Plus que 20 ans pour changer de cap

«La décarbonisation de nos sociétés est intimement liée au combat contre le terrorisme et à la sauvegarde de la paix», déclare François Bausch lorsqu’il discute des politiques environnementales internationales. Au niveau grand-ducal, le ministre du Développement durable et des Infrastructures nous expose les grands projets réalisés mais aussi les chantiers en cours et futurs qui changeront le visage de notre pays. Interview de cet optimiste qui voit le développement durable, non comme une contrainte, mais comme un potentiel de croissance et de compétitivité.
 
Quelles sont, selon vous, les principales réussites dans vos portefeuilles ministériels depuis l’automne 2013?
 
Nous avançons très bien dans notre stratégie globale en faveur de la promotion des transports alternatifs, au détriment des déplacements en voiture individuelle.
Cela concerne les chemins de fer d’une part. Plusieurs projets de loi sont en train d’être élaborés, par exemple l’Arrêt Kirchberg-Pfaffenthal qui prévoit la création dudit funiculaire, ou encore le dédoublement de la ligne entre Luxembourg et Bettembourg; et évidemment, le vote et la mise en place du chantier du nouveau du tram. Pendant cette première année au gouvernement, nous avons franchi toutes les étapes liées à des instances législatives. Désormais, nous serons plutôt sur le terrain. Nos différents projets sont en chantier et l’allure semble propice au respect des délais.
 
En matière de vélo d’autre part, la nouvelle législation sur les pistes cyclables est en route. Nous désirons ajouter 600 kilomètres au réseau grand-ducal actuel. Les communes joueront un rôle important pour une portion de celles-ci. Mais la législation prévoit aussi la création de pistes cyclables nationales, à travers les trois grands pôles économiques du pays: Luxembourg-Ville, Diekirch-Ettelbruck et Esch-Belval. Une infrastructure cyclable performante, surtout dans les grandes agglomérations et espaces urbains, est une urgence. Le nouveau plan d’investissement pluriannuel présenté il y a déjà quelques mois prévoit d’augmenter le budget national par année de 2 à 8 millions d’euros pour 2016.
 
L’objectif est de renverser la situation actuelle, axée sur une mobilité trop individuelle. Nos modes de déplacement nous mènent dans une impasse ponctuée d’embouteillages gigantesques. Face à cette problématique, nous prônons une situation de multimodalité. La voiture n’est pas bannie: son rôle est juste différent. Elle devient un élément de transport parmi d’autres. Notre politique est d’inciter les individus à se pencher sur les différentes possibilités qui s’offrent à eux et à choisir de façon réfléchie. La voiture peut se combiner avec la marche à pied, le vélo, le train ou le tram. Dans cette optique, les Park and Ride sont essentiels comme pôles d’échange de transport. Je vais déposer un projet de loi au cours de ce mois pour la création de trois grands P+R à Mersch, Wasserbillig et Rodange. D’autres sont déjà en cours de construction. Au Höhenhof, près de l’aéroport la capacité du P+R sera de 4.000 places et celui de la Cloche d’Or pourra accueillir 2.000 voitures. Ainsi, les interactions entre voitures et transports en commun fonctionneront au mieux.
 
Quels sont les autres chantiers importants à mettre encore en place dans ce domaine?
 
De grandes transformations routières vont émerger. La mise à deux fois trois voies de l’autoroute E25 entre Dudelange (A3) et Helfenterbruck (A6) permettra de dé-saturer le réseau routier sur cet axe parsemés de très nombreuses zones d’activités. Les travaux commenceront probablement à l’aube de 2017. Nous souhaitons de plus élargir la N7 – trop étroite – entre Fridhaff et Wemperhardt afin de la sécuriser, pour un investissement de 80 millions d’euros. La conclusion finale de l’autoroute vers Sarrebruck verra la disparition du by-pass d’Hellange à l’été 2016.
 
