Une année de travail
La Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE a pris fin au 31 décembre 2015. Interview avec Étienne Schneider – Vice-Premier ministre, ministre de l’Économie, ministre de la Sécurité intérieure et ministre de la Défense – sur l’année écoulée.
Dans le cadre du “Digital Lëtzebuerg“, le ministère de l’Economie a mis en place un écosystème pour les entreprises innovantes de l’ICT avec un fond d’investissement de 19,2 million d’euros. Le Luxembourg en tant que lieu de lancement de start-up est-il déjà une réalité et quelles en sont les retombées économiques pour l’économie nationale?
La mise en place de ce “Seed Fund“ dédié au secteur de l’ICT me tient particulièrement à cœur car il facilite le financement de telles entreprises en phases d’amorçage et de démarrage. Le financement “early stage“ est considéré comme un obstacle majeur à la création d’entreprises innovantes. Ce fonds aura un impact sur deux éléments stratégiques clés de mon ministère.
Premièrement, sur le secteur ICT, qui a toujours été au centre de la stratégie de diversification économique nationale. De par son caractère transversal, ce secteur est destiné à jouer un rôle toujours plus important. Le secteur ICT se traduit non seulement par son poids grandissant dans l’économie nationale, mais aussi comme réel moteur de croissance horizontale pour d’autres domaines comme les finances, notamment par l’essor des “FinTech“.
Deuxièmement, afin que notre pays bénéficie de nouvelles vagues d’innovations et se positionne de façon durable comme un centre d’excellence international en termes d’ICT, nous devons développer au Luxembourg un écosystème qui fournit un encadrement propice à la création et au développement de telles jeunes entreprises innovantes. Cet écosystème se développe avec l’émergence d’incubateurs publics et privés ou avec des instruments comme le “Seed Fund“. Un tel écosystème est un élément central qui permettra au Luxembourg d’attirer des start-up européennes et internationales dans des domaines d’avenir tels que la cyber-sécurité, le “BigData“, les “FinTech“ ou les télécommunications et services satellitaires.
Ce projet est un très bon exemple de partenariat public-privé réussi. En outre, je me réjouis du lien fort entre ce “Seed Fund“ et des acteurs clés de la recherche publique luxembourgeoise, comme le laboratoire SnT de l’Université du Luxembourg. Le SnT a été impliqué dès l’origine et cette contribution facilite le processus de transfert de technologies afin de valoriser au mieux les résultats de recherche générés afin d’en garantir des retombées économiques nationales qui sont d’ailleurs difficilement chiffrables. En général, le secteur ICT est l’un des principaux piliers de l’économie luxembourgeoise et représente près de 7% du PIB et compte à son actif non loin de 15.000 emplois hautement qualifiés.
Depuis 2013, c’est 135 millions d’euros qui ont été investis dans 100.000 m2 de surfaces de logistique construites. Est-ce là le signe que l’industrie garde une place importante dans l’économie nationale?
La logistique représente le deuxième secteur après celui des TIC. En vue de le développer, le gouvernement a défini un plan d’action afin de positionner le Luxembourg comme plateforme logistique intercontinentale et multimodale en Europe dans le domaine de la logistique à valeur ajoutée.
Les atouts du Luxembourg pour y réussir sont multiples. Et le premier d’entre eux est sa situation géographique favorable au milieu et à l’intersection des deux corridors principaux de l’Europe occidentale sur les axes nord-sud et est-ouest. S’y ajoutent de bonnes infrastructures comme notamment le réseau autoroutier, les connexions ferroviaires multimodales, l’aéroport de fret et ses multiples connexions aériennes à travers le monde. La qualité des services des prestataires logistiques basés à Luxembourg, ainsi que la facilité d’accès des autorités gouvernementales et douanières font du Grand-Duché un point d’accès idéal aux marchés mondiaux.
Sans «réel» marché national, la logistique luxembourgeoise est fortement dépendante des flux internationaux de marchandises. Mais au milieu du réseau logistique de l’Europe occidentale et du marché européen de 500 millions de consommateurs, le secteur logistique promet de générer de la croissance économique à travers la création d’activités logistiques à valeur ajoutée. Dans ce contexte, il est également important de saluer que l’Université du Luxembourg vient d’annoncer la création d’un centre de recherche en logistique en collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Afin de faciliter l’implantation d’activités logistiques nouvelles, le plan d’actions logistiques du gouvernement prévoit, entre autres, la mise à disposition de surfaces foncières à des entreprises réalisant un projet à valeur ajoutée. Dans ce contexte, les zones d’activités économiques “Eurohub Centre“ à Contern et Eurohub Sud à Bettembourg/Dudelange ont été désignées comme zones dédiées. Grâce à sa connectivité ferroviaire aux ports européens, son accès direct au réseau autoroutier, la proximité du terminal pour conteneurs, le centre de tri ferroviaire, ainsi que l’autoroute ferroviaire, Eurohub Sud est destiné à devenir une zone logistique de premier choix en Europe. La surface d’entreposage totale à potentiel logistique est de 230.000 m2.
