Une startup luxembourgeoise, future licorne de la FinTech?
L’APSI, ou Association des Professionnels de la Société de l’Information, est l’organisation patronale active dans les domaines des TIC au Grand-Duché. Existant depuis l’année 2000, elle compte aujourd’hui 78 membres dont elle défend les intérêts. Son président, Jean Diederich, nous dresse dans cette interview un tour d’horizon de ses fonctions et également un aperçu des inquiétudes liées au revers de la médaille FinTech.
Quels sont les critères pour rejoindre l’APSI?
Nos membres sont des entreprises ou organisations dont les activités sont liées aux systèmes d’information, au digital ou à l’informatique. En majorité, ils sont fournisseurs de services, d’applications ou de conseils, mais aussi des startups. Des receveurs de ces services – qui eux-mêmes développent de grandes activités liées – sont représentés également. Et finalement, on retrouve des associations telles que XBRL (eXtensible Business Reporting Language) ou la House of Training. Nous sommes liés à la CLC et demandons une cotisation spécifique annuelle pour l’appartenance à l’APSI.
Que faites-vous pour vos membres?
Nous avons décliné les quatre lettres de notre nom en quatre fonctions.
La première: Amplifier les voix des acteurs du secteur digital au Luxembourg. Nous rassemblons et relayons les critiques, propositions et projets aux autorités publiques, de sorte à favoriser un développement économique durable. Par exemple, nous avons lancé un groupe de travail qui se nomme Secure Luxembourg. Il a pour ambition de créer un label de qualité pour les sociétés digitales du pays. Nous avons positionné ce projet aux yeux du gouvernement parce que le secteur tient beaucoup à la création d’un label neutre. Il sera très utile pour répondre à certains appels d’offre européens qui exigent ce genre de certification.
La mission suivante est de Promouvoir les intérêts de la branche, aussi bien auprès des décideurs, des investisseurs, que des clients. Nos cycles de séminaires réguliers sont appelés APSI Days. En 2016, nous continuerons notamment à travailler sur la thématique de la FinTech. Vu que de nombreuses organisations font déjà venir des interlocuteurs de pays étrangers, notre objectif est de promouvoir le volet luxembourgeois de cette matière en invitant des startupers locaux. Ainsi, nous encourageons un dialogue entre les acteurs traditionnels et le jeune univers de la FinTech.
Notre troisième tâche est de Sensibiliser le marché luxembourgeois et de la Grande Région, ses acteurs économiques et politiques, ainsi que la société civile aux thématiques de notre secteur. Nous communiquons sur les enjeux importants, que ce soit au niveau technologique, politique ou éducationnel, et sur l’influence des technologies envers la compétitivité. Ainsi, nous œuvrons entre autres sur la difficulté de faire du recrutement en informatique. Nous avons notamment haussé la voix face à la problématique de la Blue Card – ou Carte Bleue européenne – au Luxembourg. Celle-ci est nécessaire à un ressortissant de pays tiers (non membre de l’UE) pour séjourner au Grand-Duché en tant que salarié hautement qualifié et engendre des contraintes financières injustes. En effet, dans le secteur privé si vous embauchez un jeune programmeur provenant d’une université de la Grande Région, vous paierez un certain prix. Si vous souhaitez engager un Biélorusse ou un Ukrainien, cela vous coutera presque 20.000 euros de plus. En conséquence, le prix pour importer un talent, comme un jeune expert en informatique, est bien trop élevé pour une startup aux ressources limitées.
Notre quatrième et dernière fonction est d’Informer nos membres. Nous leur donnons des renseignements d’intérêt général, mais aussi des nouvelles plus spécifiques liées par exemple à l’évolution des réglementations ou encore à leurs droits et devoirs. Nous relayons tout cela sur notre site internet: www.APSI.lu.
Qu’est-ce que le Flagship Award?
