In varietate concordia

Avec beaucoup de philosophie et d’enthousiasme, l’ambassadeur de Belgique, Thomas Antoine, nous a à la fois ouvert les portes de son passé et de son bureau, le temps d’une interview à peine. Retour sur le parcours mouvementé d’un homme, d’un philosophe, d’un professeur et enfin d’un diplomate.
 
L’unité dans la diversité
Si les voyages étaient une histoire de famille, la diplomatie s’est quant à elle frayé un chemin dans sa vie tout à fait par hasard. Quand il était petit, il voulait devenir agronome, comme son père et son grand-père avant lui. Rêvant de semer les graines d’un monde plus accueillant, il voyait son père voyager régulièrement pour les besoins de son travail et n’avait qu’une hâte: pouvoir s’envoler à son tour.
Travaillant comme étudiant pour la compagnie aérienne Sabena afin de financer ses études en Philosophie et Lettres, il saisit très vite l’opportunité qui lui est offerte de parcourir le monde. Mexique, Indonésie, Japon,… rien ne l’arrête dans sa quête de la diversité culturelle. «En répondant aux grandes questions qui se posent à tous, la philosophie présuppose l’unité du genre humain», nous explique le philosophe. Et l’étudiant qu’il était a pu constater que cette unité se révélait dans une grande diversité; aujourd’hui, il n’a perdu aucune de ces considérations de vue.
Un beau jour, son frère entend à la radio une annonce invitant à participer à un concours diplomatique et pense immédiatement à lui. La suite, nous la connaissons: Thomas Antoine passe le concours et débute sa carrière d’ambassadeur.
 
Une question de sens
Il garde un souvenir ému de son expérience de professeur de religion et de philosophie: «Enseigner, c’est relever un défi de communication» dit-il en souriant, et finalement, être ambassadeur, c’est un peu le même combat. «La religion est un questionnement auquel personne n’échappe; tout le monde est en quête de sens et il faut éclairer cette démarche par l’intelligence. La dialectique, les échanges et la critique qui nous permettent d’avancer dans notre cheminement sont des procédés similaires que je dois appliquer dans mes dialogues au quotidien» nous explique-t-il. Ne niant pas les dimensions technocratique et juridique inhérentes à son métier, il gère les conflits avec stratégie et empathie, en veillant toujours à se mettre à la place de son interlocuteur pour le comprendre. Et cette qualité, il l’a cultivée au cours de ses études.
Père d’une famille nombreuse, celle-ci l’a beaucoup aidé à garder les pieds sur terre. «Quand on a la responsabilité de beaucoup de vies, il faut trouver des solutions humaines» nous dit-il avec beaucoup de bienveillance. Être responsable d’une famille l’a rendu sobre et réaliste et lui a permis de maintenir le souci de l’humain à la tête de ses priorités.
 
Un européen convaincu
Prochainement se tiendra le sommet de Rome commémorant les 60 ans de la fondation de l’Union européenne et l’ancien directeur des relations bilatérales avec l’Europe du Sud-Est nous avoue alors craindre une nouvelle crise des Balkans. Selon lui, l’enjeux principal de ce sommet sera de rendre à nouveau l’Europe désirable; il faudra remontrer l’unité européenne suite au Brexit et rendre visible ses bienfaits. «Dans les Balkans, j’ai pu faire l’expérience d’une Europe sans l’Union européenne où les pays sont restés empêtrés dans leurs rancunes et leur nationalisme et ont donc des relations mutuelles très problématiques» confie-t-il. Or, à l’heure actuelle l’Europe ne peut pas se permettre un repli sur elle-même et devra donc reconquérir les opinions et relancer la dynamique de coopération dans cette région.
 
«Je respecte la séparation des pouvoirs»
Sur un autre front, la crise migratoire à laquelle l’Europe doit faire face ne lui laisse aucun répit. La Cour européenne de justice a récemment donné raison à la Belgique dans l’affaire des visas humanitaires, il est donc maintenant décidé que les postes diplomatiques n’auront pas à délivrer de visas humanitaires et l’ambassadeur respecte cette décision. «Je pense que tout en respectant le droit d’asile, nous devons avoir le courage politique de ne pas accueillir tous les réfugiés économiques. Nous ne pouvons pas ouvrir trop grandes les portes de l’Europe, ce serait irresponsable; nous devons être généreux dans la mesure de nos moyens et ne pas accepter d’accueillir une population que nous ne pourrions pas intégrer à notre structure économique et sociale. Dans l’idéal, il faudrait prendre le problème à sa source en résolvant les conflits au Moyen-Orient et en relançant l’économie locale par le biais de l’aide au développement».
 
Du LUX au BENELUX
Au cours de ces dernières années, Thomas Antoine aura dû s’attaquer à des sujets sensibles tels que la fiscalité ou la mobilité, dossier qu’il ne sera malheureusement pas parvenu à résoudre et qu’il transmettra à son successeur. Récemment proposé à la fonction de Secrétaire général du BENELUX, il vit les derniers moments de son mandat d’ambassadeur. Cette nomination s’inscrit dans le courant d’autres changements majeurs survenus à la gouvernance de la BNB et à la Cour européenne de justice afin de garantir un équilibre entre les différents partis et langues de Belgique. «En tant que belge et européen, je suis toujours perplexe devant ces dosages. Le service public transcende les rôles linguistiques et les partis. Je pense que lorsqu’on est amené à être juge à la Cour européenne de justice, être flamand ou francophone n’a plus aucune importance. Goethe disait qu’il fallait donner aux enfants des racines et des ailes, il est donc important de ne pas avoir que des racines, il faut avoir des ailes pour aller vers l’altérité». Thomas Antoine est très enthousiaste à l’idée de relever ce nouveau défi car, pour lui, l’Europe doit être crédible et cela dès sa plus petite échelle. En Belgique, au BENELUX et en Europe, il faut être unis dans la diversité comme le veut la devise de l’Europe «In varietate concordia».    MC

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