La disruption ou un paradis chimérique ?
Le Grand-Duché est un environnement propice à l’éclosion des FinTechs de par son expertise des marchés financiers et son éco-système ICT. Alors que certaines d’entre elles réussissent à bousculer les habitudes des institutions financières, d’autres n’arrivent pas à installer un modèle d’affaires pérenne. Pour qu’une startup réussisse, il ne suffit pas qu’elle soit disruptive, encore faut-il qu’elle génère de l’innovation disruptive! En tant qu’acteur technologique, EBRC a déjà accompagné plus d’une trentaine de FinTechs. Son CEO, Yves Reding, nous livre sa vision du marché.
Altérations et révolutions
Yves Reding se souvient du temps de la démocratisation de l’informatique avec les premières technologies de rupture, telles la micro-informatique ou l’interface utilisateur conviviale Apple dans les années 80. « Les technologies digitales sont au cœur de la 3ème révolution industrielle. L’accélération technologique digitale que nous connaissons depuis lors est exponentielle. Cette 3ème révolution industrielle, celle d’un monde Smart, et cette 4ème révolution industrielle attendue d’ici la fin du siècle, sont nettement plus disruptives que les vagues précédentes, caractérisées par les technologies d’exploitation de la vapeur (1ère) et par la maîtrise de l’électricité (2ème). »
Pour le CEO, il est temps de prendre conscience que la technologie est devenue un système autonome qui conduit le monde. La domination technologique n’en est qu’à ses débuts et ce sont les générations futures qui hériteront des conséquences de nos actes, positives et négatives, prévues et imprévues, telle qu’une potentielle fusion homme-machine. L’idéologie technicienne aura un impact majeur sur les plans sociaux, économiques, culturels, moraux et humains.
De la même façon que les fiacres équestres ont été remplacés par les automobiles, les technologies digitales amèneront leurs lots de transmutations. Les taxis supplantés par la voiture autonome, les opérations chirurgicales robotisées, les diagnostics médicaux algorithmiques, c’est pour 2025!
Dans divers secteurs clés, c’est la Technologie qui donne la cadence de l’évolution humaine. Le monde est en voie d’être dominé par les algorithmes. Aujourd’hui déjà, il est, par exemple, de plus en plus difficile de trouver des informations objectives et neutres, qui ne soient pas influencées par des recherches antérieures ou par des profilages ou des analyses comportementales. Ainsi, la presse connait également une rupture qui pourrait mettre en péril ses fondements de liberté ou d’objectivité. Le journaliste de demain sera-t-il un robot ? Dès lors, comment éviter cet inéluctable glissement vers une société qui serait dominée par les algorithmes, le Big Data et l’intelligence artificielle?
Yves Reding prône les contrepoids indépendants et les cadres législatifs qui encadrent les évolutions. Le règlement européen sur la protection des données (GDPR) démontre qu’il est possible de réguler, de mettre des garde-fous ou de remettre l’Homme au cœur du monde digital. Il est vital pour les démocraties de maîtriser la Technologie et ses impacts.
« Disruption » versus « Innovation disruptive »
L’accélération technologique pousse également notre société vers de nouveaux business models disruptifs, innovants ou non. Si la disruption est toujours une bascule, elle ne génère pas forcément de l’innovation. Clayton Christensen (Harvard Business School) définit l’innovation disruptive selon cinq critères incontournables (« The Innovator’s Dilemma », 1997).
- L’accessibilité améliorée: le produit ou le service réservé jusqu’alors à une élite se démocratise et devient accessible pour de nouveaux clients.
- La simplification: le disrupteur cible un groupe réduit de nouveaux clients ou considérés comme non rentables, avec un service à moindre coût mais pas forcément plus efficace.
- De faibles marges: le disrupteur entre dans le marché par le bas de gamme, en améliorant continuellement le produit ou service tout en gardant une structure à bas coûts.
- La compétitivité: les nouveaux produits ou services lancés ne sont pas vus comme des menaces par les acteurs en place.
- L’accélération technologique: le produit ou service devient soudainement attractif grâce à une révolution technologique.