Le prix que nous décernons une fois par an. Cette distinction récompense une entreprise qui, via des technologies de l’information et de la communication, contribue au progrès économique du Grand-Duché. Il est donc attribué à une société indissociablement liée au digital ou à l’informatique. Prenons l’exemple du gagnant de 2014: Flibco, un service de transport en navettes vers les aéroports. Ses bus existent bien matériellement, mais cette société ne ferait pas de business sans vente de billets en ligne. La plateforme digitale génère des revenus et des emplois grâce à l’informatique. Le gagnant de 2015 est une startup nommée Mangopay, véritable FinTech locale. Peu après la réception de son prix, cette société s’est fait racheter par le Crédit Mutuel Arkéa pour plus de 50 millions d’euros, preuve que nous avions sélectionné le meilleur acteur du marché.
Combien d’entreprises sont touchées par l’univers de la FinTech au Luxembour?
Les véritables sociétés FinTech qui respectent la définition première du terme, «faire des activités bancaires, sans banque», sont très peu nombreuses. Par contre, les entreprises qui ont des occupations technologiques de support pour les banques sont légion. La confusion est très fréquente quant à ces firmes qui éditent des logiciels et fournissent leurs services aux organes financiers. Au Luxembourg, j’estime ce type de sociétés à une trentaine. Les plus grandes sont établies dans le secteur des paiements. En effet, dès 2008 la Directive PSD a permis aux institutions non-bancaires d’entrer sur les marchés des paiements. Depuis, les organes technologiques gèrent donc des transactions et ont accès au système de paiement. Ce domaine est très au point, il nous faut maintenant nous donner les moyens d’accélérer sur d’autres rayons.
Quels sont vos conseils pour faire aboutir le secteur FinTech du pays?
Il faudrait établir un esprit de collaboration car ce milieu manque de maturité. Chaque organisme a tendance à vouloir tenir le premier rôle sur la scène FinTech, ce qui empêche les avancées constructives. Les univers politiques, financiers et des assurances doivent établir une coopération entre tous les acteurs qu’ils soient traditionnels ou disruptifs.
La FinTech n’est pas une mode, elle ne va pas disparaître. Entre 2013 et 2014, les investissements dans ce domaine sont passés de 4 milliards à 12 milliards de dollars, et cela a encore beaucoup augmenté en 2015. Le milieu subira peut-être une crise, semblable à celle de la « Bubble Internet » en 2001; mais de la même façon que cette hécatombe n’a pas tué les entreprises liées aux Net, cette crise probable de la FinTech n’en sera pas la fin. Au contraire, comme la Bubble a explosé pour laisser place aux géants Apple et Amazon, de cette casse émergeront les entreprises les plus fortes, car ce type de crise nettoie le marché. Qui sait, une startup de notre pays deviendra alors peut-être la licorne* de de la FinTech!
Les banques doivent-elles craindre cet avènement FinTech?
Oui, elles peuvent être inquiètes sur un certain nombre de produits. Les sociétés FinTech ne vont pas reprendre globalement les activités bancaires. Elles vont sélectionner l’un ou l’autre business ciblés – ceux pour lesquels on constate une inefficience actuellement – et s’y concentrer. Si toutes les activités rentables sont absorbées par les FinTech, les banques vont perdre aussi bien du chiffre d’affaires que de la marge. Attention, je ne crois pas du tout que les banques disparaîtront. Ce n’est pas parce qu’Amazon vend des livres sur internet qu’on ne trouve plus de librairie. Mais le revers de la médaille FinTech doit être considéré: on ne peut pas exiger des banques qu’elles se plient à de plus en plus de réglementations alors qu’en parallèle elles perdent leur place sur les marchés. L’avènement FinTech doit donc se faire en cohabitation avec les banques. SoM
*Une licorne est une société active dans l’ICT et qui a pris beaucoup de valeur en peu de temps. Présentes surtout aux Etats-Unis et en Chine, ces jeunes entreprises visent une valorisation boursière supérieure au milliard de dollars.