Quel régime pour la propriété intellectuelle?

KPMG Luxembourg

La propriété intellectuelle d’une entreprise a trait à son capital immatériel. Comme tout capital, elle est imposée selon un régime adapté. A l’heure actuelle, cette fiscalité du patrimoine créatif traverse une révolution au Luxembourg, comme dans bien d’autres pays européens. Un nouveau modèle à l’approche davantage tournée vers l’innovation émerge; c’est ce que nous explique Philippe Neefs, Tax Partner chez KPMG Luxembourg, en insistant sur la participation de cette fiscalité au développement général de l’économie grand-ducale.

La fiscalité des droits intellectuels au Luxembourg subira bientôt un profond bouleversement. Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionnait le régime jusqu’alors?

Depuis 2008, les entreprises qui nous sollicitaient pour répondre à leurs interrogations sur la propriété intellectuelle au Luxembourg étaient principalement des sociétés non-établies dans le pays et qui souhaitaient s’y installer. La raison: le Grand-Duché disposait d’un régime fiscal très favorable – nommé I.P. Box Régime – en matière de détention et d’exploitation de droits de propriété intellectuelle. Ce système comportait des similitudes avec les normes belges et néerlandaises. Il donnait notamment le même avantage d’une exemption d’impôt à hauteur de 80% sur les revenus courants et exceptionnels de propriétés intellectuelles qualifiantes. Mais le Luxembourg disposait d’un atout supplémentaire par rapport à ses voisins européens: une largeur plus grande du spectre des divers droits qui en bénéficiaient. Etaient concernés non seulement les brevets, mais également les marques, les noms de domaine, les dessins et modèles, ainsi que les droits d’auteur sur logiciels.
Le marché utilisait ce régime intéressant principalement pour des droits de propriété intellectuelle passifs (les “trademarks”)… Raison pour laquelle le Luxembourg a été critiqué dans le cadre d’une analyse d’impact à la règlementation de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques.

Suite aux travaux de l’OCDE (Action 5 des rapports BEPS (Base Erosion & Profit Shifting), un nouveau régime s’impose dans divers pays tels que l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique. Qu’en est-il de son implémentation au Luxembourg?
Effectivement, une approche nommée «Nexus» doit remplacer tous ces régimes fiscaux favorables à daté du 1er juillet 2016. En accord avec l’OCDE, le Grand-Duché a décidé de mettre un terme à son ancien modèle à partir du 1er juillet 2016, comme cela a été annoncé dans la loi de décembre 2015, tout en permettant aux anciens entrants de bénéficier de l’ancien régime jusqu’au 30 juin 2021.
L’approche «Nexus»  vise à analyser les dépenses encourues par un contribuable en matière de recherche et développement pour évaluer l’activité qui pourra bénéficier d’un régime de taxation favorable.
A la date d’aujourd’hui, nous ne disposons malheureusement pas pour le moment d’un tel régime favorable.

Quelle en sont les conséquences?
La propriété intellectuelle est actuellement l’actif le plus important pour une société, qu’elle soit une PME ou une grande multinationale. La valeur de l’entreprise se trouve dans ses brevets qui lui permettent de se protéger vis-à-vis de la concurrence mais également dans son nom ou ses modes opératoires (pensez à Google ou Amazon, par exemple).
Il est donc primordial qu’endéans un délai court la lumière soit faite. Vu que les investisseurs ont besoin de certitude, le Luxembourg risque de ne plus apparaître sur le devant de la scène au regard des lieux choisis par les entreprises pour renforcer ou instaurer de nouvelles activités ayant trait à la propriété intellectuelle. Le Grand-Duché ainsi désavantagé pourrait voir des firmes internationales soit décider de ne pas s’établir dans le pays; soit, pour les sociétés déjà établies, de développer leurs projets ailleurs.
Comment se définit le régime fiscal de type «Nexus»?
Il vise à ce que l’imposition des bénéfices issus d’un actif de propriété intellectuelle tel que les brevets soit alignée avec la substance nécessaire au vu de la chaîne de création de valeurs. Il implique donc que pour bénéficier d’un régime favorable de taxation de droits intellectuels qualifiants, l’entreprise prouve un lien avec une activité de recherche et développement, sur le territoire ou tout du moins au travers de la même entité. Les questions à se poser sont donc: la société a-t-elle des coûts de recherche et développement? Ces coûts sont-ils bien en relation avec les droits de propriété intellectuelle qui pourront bénéficier de ce régime?
Ce nouveau système de taxation des activités de droit intellectuel devra avoir pour objectif d’exempter une partie de la base imposable, cela en vue d’attirer des activités de recherche et développement principalement développée et gérée sur notre territoire. Ainsi, les Etats sont poussés à se doter de centres d’innovation.
Nous sommes nombreux à penser qu’il serait bon de coupler le futur régime «Nexus» avec un régime de taxation avantageux qui viserait à favoriser la phase précédant l’exploitation des droits de propriété intellectuelle. En la matière, on peut se tourner vers l’exemple français des crédits d’impôt à la recherche et au développement qui fonctionnent très bien, dans certaines limites.

Quels sont vos conseils pour l’avenir du domaine?
Il faut garder plusieurs choses à l’esprit. Premièrement, il faut que la politique future soutienne la position du pays à l’échelle de la concurrence européenne et mondiale, bien entendu dans le respect des règles établies (par l’Europe et l’OCDE). Deuxièmement, l’outil fiscal doit être utilisé pour favoriser l’investissement. Et troisièmement, ce modèle fiscal doit s’intégrer dans une politique plus large d’aide cohérente à l’innovation. C’est dans ce cadre que, par exemple, la fusion entre Luxinnovation et Luxembourg for Business est idéale en vue de la promotion du Grand-Duché comme un centre pour la recherche et le développement. Notre pays a clairement déterminé quels sont ses axes d’essor prioritaire: la FinTech bien entendu, mais également la biotech, la logistique et le domaine aérospatial. Il faut donc poursuivre cette approche globale de l’innovation pour appuyer l’économie luxembourgeoise, tout en considérant l’aspect fiscal comme l’un de ses éléments d’attraction, mais pas le seul!
Le Luxembourg a toujours été et sera encore un pays pragmatique. Le marché a confiance dans les capacités du pays à trouver dans sa boîte à outils des pistes de réflexion afin d’attirer les activités de recherche et développement. Nous sommes convaincus que le Luxembourg pourra bien se positionner dans cet échiquier.

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