Dès lors, si Tesla est réellement innovante dans son activité de batteries et de stockage d’énergie, pour ses véhicules électriques, elle n’invente pas de nouveaux produits, elle les améliore simplement. Tesla ne s’ouvre pas à de nouveaux marchés et ne cible que les clients existants du haut de gamme automobile. À l’inverse, Airbnb propose un nouveau marché abordable, que les hôtels n’ont pas vu comme une menace et cela via des applications technologiques qui améliorent le service.
«Si les jeunes pousses FinTechs qui proposent des technologies financières sont disruptives dans le sens où elles proposent de nouveaux business models dans le secteur financier, une très faible minorité d’entre elles font réellement de l’innovation disruptive. D’un point de vue stratégique, une FinTech a intérêt à élaborer et à proposer un business model qui répondra le plus possible à ces cinq critères d’innovation disruptive, car cela lui permettra de se placer en position de quasi-monopole sur le marché. »
À nos FinTechs!
Le Luxembourg a pour ambition d’accompagner les mutations du secteur financier au point que certains pensent que l’écosystème actuel sera, à terme, remplacé ou dominé par les FinTechs.
La banque d’hier et d’aujourd’hui, c’est encore un immeuble imposant, un lieu de dépôt sécurisé, muni de guichets où se rend le client. La banque du futur est une banque virtuelle, axée sur la mobilité, la connectivité, l’interopérabilité, le Big Data, les services personnalisés, voire l’abolition des frais bancaires.
Les banques disposent d’un actif considérable de la confiance du client et de l’accès à leurs données personnelles, qu’elles vont exploiter afin de les monétiser. Par une meilleure exploitation des données, elles pourront par exemple mettre des crédits aux enchères.
Mais la seconde directive sur les services de paiement (DSP2) portant, entre autres, sur l’agrégation des données bancaires, ouvre également ces nouvelles opportunités aux FinTechs. La disruption dans le monde bancaire et financier, poussée par la Technologie, sera telle qu’il faudra réguler les FinTechs au niveau mondial afin de prévenir tout nouveau risque systémique économique.
EBRC a soutenu plus d’une trentaine de FinTechs depuis 2011. Certaines ont dû abandonner. Elles n’étaient pas dans la disruption innovatrice. Le succès repose tant dans l’innovation du business model que sur l’innovation technologique. Par contre, être purement dans une logique «Technology Push», penser que seule l’innovation technologique va amener le succès est un leurre. Il est vital d’être en phase avec le marché et d’anticiper les besoins des clients («Market Pull»).
Chaque FinTech est unique et fait progresser l’écosystème permettant l’émergence d’une industrie vivifiante. Cette expérience est partagée chez EBRC avec de nombreuses start-ups et clients dans le cadre du programme « Powered by EBRC ».
Actuellement, EBRC met en œuvre le volet ICT d’une nouvelle banque mobile qui répond majoritairement aux cinq critères susmentionnés. D’ici la fin de l’année, un acteur européen avec 20 millions d’utilisateurs captifs potentiels leur proposera une technologie simplifiée, à faible coût, qui améliore l’accessibilité.
La nécessité de piloter la disruption
Le monde évolue très vite, tiré par la Technologie qui nous fascine, nous acceptons qu’elle mène la danse. La Technologie ne devrait rester qu’un outil, un moyen fantastique, non une finalité en soi. La place financière va connaître la disruption. Sera-t-elle innovante ? Générera-t-elle de la valeur pour l’écosystème ?
Non seulement la disruption doit être pilotée, mais elle doit être guidée par l’innovation et la création de valeur. D’autre part, la technologie et ses effets doivent être maîtrisés car elle est devenue autonome et n’est plus neutre.
Bonne nouvelle pour la disruption FinTech: la Commission européenne devrait émettre des lignes directrices d’ici la fin de l’année 2017.
Pour accompagner cette troisième révolution industrielle, la disruption pré-programmée du secteur financier, ainsi que pour maîtriser les technologies digitales, il est vital pour le Luxembourg de se doter de compétences digitales de haut niveau ainsi que d’un écosystème ICT riche, de classe européenne.