Le bio ou la transparence du vert

Dans l’économie de marché adoptée par tous les pays européens, l’agriculture s’est au fil des décennies industrialisée. Production à perte, recours aux pesticides, sécheresses, concurrence internationale: les difficultés et problématiques sont nombreuses et la nébuleuse n’épargne pas les productions biologiques ou biodynamiques pourtant seules vertueuses. En attendant des réponses de Bruxelles ainsi que des positions claires des différents gouvernements, interview sans concession avec Änder Schanck, directeur du groupe Oikopolis.
 
Pouvez-vous nous présenter le groupe?
C’est un projet qui a débuté en 1988 avec notre association agricole «BIOG» qui regroupe des cultivateurs biologiques et biodynamiques du Luxembourg. Au fil des années, nous avons réussi à construire une économie structurée et axée sur la collaboration. Nous avons implanté notre premier magasin «NATURATA» au Rollingergrund à Luxembourg-Ville et à ce jour nous en comptons dix dont trois boutiques fermières sur tout le territoire national.
Outre les boutiques fermières susmentionnées, le groupe OIKOPOLIS compte sept «NATURATA Bio Marchés» plus un magasin en ligne, à savoir NATURATA Bio@home. A quoi s’ajoute BIOGROS SA, notre grossiste dont la tâche est – entre autres activités – d’aller chercher les denrées chez les producteurs afin d’approvisionner nos magasins. OIKOPOLIS Participations SA regroupe à la fois des cultivateurs, des collaborateurs mais aussi des clients qui participent à son capital. Notre valeur guide est de proposer des produits biologiques qui sont dans la mesure du possible locaux.

«BIOG» est également une marque?

Oui, une marque sous laquelle nous vendons nos propres produits dont le lait qui a récemment fait parler de lui. Nous travaillions autrefois avec Luxlait mais avons pris depuis peu notre indépendance. Nous avons maintenant notre propre laiterie à Bascharage et proposons du lait 100% luxembourgeois distribué uniquement au Luxembourg avec «frësch Bio-Vollmëllech» et «frësch Bio-Mëllech 1,5% Fett».
Nos dix producteurs doivent répondre aux normes biologiques. Ils sont donc certifiés Bio au niveau européen, mais aussi selon les critères plus strictes de Bio-Lëtzebuerg. La chaîne de valeur comprenant l’herbe, les vaches laitières, la production, le transport et les consommateurs forme un circuit fermé qui peut être considéré comme icône de l’exploitation biologique.
Pourquoi avoir choisi cette indépendance?
La libéralisation des quotas a entrainé une baisse des prix du lait excepté celui des productions biologiques qui a augmenté. Le problème résidait dans l’excédent de lait biologique qui était injecté dans le lait conventionnel au prix du marché du lait conventionnel. Cependant la production du lait biologique coûte plus cher que la production classique et plus la différence de prix entre le conventionnel et le bio se creusait, plus les pertes étaient importantes. L’indépendance nous permet de vendre l’excédent de lait biologique à une laiterie bio en Belgique et donc de rémunérer correctement les producteurs.
Nous produisons du lait, fromage et fromage blanc et bientôt des yaourts et de la crème, 100% biologiques et 100% luxembourgeois.
Un reportage sur France 2 a récemment dénoncé la production de soja et notamment en Argentine qui utilise le pesticide glyphosate. Depuis 20 ans, les cas de malformations de nouveaux nés et de cancers ont explosé dans les régions agricoles argentines. Ce soja riche en protéines est importé en Europe afin de nourrir nos vaches laitières. Le journaliste d’Envoyé Spécial s’est procuré les rapports sur lesquels les autorités sanitaires européennes se sont basées et presque tous proviennent des industriels du glyphosate. Dans ce contexte, l’agriculture biologique est-elle la seule à garantir une évaluation indépendante?
Dans les moyens de contrôles (très réduits dans l’agriculture conventionnelle) il faudrait regarder le processus de production et non seulement le résultat. Parce que même un produit provenant d’une exploitation biologique peut avoir été contaminé par l’air ou via les nappes phréatiques polluées. Ainsi, on peut éventuellement trouver des résidus à très petite quantité dans le produit final.
Le bio est cependant, l’unique garantie d’une production sans engrais chimiques, ni pesticides, ni OGM; les contrôles sont réguliers et effectués par des instituts indépendants. Chez nous, la certification EU-BIO est le standard minimum mais nous favorisons les produits qui remplissent les critères plus stricts comme ceux de l’asbl «Bio-Lëtzebuerg – Vereenegung fir Bio-Landwirtschaft Lëtzebuerg».
Participez-vous à l’économie circulaire?
En effet, on favorise les produits de l’agriculture biologique nationale et régionale. Cependant, le Luxembourg étant petit, il peut en effet arriver qu’on ait besoin d’importer des produits bio de l’étranger quand ceux-ci ne sont pas disponibles en quantité suffisante ou qu’ils ne peuvent pas être cultivés dans nos régions. L’importation de ces produits se fait alors par BIOGROS SA.
Nous veillons à n’exporter que l’excédent de notre lait bio car nous souhaitons servir le marché régional. Quant à la structure circulaire de notre cycle de production (voir image), elle se déduit plutôt des idéaux de l’agriculture biologique qui influencent aussi notre aspiration vers l’économie durable.
Cela veut dire que vous êtes attachés à l’économie responsable…
Oui, car dans la chaîne de valeur ajoutée de l’économie de marché standard, chacun cherche à optimiser son domaine et la pression est toujours mise sur le producteur. Voilà pourquoi nous réunissons les différents acteurs autour d’une table ronde afin de favoriser le dialogue entre les producteurs, les consommateurs, le détaillant, le grossiste et la laiterie. Chacun des participants peut protéger et défendre ses propres intérêts mais en étant à l’écoute des autres et en ayant connaissance de la situation globale, alors chaque perspective individuelle se relativise. Notre objectif est la transformation et la commercialisation des produits de nos membres agricoles et les prix corrects sont obtenus moyennant une coopération entre les différents acteurs.
Nous sommes également les premiers à Luxembourg à nous soumettre aux audits de «Gemeinwohl Ökonomie» (ndlr: l’économie du bien-être commun). Ces audits vérifient à la fois les finances mais également les aspects sociaux et environnementaux relatifs à la RSE ainsi que les fonds et les produits avec lesquels on travaille. Nous y avons reçu l’un des meilleurs scores.
 

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