Un divorce politique, des objectifs communs

C’est dans sa résidence d’ambassadeur au cœur de la capitale que John Marshall a décidé de nous accueillir. Le diplomate a affiché un flegme si caractéristique aux britanniques tout au long de notre échange, acceptant volontiers de répondre à nos questions fâcheuses sur le Brexit avec autant d’honnêteté que lui permet sa fonction diplomatique. Portrait d’un homme dont les rêves d’adolescent sont devenus réalité.
 
 
Au creux d’un village blotti dans une des vallées peuplant les campagnes d’Oxford, le temps semble être suspendu. Les murets de pierres sèches y bordent les routes et les champs comme ils le faisaient déjà il y a des siècles. Dans une chaumière vieille de 450 ans, le cadet de trois enfants grandit dans une famille aisée et aimante. Fils d’un médecin thoracique et entouré de frères et sœurs dont la vocation était plutôt scientifique, le jeune John Marshall a très vite le sentiment de devoir suivre une autre voie et rêve déjà d’une vie qui le mènerait au-delà de ses campagnes natales.
 
Un souvenir ramené des savanes vallonnées du Kenya, des histoires se déroulant au cœur des terres sauvages de Tanzanie, une carte postale aux couleurs des paysages verdoyants du Rwanda,… il entrevoyait chacune de ces destinations au fil des récits de voyages de son oncle qui ont fait germer en lui la volonté profonde de découvrir le monde en dehors des limites du sien. A quinze ans déjà, l’adolescent qu’il était alors avait trouvé sa vocation: il serait diplomate.
 
 
Une histoire européenne
 
En 1950, c’est une Europe épuisée par les conflits sanglants l’ayant animée qui décide de prendre son destin en main. Ainsi, l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas créent une alliance économique et politique sous le nom de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Si le Royaume-Uni ne faisait pas partie de cette première vague d’adhésion à une alliance qui se voulait garante de la paix sur le territoire, la Grande-Bretagne n’a toutefois pas tardé à rejoindre les rangs de la Communauté lors de son premier élargissement en 1973.
 
En 1986, alors que l’Europe compte douze membres, l’acte unique européen est signé et débouchera quelques années plus tard sur la création d’un marché unique visant à faciliter les échanges au sein de l’Union européenne. C’est dans ce contexte qu’en 1988, à peine un an avant la chute du mur de Berlin, John Marshall débute sa carrière diplomatique au Foreign and Commonwealth Office (FCO), correspondant au ministère des Affaires étrangères britanniques. Dans la mesure où aucune formation n’existe en Grande-Bretagne pour préparer les diplomates en puissance à ce type de carrière, John Marshall y a beaucoup appris.
 
Le statut de diplomate amène avec lui l’opportunité de rencontrer des personnalités issues de milieux très différents. Membres de familles royales, prix Nobels, grands sportifs, hommes d’affaires; les rencontres prestigieuses n’ont pas manqué au cours de la carrière du diplomate, pourtant ce ne sont pas celles qui l’ont le plus marqué. Fidèle à la promesse qu’il s’était faite étant jeune garçon, John Marshall a beaucoup voyagé; il a été en poste à Tokyo, Kuala Lumpur, Addis-Abeba, au Sénégal, en Guinée-Bissau et au Cap-Vert avant de s’installer au Luxembourg. Dans ces pays, l’ambassadeur a été amené à côtoyer des citoyens aux coutumes et au quotidien bien éloigné du nôtre. «Ces personnes combattent la pauvreté, vivent dans des zones où l’accès à l’eau potable est réduit ou presque inexistant et ont des pratiques locales que les occidentaux pourraient qualifier de traumatisantes». Il rajoute: «Ce qui m’impressionne le plus est que malgré les malheurs rencontrés dans leur existence, ces personnes restent positives et semblent heureuses».
 
 
A la croisée des chemins
 
C’est avec 51.9% des voix en faveur du Brexit que la population britannique a clos le chapitre européen de son Histoire. Mais les 43 dernières années d’alliance avec l’Europe ne peuvent se dissoudre en un simple vote et les négociations concernant la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE battent leur plein depuis le 19 juin dernier. A l’horizon 2019, la Grande-Bretagne quittera l’UE, le marché unique et l’union douanière. Le gouvernement s’attèle également à convertir dans la loi britannique les lois existantes dans l’UE afin d’assurer une continuité législative au pays.
 
John Marshall reste toutefois confiant: «En nous séparant de l’UE, nous ne voulons pas tourner le dos à l’Europe. Nous souhaiterions que les coopérations que nous avions dans domaines tels que la sécurité, le commerce et le droit des citoyens européens et britanniques, par exemple, continuent après le Brexit. Nous voulons continuer à promouvoir les valeurs européennes et garantir ensemble sa sécurité et sa prospérité». La Grande-Bretagne entend s’éloigner politiquement de l’UE, mais leurs objectifs communs les pousseront toujours à trouver d’autres accords légaux et économiques.
 
Au fil des siècles et des conflits, la Manche n’a pas suffi à empêcher la formation d’une unité culturelle créée contre toute attente parmi une multitude de pays échoués sur un même continent. Il restera toujours des vestiges du mur d’Hadrien en Angleterre, un peu d’Aliénor d’Aquitaine dans les parcours de Louis VII et d’Henri II, ainsi qu’un brin de révolution française dans les écrits de Charles Dickens. Comme une promesse faite à une vieille amie, une petite voix semble entonner tout bas, sous le brouhaha assourdissant des négociations parfois houleuses, «You’ll never walk alone».

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