Cibler les Chinois en fonction de leurs besoins
La Chine est aujourd’hui la deuxième économie mondiale. Même si son marché est historiquement assez fermé, Marc-André Bechet pense que le pays présente des opportunités pour l’industrie luxembourgeoise des fonds d’investissement. «La Chine fait des efforts considérables pour que sa devise devienne librement convertible et puisse être reprise comme devise internationale», explique le Directeur Tax & Legal de l’Association Luxembourgeoise des Fonds d’Investissement (ALFI). «Elle travaille aussi pour que le marché chinois soit reconnu par l’indice boursier MSCI comme un marché international».
Pourquoi les acteurs chinois commencent-ils à constituer des fonds d’investissement au Luxembourg?
Les acteurs chinois commencent à constituer des fonds d’investissement au Luxembourg parce qu’ils peuvent distribuer ces fonds au sein de l’Europe par la suite. Il y a deux types de produits: les produits equity classiques – les actions – et les produits obligataires. Les taux d’intérêt en Chine sont pour l’instant assez élevés. Les rendements offerts sur le marché obligataire chinois sont donc assez intéressants. Cela peut tenter des individus voulant gérer des liquidités dans des balances en RMB.
L’industrie des fonds d’investissement est un secteur très important de la place financière luxembourgeoise. Mais, ne possédant pas de marché domestique, celle-ci conçoit ses véhicules d’investissement dès le départ pour être distribués à grande échelle au-delà des frontières nationales. Nous tentons aujourd’hui de nous positionner de façon globale en tant que centre financier, comme point d’entrée des acteurs chinois en Europe. Quant à la distribution de nos fonds en Chine, pour l’instant le marché n’est pas ouvert. Nous n’avons pas accès à la Reconnaissance Mutuelle des Fonds (RMF) entre Hong Kong et la Chine. Par contre, un mécanisme permet aux résidents chinois d’investir à l’étranger: les programmes d’investisseurs institutionnels domestiques qualifiés (QDII). Une des conditions pour que les fonds luxembourgeois puissent être repris dans ce programme, c’est un accord entre l’autorité de contrôle chinoise et luxembourgeoise, qui fut conclu en 2012. Cet accord permet à des fonds luxembourgeois d’être mis à la disposition d’investisseurs chinois dans le cadre de ces programmes QDII, sous réserve d’un second screening localement fait en Chine. C’est la seule forme d’exposition que nous avons pour l’instant dans ce marché.
D’autres projets sont-ils en cours actuellement?
Un autre projet est d’arriver à une acceptation de la distribution des fonds UCITS dans le marché chinois. Nous y travaillons au niveau luxembourgeois mais aussi au niveau de la Commission européenne. Il y a eu des contacts entre des associations nationales comme l’ALFI et des institutions européennes pour promouvoir l’idée d’une reconnaissance mutuelle entre la Chine et l’Europe. Il apparaît actuellement qu’il n’y a aucune opposition de principe à une ouverture plus large aux fonds étrangers en Chine. Mais il est difficile de dire dans quel délai cela pourra se faire. Nous observons que le pays adopte une approche «étape par étape» dans ses réformes ces dernières années. Cela permet aux autorités de tester la réaction du marché, la façon dont les acteurs se positionnent.
Comment faites-vous concrètement la promotion de l’industrie des fonds du Luxembourg?
Les fonds UCITS, et notamment les fonds luxembourgeois, sont vendus dans 70 marchés actuellement. Etendre la liste de ces pays fait partie de notre stratégie. Pour ce faire, l’ALFI organise régulièrement des roadshows dans ces pays. C’est l’occasion de rencontrer les acteurs sur place et de réaliser un travail de «compréhension du marché».
Nous devons maintenant cibler ce qui intéressera les Chinois en fonction de leurs besoins. La classe moyenne compte 300 à 400 millions de personnes qui commencent à investir des ressources financières intéressantes. L’ensemble du marché européen compte, lui, 500 millions d’habitants.
L’ALFI a également un partenariat avec l’association «sœur» AMAC, ce qui ouvre des portes et facilite la collaboration entre les deux industries de gestion d’actifs.
Pouvez-vous m’en dire plus sur les roadshows?
Le prochain roadshow en Asie aura lieu en décembre à Taïwan, Tokyo, et Hong Kong. Le volet «service client» est très important. En allant rencontrer dans leurs pays les gestionnaires ou les banques actifs au Luxembourg, nous leur faisons preuve de respect.
L’ALFI et Luxembourg For Finance réalisent aussi des actions de promotion du Luxembourg plus individualisées. Nous recevons des gestionnaires d’actifs chinois ou des banques chinoises qui s’intéressent au marché européen. Nous leur expliquons ce que nous faisons au Luxembourg et quelle est notre position par rapport à l’Europe.
Quelles sont les questions auxquelles l’ALFI est régulièrement confrontée?
Ces questions sont en général très techniques. Par exemple, pour investir en Chine, comme ce n’est pas un marché complètement ouvert, un fonds luxembourgeois peut utiliser, parmi les différentes options pour accéder à ce marché, le programme Renminbi Qualified Foreign Institutional Investor (RQFII). La Chine fonctionne par étapes. Elle a ouvert son marché en donnant des quotas au niveau national. Le premier pays à recevoir un quota était Hong Kong avec 270 milliards de RMB. Le Luxembourg est l’un des derniers pays à avoir reçu un quota en avril 2015 d’un montant initial de 50 milliards de yuans sous le programme RQFII. Une des questions que nos interlocuteurs chinois et européens se posent est de savoir comment mettre cela en pratique. C’était l’objet de deux visites de délégations luxembourgeoises auprès des autorités chinoises organisées aux mois de juin et septembre. Nous en avons profité pour expliquer le fonctionnement de notre système de droit, la façon dont nos structures sont organisées, comment nous pensons pouvoir appliquer leur réglementation par rapport à nos structures.
Le deuxième type de questions de nos interlocuteurs chinois concerne l’accès au marché européen et son fonctionnement dans la pratique. Par exemple: je mets en place un fonds au Luxembourg et je veux le distribuer au sein de l’Europe. Quelles sont les conditions, les méthodes de distribution?
Au Luxembourg, nous avons une grande expertise dans la distribution transfrontalière. Mais pour quelqu’un qui vient d’un pays non-européen, ce n’est pas évident.
Naturellement, lorsque nous parlons à des acteurs politiques, que ce soit notre ambassadeur ou notre ministre des Finances, ce sont des questions plus macroéconomiques, concernant par exemple la stabilité de l’euro. La Chine a eu des taux de croissance historiques ces dernières années de l’ordre de 10%. Ce taux s’est réduit à 6 ou 7% et ils regardent l’Europe où nos taux de croissance varient entre 1 et 3%. Nous essayons d’expliquer pourquoi cela reste un très bon taux et pourquoi l’économie européenne est en train de repartir lentement mais sûrement. CD