Se réinventer pour mieux entreprendre
En tant que fournisseur de services, EY Luxembourg se donne pour devoir de supporter l’environnement économique du pays, entre autre via le prix de l’Entrepreneur de l’Année remis à Claude Wagner en décembre dernier. Yves Even, Entrepreneurship and Family Business Sector Leader, nous trace l’esquisse du paysage entrepreneurial grand-ducal, abordant les réussites actuelles du secteur mais aussi les défis pour son avenir. Interview.
Qu’est ce qui a fait la différence pour le lauréat de cette année, face aux autres finalistes?
Lorsque vous le comparez aux vainqueurs des éditions précédentes – Nicolas Buck (2004), Abbas Rafii (2006), Jacques Lanners (2009) et René Elvinger (2013) – vous lui trouvez un point commun avec ces individus: un incroyable esprit d’entreprise, pétri de prise de risques et de sens des bonnes affaires. Voilà la base commune qui existe entre tous ces lauréats. Claude Wagner en est une belle illustration, poursuivant continuellement des investissements ambitieux qui lui réussissent.
Il est tout de même un spécimen particulier vu son histoire. Banquier à l’origine, il s’est lancé dans l’entrepreneuriat à partir de rien. Il faisait déjà partie des finalistes lors de notre première édition, en 2004, dirigeant une seule société à l’époque. Il a bâti son empire de 800 personnes au travers d’une vingtaine d’entreprises en bricolage et sport. Il est devenu un incontournable du paysage économique luxembourgeois. Son groupe se développe toujours car Claude Wagner a encore des projets en tête pour de nombreuses années. C’est ce dynamisme qui a surtout impressionné le jury indépendant qui l’a choisi.
Seulement une femme dans le palmarès des finalistes… Comment les attirer vers l’entrepreneuriat pour une meilleure représentativité?
Une femme sur six finalistes, ce n’est pas suffisant. Cependant, sur l’ensemble des participants à cette édition, un tiers des concurrentes étaient des femmes. Lors de la précédente édition, en 2013, elles n’en représentaient qu’un cinquième! On voit une évolution positive au fil des années, et vu l’énergie des prétendantes lors des présélections, il faut s’attendre à un meilleur chiffre au prochain concours.
L’environnement économique grand-ducal a changé et les femmes y occupent de plus en plus de terrain. Notre société a évolué: aujourd’hui, il n’y a plus de différence entre hommes et femmes face à la possibilité d’être entrepreneur. La génération des décideurs actuels a grandi avec des femmes cheffes d’entreprise et ne fait plus de distinction. Des initiatives ont été prises; du côté public pour les libérer du carcan traditionnel, et du côté privé pour mettre en valeur celles qui font figure de modèle de réussite. Là où le bât blesse encore, c’est au sujet des modes de travail. Les entreprises doivent s’interroger sur la manière de rendre leur quotidien encore plus flexible. Que ce soit à l’avantage des femmes comme des hommes, le temps de travail doit pouvoir être organisé de façon plus personnalisée. Les nouvelles technologies permettent plus de télétravail, de vidéoconférence, de souplesse horaire avec des conditions de travail plus agiles…
Si nous poursuivons dans cette direction, il y aura à l’avenir plus de femmes finalistes et j’espère surtout en voir une bientôt remporter le prix!
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les entrepreneurs à l’heure actuelle?
Le premier souci, c’est le financement. Cette situation est vraiment difficile pour les jeunes entreprises. Pourtant, le Luxembourg dispose d’un environnement riche en mécanismes d’investissement, mais ceux-ci se tournent souvent vers des sociétés confirmées. Prenez l’exemple de Claude Wagner; vu son succès, il dit recevoir aujourd’hui des prêts «même sous la douche». Il a eu plus de mal pour se voir accorder son premier financement à ses débuts…
Deuxième problème rencontré: la qualification des personnes. Toute entreprise rencontre un jour une pénurie dans les compétences désirées. Malgré les efforts actuels, comme la stratégie Digital(4)Education qui fait côtoyer la révolution digitale aux étudiants dès le lycée ou encore la volonté d’attirer des étudiants étrangers vers l’Uni.lu, notre système éducatif actuel n’arrivera jamais à répondre avec la rapidité requise aux évolutions du marché. Il nous faut collaborer avec d’autres universités et avec les acteurs des métiers eux-mêmes pour répondre aux besoins actuels, mais aussi à ceux du futur.
Troisième volet: la simplification administrative. Les entrepreneurs qui souhaitent établir un business ou changer d’activités se heurtent à un mur administratif, surtout à l’aube de leur carrière. Les gouvernements successifs en font une priorité mais c’est un objectif compliqué à atteindre car les intervenants en place sont nombreux et il est ardu de tous les aligner.
Le dernier point est à la fois une difficulté mais aussi une opportunité pour les entrepreneurs. Dans le passé, un chef d’entreprise développait un produit ou service qu’il allait vendre pendant sa carrière entière. Un chauffagiste, par exemple, avait un contrat avec une marque et en distribuait les produits sans se remettre en question. De nos jours, pour ne pas faire faillite, les installateurs doivent se renseigner sur les modes de production locale d’énergie, les capteurs électroniques, les chaudières intelligentes,… Il faut maintenant aux compagnies constamment se réinventer pour survivre et tous les domaines d’activités sont concernés. Les modèles d’affaires changent sur des laps de temps très courts et le rythme d’adaptation est bien plus élevé qu’auparavant.
Notre pays a-t-il atteint le statut de « startup nation »?
Je crois que nous sommes sur la bonne voie. Regardez cinq ans en arrière, il n’y avait rien excepté une ligne budgétaire. Actuellement, différents incubateurs publics et privés se sont développés sur cette scène comme le Technoport, LuxFutureLab ou Nyuko. De plus, certaines startups comme Talkwalker ou Digicash se sont épanouies et elles ont quitté le statut de jeunes pousses. Les résultats sont là: l’environnement luxembourgeois favorise bien la création de ces entreprises.
Selon moi cependant, le pays n’a pas atteint le stade de « startup nation ». Même si le mouvement est lancé, les exemples de sociétés ambitieuses qui ont réussi sont trop rares. Par ailleurs, le Grand-Duché n’est pas encore assez attractif car ses outils incitatifs ne sont pas aboutis. Il nous faut observer les exemples du Canada, d’Israël ou de Singapour pour atteindre l’étape suivante dans le développement de notre approche startup. Et il faut le faire rapidement si nous voulons rivaliser avec ces lieux qui ont plus d’expérience et attirer les entrepreneurs et les investisseurs au Luxembourg. SoM