Le Grand-Duché s’oriente donc progressivement vers une diversification de son économie ?
Au fil de son histoire, le Luxembourg s’est réinventé économiquement plusieurs fois pour devenir indépendant d’un secteur dominant. L’essor de l’industrie sidérurgique et sa primauté dans la création de la richesse économique avait entraîné le gouvernement luxembourgeois de l’époque à une politique de diversification industrielle. A partir des années 1950, le Luxembourg a ainsi pu attirer les premières entreprises américaines comme GoodYear ou DuPont de Nemours. Parallèlement au déclin continu de l’industrie sidérurgique, le secteur financier s’est développé au cours des années 80 et 90 pour devenir la locomotive de la croissance. Ainsi se répétait à nouveau la dépendance nationale par rapport à un secteur d‘activités spécifique et la nécessité d’une diversification sectorielle devenait évidente. Afin de se protéger contre d’éventuels chocs extérieurs, le gouvernement avait initié en 2004 une nouvelle politique de diversification économique basée sur une spécialisation multisectorielle. Il s’agit du secteur des TIC, de la logistique, des biotechnologies et des écotechnologies. Cette nouvelle mutation est en cours. D’après les dernières données disponibles, ces cinq secteurs représentent environ 9,6% de la valeur ajoutée brute générée au Luxembourg et près de 29.000 emplois dans plus de 2.600 entreprises.
Quel bilan peut-on tirer de la Présidence luxembourgeoise, et quel avenir pour Schengen?
Cette Présidence a été marquée par deux événements importants, à savoir l’attentat déjoué dans le Thalys Amsterdam-Paris le 21 août 2015, et les attentats de Paris du 13 novembre 2015. Dans ce contexte, la pression sur la Présidence luxembourgeoise, qui devait parvenir à proposer des mesures concrètes, a été extrêmement élevée.
Ainsi, en réaction à ces attaques, la Présidence luxembourgeoise avait organisé le 20 novembre 2015 un Conseil «Justice et Affaires intérieures» extraordinaire portant sur la lutte contre le terrorisme. Au cours de ce dernier, des mesures urgentes et opérationnelles ont étés définies pour mieux combattre le terrorisme. Ce Conseil avait rappelé sa revendication pour l’introduction dans l’UE d’un registre efficace de données des dossiers passagers dénommé “Passenger Name Record“.
Proposée par la Commission européenne en 2011, la directive vise à réglementer le transfert vers les États membres, par les compagnies aériennes, des données PNR des passagers des vols internationaux, ainsi que le traitement de ces données par les autorités compétentes. La Présidence luxembourgeoise a dans ce contexte accordé une priorité particulière au dossier PNR, et après des négociations intenses, nous sommes parvenus à obtenir avec le Parlement européen et la Commission un accord en trilogue équilibré.
Des avancées dans la lutte contre le trafic des armes à feu ont aussi étés réalisées, en particulier un règlement d’exécution sur les normes minimales pour la désactivation des armes à feu a été poursuivie suite à la pression exercée par le Conseil et notamment par la Présidence.
Un autre domaine en matière de lutte contre le terrorisme concerne le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne. La Présidence luxembourgeoise a plaidé pour une utilisation plus efficace des instruments existants avant d’envisager de nouvelles mesures. L’espace Schengen n’est pas un obstacle en matière de sécurité. La Présidence luxembourgeoise a ainsi tout fait pour éviter que Schengen ne soit remis en cause.
Un autre point du programme de la Présidence a été l’échange d’informations entre les Etats membres et avec l’agence Europol. Pour ce qui est de l’échange d’informations policières et judiciaires, le message de la Présidence envers les Etats membres a été clair: chaque Etat membre doit apporter sa contribution!
Il s’agit d’entrer les informations relatives aux combattants terroristes étrangers dans le Système Information Schengen (SIS II), et de soutenir le travail d’Europol, notamment en alimentant les bases de données pertinentes de l’agence. Bien que des progrès significatifs aient été réalisés dans le cadre de cet échange, de nombreuses corrections doivent encore être apportées.
En ce qui concerne le volet « sécurité intérieure », la Présidence luxembourgeoise a dépassé de loin ses objectifs initiaux: au total, 40 mesures en matière de sécurité intérieure ont pu être définies.
Ce succès tient certes au contexte général de menace terroriste pendant le deuxième semestre 2015, mais aussi à notre méthodologie pour faire avancer et approuver les dossiers améliorant la sécurité des citoyens européens et renforçant la lutte contre le terrorisme.
Propos recueillis par JuB