâtiment où l’accès à l’information en interne -, l’utilisation de la biométrie tels que le portrait, la voix, les empreintes ou l’iris, permet d’augmenter considérablement le niveau de sécurité mais également le confort des utilisateurs, des clients, qui n’ont plus besoin, par exemple, de badges ou de mots de passe. A ce titre, l’utilisation du portrait comme biométrie pour accéder à ses informations, applications ou son espace de travail, va se généraliser très rapidement avec le déploiement de l’iPhone X et de Microsoft 10 (où ces technologies sont prévues par défaut comme moyen d’identification). PwC Luxembourg est au cœur de ces transformations en conseillant tant les autorités européennes, que nationales et les opérateurs privés à la fois sur le plan conceptuel et dans la mise en œuvre des technologies. Cette expertise unique s’exporte dans toute l’Europe et au-delà.