«L’entreprise devra jouer un rôle moteur»
La réforme de la formation professionnelle, qui deviendra réalité à la rentrée prochaine, risque de modifier considérablement le travail des entreprises et des lycées au Grand-Duché. Nous voulions connaître l’avis de Paul Emering, directeur de la Luxembourg School for Commerce, sur la question, de même que ce qu’il pensait de la réforme en tant que telle. Interview.
La réforme de la formation professionnelle viendra-t-elle bouleverser l’organisation actuelle ?
Sachez que la réforme prévue pour la rentrée prochaine ne sera dans un premier temps que partielle puisque une partie seulement des professions sont concernées. La Luxembourg School for Commerce est impliquée pour l’instant dans cette réforme au niveau de quelques formations diplômantes, celles de conseiller en vente et de mécanicien dans l’aviation, dont les programmes sont donc revus.
Cela dit, bien sûr, un certain nombre de choses vont changer puisque plusieurs points doivent encore être finalisés d’ici la rentrée. Les cours diffèreront puisque l’on parle désormais de modules et non plus de branches ainsi que de compétences et d’évaluation des compétences, et ce, aussi bien à l’école que dans les entreprises. C’est sur ce dernier aspect, je pense, que les changements seront les plus importants, et nous devons encore former les tuteurs en entreprise à ces nouvelles méthodes d’évaluation. ?Pour ma part, je pense que décliner les exigences des différentes professions en compétences est une bonne chose. On peut ainsi détailler les différents actes, les connaissances, les savoirs-faires des apprentis pour aboutir à des résultats plus précis. On ne raisonne donc plus en années mais en modules acquis, en projets intégrés – intermédiaire et final. C’est un grand et beau défi. Mais comme je vous le disais, nous n’avons pas encore tous les éléments pratiques pour mettre cela en œuvre.
Le fait de ne pas avoir à passer une série d’examens, de travaux la même année mais de pouvoir reporter leur passage ne pousse-t-il pas les élèves à la paresse?
Non, car le système reste contraignant. La durée normale est de trois ans pour le DAP (ndlr : Diplôme d’Aptitude Professionnelle), quatre ans pour les techniciens et on ne peut la prolonger que d’une année alors que jusqu’à présent, il y avait la possibilité de passer un deuxième examen complémentaire voire même de bénéficier d’un essai ultérieur encore. Bref, on pouvait atteindre les six/sept ans de formation auparavant.
Quant à la philosophie de la réforme, elle réside dans le fait que les modules réussis avec succès restent un acquis, et que la formation professionnelle continue vient les compléter pour l’obtention du diplôme. La réforme vise à renforcer le lien entre la formation initiale et la formation continue. Cela présuppose la mise en place d’un système dans lequel on puisse bénéficier du même contenu de formation tant en formation initiale que continue afin que les élèves n’aient pas à repasser par la «case» école.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la réforme en tant que telle?
La réforme rassemble en un tout la formation professionnelle qui conduisait au CATP et celle au «technicien» (ndlr : désormais «formation professionnelle initiale») au bout de laquelle les élèves peuvent soit décrocher un diplôme de «technicien», soit d’ «aptitude professionnelle». La particularité réside dans l’approche du «dosage» théorie/pratique : dans le cas de la formation «conseil en vente» dont les effets de la réforme prendront date à la rentrée, les élèves seront quatre jours par semaine en entreprise et un jour au lycée. Dans d’autres formations, vous débuterez avec trois ou quatre jours au lycée et un jour en entreprise, profil qui peut évoluer avec les années. Auparavant, la formation professionnelle rimait avec CATP.
Ce qui change également, c’est la définition d’un profil professionnel par l’entreprise, à savoir ce qu’elle attend d’un apprenti, le profil de formation qu’il doit suivre et le programme directeur à mettre au point. Tout cela est ainsi évalué sur base des compétences, comme à l’école dans le fondamental, et non exclusivement plus sur base de notes.
La réforme est donc indéniablement une bonne chose?
En théorie, oui, car cela force toutes les professions à se poser vraiment la question de ce qui est attendu des jeunes par une entreprise. L’entreprise doit mener une véritable réflexion, être explicite afin de contribuer activement à la définition du profil professionnel. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec des experts des entreprises de concert avec des enseignants. Cela se faisait aussi sous l’ancien régime mais de façon moins systématique.
Vous dites «en théorie, oui». Quand est-il de l’aspect «pratique» alors?
Le défi consiste à concrétiser cette réforme ; or cela implique inéluctablement des changements de comportement aussi bien de la part des entreprises que des étudiants ou encore des enseignants. Nous devons en effet décliner ces évolutions en programmes très précis, que ce soit à l’école ou en entreprise. L’entreprise devra jouer un rôle moteur : en sus de la réflexion qu’il lui faudra mener, elle devra également évaluer les compétences de l’apprenti. Ce nouveau système est ainsi beaucoup plus ambitieux que le précédent. Mais avant de crier victoire, j’aimerais voir ce qu’il en sera sur le terrain.
Quelle est votre relation avec l’INFPC, l’Institut National pour le développement de la Formation Professionnelle Continue, chargé de la promotion de la formation professionnelle?
Nous sommes un des partenaires institutionnels en tant que membres du conseil d’administration. Nous travaillons ensemble pour l’organisation de conférences et plus particulièrement de séances d’informations collectives. Nous participons à différents projets de l’institut comme celui de l’Observatoire de la formation, notamment dans le cadre de l’étude sur la transition école/vie professionnelle (cf. notre article sur l’INFPC dans la présente édition). L’INFPC doit jouer à mon sens un rôle de plateforme commune vouée à se pencher sur un certain nombre de sujets transversaux ayant trait à la formation professionnelle. Nous devons effectivement savoir ce que deviennent les écoliers qui quittent le système scolaire, quelles sont les formations qu’ils suivent, les professions qu’ils ont intégré, et ainsi voir si les méthodes d’enseignement dans les écoles de notre pays sont bien les bonnes ou rectifier le tir si besoin est.