Par ailleurs, une nouvelle N3 qui ne traversera plus Hespérange et Howald verra le jour. La route de Thionville sera réservée en priorité aux cyclistes, piétons et bus, alors que les voitures circuleront sur cette nouvelle voirie de contournement. Jusqu’à Howald, le tram circulera également sur cet axe, vers la Cloche d’Or. Ainsi, des quartiers très encombrés de la Ville-de-Luxembourg et ses environs seront délestés d’une partie de leur trafic.
Ensuite, la réhabilitation du Pont Adolphe aboutira dans un an. La réfection du Pont Rouge sera finalisée au printemps 2017. Les grands boulevards urbains ne sont pas en reste: le boulevard de Merl, le boulevard de Cessange et la voirie du Ban de Gasperich notamment seront restaurés.
Dans un tout autre domaine, nous avons déjà beaucoup travaillé avec le Fonds Belval pour une optimisation urbanistique maximale. L’Université est en place et forme un très bel espace avec les commerces et les logements alentours. Mais nous jugeons qu’il manque un bâtiment phare, à la pointe des technologies au niveau efficience énergétique et Smart Building. Nous souhaitons – en collaboration étroite avec le secteur privé, le pôle d’innovations Neobuild et l’Université – construire un bâtiment au summum du développement durable et de la technicité. L’objectif est d’une part de disposer d’un signal fort et attirant envers l’étranger, de l’autre d’inclure directement la recherche sur le terrain. Ainsi, nous souhaitons dynamiser le secteur de la construction pour le rendre extrêmement compétitif.
Quel rôle pour le ministère du Développement durable aujourd’hui, alors que toute la classe politique semble concernée par l’environnement?
 
La question du développement durable n’est pas liée uniquement à mon ministère ou respectivement à celui de Carole Dieschbourg. C’est une préoccupation commune. Le gouvernement a prôné dès le début une approche horizontale au travers les différents portefeuilles ministériels. Nous établissons des synergies avec Etienne Schneider et Francine Closener (ministère de l’Economie), Dan Kersch (ministère de l’Intérieur), Marc Hansen (ministère du Logement). Outre le côté transversal, notre approche se doit également d’être positive et moderne. Il faut arrêter de discuter le développement durable comme une contrainte alors que c’est juste l’inverse.
Les pays qui comprennent cette transversalité et cet optimisme ont beaucoup à gagner, non seulement du côté de l’impact environnemental et de la qualité de vie, mais aussi au niveau du développement économique. Ils seront à la pointe de la compétitivité économique future car les enjeux du développement durable sont éminemment concurrentiels.
La COP21 a finalement abouti à un accord universel de lutte contre le réchauffement qui va tenter de limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 1,5°C. Était-ce un sommet utile? Croyez-vous à cet objectif?
 
Je pense que la COP21 fut une manifestation utile, oui. Comme dans tous ces types d’événements, les lobbys étaient très présents: aussi bien les ONG que les groupements économiques veulent influencer les accords. La grande différence entre cette conférence et les précédentes est que, pour la première fois, il y avait une certaine lucidité mondiale face au problème. De grands pays comme la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis avaient enfin conscience des gestes à poser, mais aussi des chances à saisir au travers, au niveau des technologies et des créneaux économiques notamment.
Bien sûr, ceux qui ont le plus à perdre ont freiné le processus, comme par exemple l’Arabie Saoudite avec son pétrole. Mais cela démontre encore plus l’importance de se dégager de notre dépendance envers cette énergie fossile, produite par un pays peu démocratique. Par ailleurs, le terrorisme sévissant au Moyen Orient – dont celui de Daesch – est dû en partie aux conflits autour des ressources pétrolières. La dé-carbonisation de nos sociétés est donc intimement liée au combat contre le terrorisme et à la sauvegarde de la paix.
 
Quant à l’objectif de limiter le réchauffement en dessous de 2°C, si possible 1,5°C, j’y crois. Mais je le martèle encore: il faut repenser nos transports. Outre la perte en qualité de vie due aux embouteillages, le secteur des transports est le seul domaine au niveau mondial où les émissions de CO2 ont encore constamment augmenté. Un effort immense est à faire de ce côté.
Dans sa globalité, cet objectif est un immense challenge pour lequel un laps de temps de 20 ans nous est imparti. Le réchauffement climatique aura des conséquences, c’est déjà certain. Mais ce délai de 20 ans, bien utilisé, nous permettrait encore de renverser la situation et de limiter son impact à des effets prévisibles. A nous maintenant d’user de ce compte à rebours à bon escient. SoM

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